Le Monde du 16 juillet 2018 dresse un portrait du sélectionneur national Didier Deschamps. On y apprend les ressorts de la grinta du petit joueur du FC Nantes surnommé « Blanchard » par son copain Desailly, et devenu l’un des entraîneurs les plus respectés au monde.
On remarquera qu’avant la victoire du 15 juillet à Moscou, Deschamps était considéré comme un entraîneur sinistre aux idées de « défenseur » – ce qu’il a toujours été sur le terrain – ne sachant pas utiliser le potentiel offensif assez miraculeux des Bleus : Mbappé, Griezmann, Dembélé, Benzema et consorts.
Pourtant, malgré leur domination (stérile), les Croates ont pris une leçon de football moderne au stade Loujniki. Les tombeurs de la Russie puis de l’Angleterre, réputés bêtes noires du tournoi, ont pris quatre buts dans les valises et auraient pu en prendre sept ou huit. Il ne s’agit plus alors de bonne étoile ou de baraka, celle que les spécialistes à la Ménès accolaient à Deschamps : ses victoires seraient le fait d’un blaireau défensif détruisant le jeu pour une efficacité douteuse. Ouais... Plusieurs Coupes d’Europe, Euro et Coupe du monde plus tard, il faut se rendre à l’évidence : les experts de l’anti-France se sont trompés.
Voici les extraits explicatifs du parcours étoilé de Blanchard...
« Le challenge, la victoire, sous toutes ses formes, à n’importe quel prix, est son principal hobby. Une obsession de collectionneur, psychotique, même. Et comme la nature l’a doté d’un esprit footballistique supérieur dans ce genre d’exercice, son palmarès de joueur-entraîneur est devenu, depuis dimanche 15 juillet, presque indécent. »
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« Ce sont à la fois des clichés sportifs et des réalités (sur) humaines : cet homme est un champion. Un champion du monde, un champion de France, un champion d’Italie, un champion d’Europe, et un champion du monde, encore, en tant qu’entraîneur, cette fois. Avant lui, ils n’étaient que deux, ce qui souligne la difficulté du genre, à garnir le gratin légendaire de ceux qui sont parvenus à remporter une Coupe du monde comme joueur puis comme entraîneur : le Brésilien Mario Zagallo et l’Allemand Franz Beckenbauer. »
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« À l’aube de son destin, Deschamps était Blanchard. C’est le surnom que lui avait donné son grand copain de toujours, Marcel Desailly, quand ils se sont rencontrés au centre de formation du FC Nantes au début des années 1980. Gérard Blanchard, le chanteur pour campings qui beuglait que son amour était “parti avec le loup dans les grottes de Rock-Amadour”. Car Desailly, qui aimait beaucoup son copain, estimait, quand même, que s’obliger à porter un débardeur en jean sous un pull jacquard, plus une coupe mulet, était, certes, un signe des temps mais pouvait, déjà, piquer les yeux. Mais Deschamps et le culte des apparences, on l’a compris… Et donc, Desailly l’a appelé Blanchard. Blanchard et Desailly ne se quitteront plus beaucoup. »
Marcel Desailly subira la mort de son « demi-frère Seth Adonkor, un grand espoir du football français », tandis que Deschamps verra son frère disparaître dans un accident d’avion. Le Monde revient sur les origines sociales de Dédé : une mère vendeuse de laine et un père peintre en bâtiment. Mûr très tôt (il portait la barbe à 16 ans), le jeune Dédé, bientôt renommé « La Dèche », aura très vite des responsabilités dans tous ses clubs.
Il sera à 24 ans le capitaine du grand OM de Bernard Tapie, vainqueur de la première Ligue des Champions en 1993. La suite, on la connaît : capitaine de la France lors de la Coupe du monde 1998 et vainqueur de l’Euro 2000, une compétition encore plus relevée, peut-être le plus dur tournoi des Bleus. Le parcours de Dédé n’est pourtant pas toujours rose : à la Juventus de Turin, il subit l’opprobre du monde journalistique pour des histoires de dopage.
« Durant le procès, il s’est même mis à discuter posologie et effets indésirables avec l’expert médical du tribunal, qui s’est aperçu qu’un joueur de foot pouvait en connaître un rayon. Deschamps a un besoin viscéral de tout savoir, de tout maîtriser. De ces deux plus gros scandales du football européen de la fin du XXe siècle, il est sorti immaculé. »
L’avenir a toujous donné raison, contre les spécialistes, c’est-à-dire les médias, à Didier Deschamps. Le cas Benzema est exemplaire. Deschamps, contre l’avis de l’élite, a écarté l’avant-centre phare de l’équipe de France en toute connaissance de cause : non pas parce que Karim serait un « Arabe », comme a pu l’écrire Booba, mais parce qu’il mettait en péril la cohésion du groupe. Et le groupe, c’est le dada de Dédé. Hors du groupe, point de salut. Le groupe a un but : gagner. Et gare au joueur qui ne respecte pas les consignes : il dégage du groupe et en général, on ne le revoit plus. Une mort bleue, en quelque sorte...
Les esthètes seront un peu déçus : on a des joueurs parmi les meilleurs du monde balle au pied, et on joue un football défensif ! Oui mais l’efficacité ne se mesure pas à la possession de balle, les Belges puis les Croates l’ont compris à leur corps défendant. Seule l’efficacité, cette spécialité italienne, prime. Et Deschamps l’a apprise à la Juve. On peut même dire qu’il a volé ce feu aux Italiens.
« On lui parle souvent de cette troisième étoile, qui, visiblement, n’appartient qu’à lui, celle qu’on appelle la bonne étoile. La chance, celle qui décide, par exemple, que l’attaquant uruguayen Edinson Cavani, blessé, ne jouera pas le quart de finale. Deschamps déteste parler de ça, cela voudrait dire que son travail n’y est pour rien, alors qu’il traque le plus petit des hasards dans toutes les encoignures. »
L’avenir, c’est deux ans de travail jusqu’au prochain Euro, et Zinédine Zidane, qui pensait comme beaucoup que Deschamps se planterait avec son groupe immature et ses idées défensives, attendra encore un peu... La conclusion du Monde est savoureuse :
« À l’heure de soupeser les deux plus prestigieux monuments du football français, de laisser la foule choisir, sur l’avenue, entre “Zidane président” et “Deschamps Élysées”, il convient de constater qu’on pardonne tout à Zidane et qu’on pardonne presque tout à Deschamps. Pourtant, il n’est plus du tout certain que même Zidane ait envie de succéder à un monument pareil. Faire aussi bien ? Il semble que, cette fois, Deschamps a vraiment tué le métier. »
Deschamps vient d’en bas, et il est monté très haut. En France, quand on est de basse extraction et qu’on ne passe pas par les canaux officiels (grandes écoles et compagnie), on est sujet à une méfiance et à une vindicte médiatique très sévères. Et qui dure même malgré la réussite ! Suivez notre regard...
La France serait-elle le pays de ceux qui n’ont pas le droit de monter ? Le problème, c’est bien notre élite, une élite qui empêche son renouvellement... naturel.