Le considérable travail entrepris par les historiens à l’issue de la Seconde Guerre mondiale a édifié la Mémoire des indicibles souffrances éprouvées par le peuple juif dans l’Europe occupée.
Le terme hébreu Shoah, popularisé en France par le documentaire éponyme de Claude Lanzmann, a permis de nommer l’innommable. Les témoignages d’Elie Wiesel et de Primo Levi ont décrit l’indescriptible. Auparavant, les révélations du procès de Nuremberg avaient chiffré l’indénombrable : six millions de juifs avaient péri entre 1942 et 1945 dans les plaines glacées de Pologne.
L’avènement d’Israël par la déclaration Balfour devait établir définitivement un foyer pour le peuple juif afin que plus jamais l’impensable ne puisse se reproduire. Cependant, moins connus sont d’autres épisodes plus anciens relatés par le New York Times [1] : à l’orée du 20ème siècle, 6 millions de juifs étaient déjà les victimes de pogroms perpétrés dans ce qui était alors l’empire des tsars. Le rabbin américain Stephen Samuel Wise, publiait ainsi en 1900 un appel aux dons (sans intérêts !) afin de venir en aide aux fils de David martyrisés en Europe orientale.
Hélas, ni les campagnes de dons ni les appels au secours du rabbin Wise, futur fondateur du Conseil sioniste d’urgence en Amérique (ancêtre de l’AIPAC, équivalent américain de l’UGIF qui plus tard devait devenir le CRIF), n’eurent raison de la folie meurtrière qui, à la mesure d’une situation politique de plus en plus instable en Russie, devait frapper à nouveau les fils de David en marge des affrontements entre « rouges » et « blancs ». Ce fut là encore le rabbin S. S. Wise qui, dans un discours publié le 3 mars 1919 [2], expliqua la présence de commissaires juifs à la tête d’organes chargés de la répression dans les comités bolcheviques par la nécessité de venger leurs coreligionnaires « crucifiés » (sic) par des russes chrétiens. Juste parmi les Justes, Martin H. Glynn, catholique d’origine irlandaise et ancien gouverneur de l’État de New York, dénonçait la même année la « crucifixion des juifs » dans les colonnes de l’American Hebrew (un périodique exempt de tout tropisme judéocritique) et rappelait à ses concitoyens oublieux que six millions de juifs – oui, encore ce chiffre maudit de six millions – étaient en train de « périr de la famine par-delà les mers » [3].
Les massacres de 1900 et de 1919-1920 sont aujourd’hui trop souvent occultés. Heureusement, grâce au travail d’organes de presse américains au sérieux incontestable, nous savons désormais qu’au cours de la première moitié du siècle dernier et durant trois périodes distinctes, ce ne sont pas six, mais six par trois, soit dix-huit millions de juifs innocents qui furent victimes de la barbarie la plus abjecte ! Ne l’oublions jamais.