On va encore dire qu’on n’est jamais contents, qu’on s’en prend aux idoles du moment, qu’on nage à contre-courant, mais là, le poisson est trop gros pour qu’on le laisse passer. Le président Emmanuel Macron, qui a soi-disant une formation de philosophie, s’est soudain entiché du sociologue Edgar Morin, qui vient de passer le cap du siècle de vie. Comme rien n’est gratuit en ce bas monde néolibéral truffé de réseaux occultes, on va vous expliquer pourquoi un tel cérémonial. Du moins on va essayer.
Lecteur de Hegel, Emmanuel Macron s’est forgé très tôt une idée précise de son destin. Ami et assistant de Paul Ricœur, il a appris à articuler entre elles les temporalités où inscrire son action. Sa politique sociale – doter l’individu de capacités plutôt que réparer les dégâts –, il l’a trouvée chez Amartya Sen. Sa politique industrielle et européenne est, elle, inspirée de Saint-Simon. Enfin, c’est du côté de Schumpeter qu’il faut chercher sa propre version de la destruction créatrice. (France Culture, 2017)
Ne prenez pas ce portrait trop au sérieux, il émane de Brice Couturier, ex-maoïste devenu socialiste, puis antiterroriste après le massacre de Charlie, pour finir macroniste anti-Gilets jaunes.
Ça sent le Panthéon à une jambe
Vous nous connaissez, on adore la difficulté, la pensée complexe et le concept. Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, le philosophe et sociologue star des journalistes qui ne lisent pas, a pondu dans sa longue et riche vie une centaine de livres truffés de truismes de faible niveau dans la catégorie humanisme bien-pensant, une pensée qui n’a de complexe que le nom (pour ne pas dire la dialectique qu’il a reniée de sa période communiste).
- Pour Libé, Morin-Nahoum est le grand-père de tous les Français, ni plus ni moins
Nahoum-Morin, c’est une enfilade de pensées empruntées à droite à gauche, au fil de ses lectures, l’humanisme pesant faisant colle. En revanche, on reconnaît qu’il a de bonnes lectures, dont celle d’Henri Laborit, qu’il a pompé sans vergogne. Le grand chercheur et découvreur disait qu’on avait besoin de monotechniciens polyconceptualistes plutôt que de polytechniciens monoconceptualistes, ce que forment l’Éducation nationale et la recherche scientifique. C’est Laborit qui le premier a cassé les cloisons des disciplines, et lancé l’interdisciplinarité entre biologie, sociologie, éthologie (entre autres), pour créer la science du comportement.
Du coup, la complexité nahoumienne, qui n’a rien en propre et que personne n’est capable de résumer (même Libé ne s’y risque pas, dans son article pourtant dithyrambique), c’est plutôt celle de l’origine de ses sources. Dans cette veine, Einstein a fait pareil avec Poincaré, et plus près de nous Zemmour avec Soral.
Le héraut autoproclamé de la pensée complexe contre les penseurs de la simplicité
Morin-Nahoum, c’est donc tout sauf la pensée complexe : c’est la pensée bien-pensante, patchwork des pensées des autres, de ce qui est en avance sur la socioculture. La preuve, après 80 ans de sociologie et de philosophie, son message, c’est : allez les jeunes, on y croit, et attention au climat et à la Terre. Pour ça, on a déjà Greta.
« Il y a des causes absolument magnifiques pour les jeunes, la défense de la Terre, la défense de l’humanité, c’est-à-dire l’humanisme. On voit aussi bien la petite Greta Thunberg que d’autres jeunes, qu’ils sentent ceci. »
« Dans le fond, il y a toujours la lutte entre ce qu’on peut appeler les forces d’union, d’association, d’amitié, Eros, et les forces contraires de destruction et de mort, Thanatos. C’est le conflit depuis l’origine de l’univers où les atomes s’associent et où les étoiles se détruisent, se font bouffer par les trous noirs. Vous avez partout l’union et la mort. Vous l’avez dans la nature physique, vous l’avez dans le monde humain. Moi, je dis aux gens, aux jeunes : prenez parti pour les forces positives, les forces d’union, d’association, d’amour, et luttez contre toutes les forces de destruction, de haine et de mépris. »
« Des événements heureux arrivent. Parfois, ils n’ont qu’un sens limité, mais quand même important. Prenez le pape François. C’est le premier pape depuis des siècles qui soit retourné aux principes de l’Évangile et ait pris conscience des périls qui menacent la Terre, de la pauvreté et de la misère humaine. C’était imprévu que ce pape succède à un autre pape qui était si fermé, si réactionnaire. »
Dernière chose, quand on se fait le chantre et l’incarnation de la pensée complexe, ce qui passe comme une lettre à la poste parce que les journalistes français ne travaillent pas, globalement, c’est surtout histoire de faire passer les concurrents pour des tenants de la pensée simple, linéaire, manichéenne. Aujourd’hui, il est de bon ton de penser plurifactoriel, logique non linéaire, arborescence. La pensée complexe est donc un fourre-tout qui arrange tout le monde : on y recycle les vielles lunes humanistes qui n’ont jamais fait de bien à l’humanité, car elles leur cachent la vérité, ou, pour être plus précis, le réel. Un réel bien politique et bien profond, dans tous les sens du terme.
Pour finir, Libé, le journal mort d’avoir trop social-trahi, convoque Cyrulnik pour vanter Morin... Un Cyrulnik qui, dans le genre emprunteur – on reste polis –, est une sorte de champion du monde. Si ça, c’est pas une façon sournoise d’achever le centenaire !
L’hommage interminable à Nahoum par le petit dictateur qui s’écoute parler
« Voilà cent ans que vous êtes venu au monde, cher Edgar Morin. Vous êtes un homme-siècle, acteur de l’histoire, penseur de l’humanité et vigie de la planète. Aujourd’hui, la République vous exprime sa reconnaissance, son amitié et vous souhaite un très bel anniversaire. »
L’hommage impuissant de la philosophe bien en cour Cynthia Fleury
Dans cette interview parue chez Libé, Cynthia tente une figure très difficile : définir la très creuse pensée complexe du Morin-Nahoum en utilisant des bribes de pensée complexe...
Franchement, Manu et Cynthia, avez-vous vraiment lu Morin ?
Bonus (extrait du Financement participatif de la Rédaction)
Nous avons fait un petit travail de déconstruction du livre qui a lancé le sociologue Edgar Morin, La Rumeur d’Orléans, article qui se termine sur cet échange :
Morin : « La source n’est pas superficielle, elle est dans les profondeurs archaïques, qui sont dans le subconscient des gens c’est-à-dire, il y a quand même des millénaires sur le monde chrétien ou français où le juif est non seulement quelqu’un de dangereux qui fait des complots, qui sacrifie des enfants, bon tout ça est peut-être balayé mais il reste de tout ça c’est l’usurier, c’est le type avide de fric donc le juif porte en lui, même quand il est innocenté, même quand il est intégré, dans les profondeurs de l’inconscient d’une partie importante de la population, il garde cette inquiétante étrangeté et que ça peut encore se réveiller. »
Wiewiorka : « Ce qui est terrible, c’est que cette étrangeté est cachée. Et plus on montre qu’elle est fausse, plus c’est la preuve que les juifs sont vraiment forts puisqu’ils arrivent vraiment bien à la dissimuler ! »