E&R Aquitaine : Bonjour Adrien Abauzit. Vous êtes l’auteur de Né en 1984 – Abécédaire pour une jeunesse déracinée, publié aux éditions Le Retour aux Sources. Merci de bien vouloir accorder cet entretien à Égalité & Réconciliation Aquitaine. Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs qui ne vous connaîtraient pas, et par la même occasion parler de votre proximité avec Pierre Hillard ?
Adrien Abauzit : À vrai dire, ma présentation sera assez courte compte tenu de mon âge. Comme le titre de mon livre l’indique, j’ai 29 ans. Je suis avocat (en droit du travail essentiellement), écrivain et j’écris pour divers sites qui, pour certains, ont un pied dans le Système. Le journal de L’Action Française m’a également ouvert ses lignes. La vraie question qui se pose à mon égard est je crois la suivante : pourquoi ai-je été moins lobotomisé que la plupart des jeunes de mon âge ? À y réfléchir, c’est parce que très jeune, je me suis, sans m’en rendre compte à l’époque, inoculé des contrepoisons contre la sous-culture mercantile anglo-saxonne. Très vite, je suis tombé amoureux de la littérature policière française, à travers des personnages comme Arsène Lupin, Fantômas ou Rouletabille. Ce que j’aimais dans ces romans, outre l’intrigue, le style et le suspens, c’était que l’action se déroulait lors de la Belle Époque, époque qui, au regard de la nôtre, est d’un extraordinaire raffinement. Or le raffinement, ainsi que le panache, incarnés par les personnages romanesques précités, sont des valeurs intrinsèquement françaises. Ce que j’aimais donc, même si j’ai mis du temps à le comprendre, c’était qu’à travers cette littérature, je prenais des bouffées de France. En somme : je m’enracinais.
Mon amour pour la littérature policière s’est ensuite transformé en amour pour la littérature tout court, sans laquelle aujourd’hui il m’est difficile de respirer. Parallèlement, j’ai développé une grande passion pour l’histoire, d’où mes nombreuses références en la matière. Je vais faire court ce point : sans connaissances historiques, un esprit ne peut pas être libre. L’histoire est la boussole de la politique.
Ainsi donc, par mon amour pour l’histoire et la littérature, je me suis immunisé contre la crasse ambiante. Car quand on aime la France d’Arsène Lupin et de Fantômas, on est naturellement hermétique à celle de Cyril Hanouna et de Nabilla. De même, quand on sait qui sont Philippe le Bel et Louis XI, on ne peut voir sans mépris nos politocards actuels : autant demander à un musicien classique confirmé de s’extasier devant Pascal Obispo.
En ce qui concerne Pierre Hillard, comme beaucoup, je l’ai découvert sur l’Internet, au printemps 2008, alors que je faisais des recherches sur l’Union européenne. Grâce à une ruse de la providence, j’ai pu le rencontrer en janvier 2010. Depuis lors, nous sommes devenus amis. Nous faisons le point sur les évènements très régulièrement. C’est évidemment très enrichissant. Pierre (j’en profite pour flagorner) est de très loin la plus grande pointure géopolitique actuelle, en tout cas française. Force est de constater que nous vivons actuellement ce que Pierre annonçait déjà il y a plus de dix ans. Quand on voit qu’en 2003 il écrivait déjà contre le marché transatlantique, il y a de quoi faire taire nombre de ses contradicteurs. Le coup de génie de Pierre, ce que la postérité lui reconnaîtra, ce qui fait qu’il a très souvent un coup d’avance sur tout le monde, c’est qu’il a parfaitement compris la tournure d’esprit de nos maîtres, c’est-à-dire le versant proprement spirituel de leur action.Le logiciel dissident français doit une large part de ses références aux travaux de Pierre. Personnellement, Pierre m’a beaucoup appris en géopolitique et en théologie. Pour ma part, je pense plus humblement lui avoir fait découvrir quelques citations de Jules Renard ! Ce qui est aussi extrêmement important…
E&R Aquitaine : Dans l’entrée « Abrutissement », vous parlez de la perte de spiritualité en Europe. Il est courant dans la dissidence de voir ses acteurs se réclamer d’une spiritualité, catholique – souvent traditionaliste ou sédévacantiste – néo-païenne ou encore musulmane, cette liste n’étant pas exhaustive. Quel est votre avis sur l’état spirituel de la dissidence et quelle est votre propre position sur la question ?
Adrien Abauzit : Je ne suis pas compétent pour juger ceux qui s’expriment sur l’islam, n’ayant pas de connaissances profondes en la matière. Au sujet du christianisme, à quelques rares exceptions près, les figures dissidentes qui en parlent ne maîtrisent pas le sujet, pour rester poli. Dans mon humble cas, si certes je fais parfois des citations de la Bible, c’est généralement pour expliquer un point qui relève de l’ordre matériel et je me garde autant que faire se peut de mélanger la religion et la politique. Religion et politique ne doivent pas se mélanger car elles ont un objet différent. L’objet du christianisme, c’est la justification. L’objet de la politique, c’est la défense du bien commun. L’objet du militantisme, c’est la prise du pouvoir. Entendons-nous, ceci ne veut pas dire que le pouvoir ne peut pas se revendiquer d’une religion et de son système de valeurs, cela signifie simplement qu’il faut rendre à César ce qui est à César.
E&R Aquitaine : Le langage est une question récurrente dans votre ouvrage. D’ailleurs, le titre de votre livre, en référence à Orwell, permet de penser à la novlangue. Que vous inspire la politique générale conduite par l’Éducation nationale en terme de langage, notamment avec la loi Fioraso ou encore la disparition du CAPES de lettres classiques signifiant à terme la disparition de l’enseignement du latin et du grec ancien ?
Adrien Abauzit : Le Système a besoin de détruire notre langage. Orwell nous apprend ceci : le champ du langage est le champ de la pensée. Détruire le langage, c’est donc détruire notre pensée. Voilà pourquoi par exemple le rap, par la nullité sidérante de la plupart de ses textes et par le vocabulaire abâtardi qu’il utilise, a fabriqué à la chaîne des générations de décérébrés mentaux. Voici aussi la cause de la loi Fioraso : en américanisant notre langage, le Système souhaite américaniser notre pensée.
La disparition des lettres classiques et des humanités est tout aussi dramatique pour les Français que nécessaire pour le Système. Comme je l’ai évoqué précédemment, la littérature est un vaccin contre le déracinement dans lequel nous plonge le totalitarisme de marché, donc un vaccin contre la servitude cérébrale à laquelle il nous destine. Je dois d’ailleurs dire à ce sujet que je trouve désolant que si peu de dissidents s’intéressent à la littérature.
E&R Aquitaine : Pourriez-vous parler du politiquement correct et de son impact dans la déformation du langage ?
Adrien Abauzit : Le politiquement correct est un mouvement qui nous vient des États-Unis. Il consiste à supprimer du langage des mots réputés préjudiciables pour certaines catégories de la population. À titre d’exemple, quand j’étais au collège et au lycée, on ne disait par exemple jamais « Arabes », « Magrébins », ou « Noir » (celui qui le faisait était suspecté de racisme…). Mais « reubeus », « renois »…Depuis que j’ai compris de quoi relevait ce langage, j’appelle un chat un chat. De même, depuis plusieurs années, a émergé dans la matrice le terme de « diversité ». Quand on ne se voile pas trop la face, on voit que derrière ce mot ne sont désignés ni les roux, ni les Bretons, ni les Moldaves, mais les Noirs africains et les Magrébins. Je bannis de mon langage le mot de diversité que je ne supporte pas entendre. Ceci posé, le politiquement correct ne concerne pas uniquement les questions liées à l’immigration. Ainsi par exemple, on le ressent dans les nouvelles appellations des métiers (éboueurs/techniciens de surface) ou des handicapés (aveugles/mal voyants).
E&R Aquitaine : Vous parlez beaucoup de l’enracinement tel que défini par Simone Weil. Ne sommes-nous pas plongés dans la même situation que les Lorrains du roman Les Déracinés de Maurice Barrès ?
Adrien Abauzit : À vrai dire, non ; notre situation, d’un point de vue culturel, est mille fois pire que celles de nos chers Lorrains. À l’époque, malgré l’influence grandissante de la franc-poissonnerie, la France n’était pas autant sous contrôle étranger qu’aujourd’hui. Se faisant, le peuple français n’avait pas encore à subir le déferlement de la sous-culture mercantile anglo-saxonne et l’immigration de masse. En outre, à cette époque l’école publique existait encore. À ce titre, le premier chapitre des Déracinés est significatif…
E&R Aquitaine : Vous citez Aimé Césaire à propos du génocide par substitution et faites un parallèle entre la repentance concernant la traite transatlantique et le silence concernant le servage et les autres traites esclavagistes. Un mot plus général concernant le racisme antiblanc ou antifrançais ?
Adrien Abauzit : Il y a une incroyable cécité autour de la question du racisme antiblanc. Moi qui, plus jeune, ai eu le privilège de me faire traiter, dans mon propre pays, de sale Français, de sale Gaulois, de sale babtou ou de sale gwehr, lorsque j’entends quelqu’un, du Système ou de la dissidence, nier cette réalité, l’envie de lui mettre une paire de claque me démange furieusement. Je note que plus les années passent, plus ce racisme s’accroît et se radicalise, au point qu’une frange de la jeunesse d’origine autrichienne et luxembourgeoise se situe ouvertement (je pourrais raconter des dizaines d’anecdotes là-dessus), dans une logique de contre-colonisation de la France. Nos maîtres s’en frottent les mains. Ma légitimité pour parler de tout cela, c’est d’y avoir été confronté. Je suis prêt à prendre en débat n’importe quel contradicteur sur le sujet. Nier le racisme antiblanc sous prétexte qu’on ne l’a pas vécu, est aussi insupportable à mes yeux qu’un bourgeois qui nierait l’existence des difficultés sociales pour ne les avoir jamais rencontrées.
E&R Aquitaine : À plusieurs reprises vous évoquez l’illégitimité de la souffrance. Pourriez-vous expliquer cette notion ?
Adrien Abauzit : Je prolonge la pensée de Nietzsche en l’appliquant à notre époque. Que nous dit Nietzsche ? L’homme souffre de vivre. Et pour donner un sens à cette souffrance, il a d’abord inventé le judaïsme puis le christianisme. Il a raison sur un point : le christianisme accorde un rôle très important à la souffrance, puisque c’est par elle, notamment, que se joue notre rédemption. Or, ça n’a échappé à personne, notre monde est profondément déchristianisé. Beaucoup de personnes se disant sincèrement chrétiennes, quoique naïvement, n’abordent pas leur religion comme une vérité révélée.
Puisque nous n’avons plus le Christ pour supporter la souffrance, alors la souffrance nous est devenue insupportable et nous tentons de la bannir par tout moyen. La souffrance a perdu son sens. Elle est illégitime. D’où les pressions d’une partie de la société en faveur de l’euthanasie, que le Système est ravi de récupérer dans une optique beaucoup plus macabre. Christopher Lasch dans La Culture du narcissisme, remarque que l’individu contemporain ne se situe plus du tout dans une logique de justification, mais uniquement dans une culture de bien-être et de jouissance du moment présent. C’est tout à fait juste, et la cause de cela, la cause profonde, c’est la déchristianisation, qui elle-même a engendré l’illégitimité de la souffrance. De cela est également né le politiquement correct : on modifie notre langage et notre pensée pour ne pas faire souffrir autrui. Très souvent d’ailleurs, cette souffrance n’est que présumée…
E&R Aquitaine : Parmi les « droites » françaises, deux écoles de pensée ont profondément marqué le paysage politique, l’Action française et le GRECE. L’une est centenaire, l’autre a débuté à la toute fin des années 1960. Ces héritages vous semblent-ils encore pertinents ? Y aurait-il une voie pour les dépasser, quitte à en faire la synthèse au préalable ?
Adrien Abauzit : Je ne connais que très superficiellement le GRECE. Je suis certain qu’on peut y trouver des analyses intéressantes, mais pour être honnête, le côté païen, outre qu’il heurte mes convictions religieuses, me paraît complètement ridicule. Pour ma part, je situe l’Action française plusieurs tons au-dessus du GRECE. Jacques Bainville a été un historien limpide et un géopoliticien clairvoyant. Quant à Léon Daudet, il est, pour dire les choses simplement, une des plus belles plumes françaises du XXème siècle. La lecture de Léon Daudet est toujours pour moi un moment d’évasion pure. Par l’impériosité, la clarté, le raffinement et l’élégance de son style, le lecteur s’élève immanquablement. Léon Daudet est également l’écrivain français le plus drôle du XXème siècle. Les portraits acerbes qu’il dresse de ses ennemis politiques, Aristide Briand en tête, sont hilarants. En outre, Léon Daudet a eu le courage de dévoiler les coulisses du Système de l’époque : « Ce qu’on trouve, en dernière analyse, au fond de la République, c’est, symboliquement parlant, Rothschild et Vidocq associés, même quand Rothschild s’appelle Stavisky ou Oustric et quand Vidocq s’appelle Bonny ou Sarraut. » Il s’est attaqué également avec beaucoup de courage à la franc-poissonnerie, qu’il accuse par exemple du meurtre du président de la République Paul Doumer. Soit dit en passant, Daudet jouissait d’une liberté d’expression nettement plus grande que celle qui existe aujourd’hui.
Je dois avouer qu’à l’heure actuelle, je n’ai quasiment rien lu de Maurras. L’Action française est un logiciel intellectuel remarquable dans lequel j’invite tous ceux qui seraient soucieux de s’enraciner, de puiser. Pour ma part, j’essaie autant que se peut, à mon humble échelle, de précipiter la fin de la droite officielle actuelle (qui est de gauche, comme l’atteste l’UMP), afin de recomposer la droite dans la mesure du possible avec des idées dissidentes. La réactivation du logiciel de l’Action française pourrait être l’un des piliers de la nouvelle doctrine de la droite. Je tiens à préciser que l’accusation d’antisémitisme visant l’Action française est un outrage à la vérité. Si antijudaïsme il y a chez Maurras, ni lui, ni aucune autre figure du mouvement n’a jamais préconisé la persécution de juifs. J’ajoute que les premiers résistants étaient de l’Action française et Fernand Bonnier de La Chapelle, qui assassina Darlan, était lui aussi du mouvement.
E&R Aquitaine : Abordons la question de la culture, et plus précisément des contre-cultures, un des thèmes les plus largement mal compris par la droite classique française. Vous parlez beaucoup de la sous-culture mercantile anglo-saxonne. On pense bien évidemment au rap, au R’n’B et à l’électro. Vous citez d’ailleurs Fred Chichin à propos du rap. Connaissez-vous le travail de Mathias Cardet sur le sujet ?
Adrien Abauzit : Oui bien sûr, j’ai lu son livre. C’est un ouvrage passionnant qui permet de comprendre un outil du totalitarisme de marché. À vrai dire, ce livre est un livre que j’attendais depuis longtemps. Le rap a fait beaucoup de mal à notre société. Les wesh-weshs sont drogués au rap. Socialement, ils en meurent, car l’excès de sous-culture mercantile anglo-saxonne les coupe des codes sociaux du reste de la société française, qui, elle, n’est pas exclusivement structurée autour de ce modèle.
Un bobo ne souffre pas d’écouter du rap, car souvent, il possède d’autres codes anthropologiques et culturels, et n’adhère jamais entièrement aux canons de la sous-culture mercantile anglo-saxonne. Mais quand on voit que certains wesh-weshs n’arrivent pas à se dégager de leur langage lors d’entretien d’embauche, là on comprend le rôle criminel joué par le rap. Le plus pathétique dans tout cela, c’est que nos wesh-weshs déifient la cause de leur servitude.
E&R Aquitaine : L’historiographie montre de manière générale, les racines tant populaires que savantes des musiques américaines, jazz, blues, country, rock et les liens avec les folklores tant africains qu’européens. Pourriez-vous donner une idée de ce que pourrait être une musique ré-enracinée tenant compte de l’état de la France et sublimant ses plaies contemporaines, notamment la fracture raciale ? Et question subsidiaire, que pensez-vous de l’atonie musicale en France de nos jours ?
Adrien Abauzit : L’atonie n’est pas que musicale en France. Il y a une crise de la créativité artistique contemporaine globale qui frappe toutes les branches de l’art : cinéma, architecture, littérature, musique, peinture et j’en passe. N’étant pas musicien moi-même, je me garderai bien de donner des conseils musicaux à qui que ce soit. Toutefois, en musique, comme en toute discipline artistique, pour créer une œuvre digne de ce nom, je pense qu’il est deux conditions nécessaires : se prémunir contre la sous-culture mercantile anglo-saxonne – en d’autres termes, être absolument hermétique à ce que notre époque sous-civilisée a produit et continue de produire – et s’enraciner, c’est-à-dire se nourrir des trésors de notre passé. Voilà le secret.
E&R Aquitaine : Que pensez-vous de la pornographie contemporaine comme instrument de déséducation des masses, dans l’appréhension de l’amour et de la réciprocité de la relation charnelle ? Que dire à propos de l’exaltation sadienne du « toujours plus » conduisant à une insatisfaction généralisée alors qu’aucune autre époque n’a prétendu être aussi libertine ?
Un mot sur Sade : écrivain surcoté.
Le drame de notre société, est qu’elle est absolument vide d’amour. Notre époque est un cœur sec. La notion même d’amour est étrangère au grand nombre. Malheureusement, beaucoup confondent l’amour avec la passion, l’affection, l’attirance ou l’attachement. L’amour, aux yeux de la majorité passe pour être un sentiment. Rien n’est plus faux : l’amour est un état. Ce qu’un homme ressent pour sa mère, ses enfants, sa femme ou le Christ quand il est croyant, relève du même phénomène, l’amour ; l’amour qui est le don de soi. On peut juger de notre amour pour une personne en fonction de la capacité de sacrifice que nous avons pour elle. L’amour, je le répète, est le don de soi.
L’un des facteurs du divorce de masse, est je pense le fait que les individus se leurrent souvent sur ce qu’est l’amour. De la désillusion naît ensuite le divorce. Le Système, dois-je ajouter, qu’il le fasse consciemment ou pas, fait tout pour que les êtres aient une conception erronée de l’amour. Ainsi par exemple, les love stories des films ou des séries, ne sont pas des histoires d’amour mais des histoires de passions. L’amour, qui est censé être le précepte directeur de notre vie, est malheureusement pour l’individu contemporain un parfait inconnu.