Après son subordonné Gérard Araud, c’est au tour d’Alain Juppé d’interpréter le rôle d’indigné de haut niveau : le ministre des Affaires ô combien étrangères aux intérêts français a dénoncé « les crimes contre l’humanité », « la fuite en avant sauvage », « la torture, les massacres et la barbarie » de Bachar al-Assad et futigé le « silence » des Nations-Unies qui est un « scandale« .
Il n’est pas indifférent de savoir que Juppé a prononcé ces fortes paroles depuis Tripoli, où il s’adressait à un parterre d’étudiants triés sur le volet islamiste et CNT. C’est assez dire, ou faire comprendre, quel processus de transition le faux gaulliste et vrai opportuniste atlantiste qui déshonore – aussi bien que Bernard Kouchner – le Quai d’Orsay, souhaite pour la Syrie : une « démocratie » assistée par bombardements de l’OTAN.
Incohérences juppéennes
Mais, au vrai, nous savons tout cela par coeur, Alain Juppé étant assez prévisible. Là où, tout de même, il arrive encore à surprendre, c’est quand il s’en prend au « silence » de l’ONU sur le dossier syrien. Nous, nous avons trouvé l’organisation internationale assez bruyante sur le sujet, entre les multiple saisines du Conseil de sécurité, la condamnation de Damas par l’A.G. des Nations Unies, les « rapports » de sa commission des droits de l’homme, le pathos très récent de Ban Ki-moon et de Navi Pillay sur les « crimes » bacharistes. Mais il est bien évident que tant que la Syrie n’est pas bombardée, ce ne sera jamais assez pour le tandem Juppé-Araud.
Au milieu de tout ce délire, un retour surprenant au réel : Alain Juppé a expliqué que la France n’avait pas encore reconnu le « Conseil national syrien » parce que le « risque de guerre civile est très élevé« . Moyennant quoi, le même Juppé fait tout ce qui est en son pouvoir pour encourager la guerre civile en Syrie, seule alternative à une intervention de l’OTAN dans la perpective du renversement du régime en place. Et le chef de la diplomatie franco-otanesque précise même que le CNS n’est pas « suffisamment représentatif des différentes sensibilités syriennes« …. Certes, il y manque notamment la sensibilité bachariste, forte de quelques millions de personnes.
Axe Moscou-Kiev
Mais tout le monde ne partage pas l’indignation d’Alain Juppé, et certains trouvent même qu’au contraire on en fait trop sur et contre la Syrie. Ainsi le chef de la diplomatie ukrainienne qui a estimé, mercredi 14 décembre, que les sanctions économiques imposées à la Syrie pénaliseraient toute la population, et qu’elles ne résoudront en rien la crise que connait le pays. En septembre dernier déjà, à l’occasion d’une rencontre à l’ONU réunissant les ministres des Affaires étrangère de plusieurs pays arabes – dont la Syrie -, et de Cuba, Kostyantyn Gryshchenko avait salué les réformes de Damas et souhaité que la situation revienne à la normale afin que son pays puisse poursuivre la coopération planifié à l’occasion de la visite de Bachar à Kiev en décembre 2010.
On constatera que l’Ukraine est, sur ce dossier, exactement sur la même ligne que la Russie, ce qui souligne l’échec de l’axe euro-américain qui avait, ces dernières années, notamment en sponsorisant la « révolution orange« , tenté de dissocier les deux nations pourtant historiquement, culturellement et séculairement liées. Là encore, le réel s’est vengé des diplomaties obliques !