François Roby est maître de conférences en physique au sein de l’université de Pau. Depuis 2017, il est accusé par le CRIF et la DILCRAH d’être un « négationniste, raciste, antisémite et fou ». Le 18 mars 2019, il était jugé en appel au ministère de la Recherche dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
E&R : Pouvez-vous nous résumer l’affaire ?
François Roby : En septembre 2016, le maire d’Albertville Mme Berthet refuse de prêter une salle à l’Association France Palestine Solidarité qui invitait le professeur de chirurgie Christophe Oberlin, médecin humanitaire, pour parler de Gaza. Dans un article du Dauphiné du 8 septembre 2016, Mme Berthet justifie cette décision par le fait que ce chirurgien aurait tenu des propos antisémites et soutenu Dieudonné.
J’ai alors envoyé de mon bureau un courriel indigné qui ne cachait pas mes fonctions à l’adresse de contact du maire pour exprimer ma désapprobation, connaissant les hautes qualités morales du docteur Christophe Oberlin. Mme Berthet a alors porté plainte contre moi (le 19 septembre 2016) pour diffamation, et s’est adressée au président de mon université (université de Pau et des Pays de l’Adour, UPPA) pour que des sanctions disciplinaires soient prises contre moi.
Le 29 septembre 2016 Christophe Strassel, alors directeur de cabinet de Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a communiqué au président de l’UPPA un « signalement » de mon blog fait par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA).
Dans une lettre datée du 4 octobre 2016, les avocats de la ville d’Albertville m’ont intimé de rédiger une lettre d’excuses, tout en précisant que Mme le maire était « prête à renoncer à la procédure pénale et à la procédure disciplinaire » après réception de ces excuses.
J’ai alors rédigé le 9 octobre 2016 une première lettre, en reconnaissant volontiers que le ton employé était celui de la colère mais en détaillant mes arguments de fond, et notamment que le chirurgien avait eu raison de soutenir Dieudonné face au déluge d’attaques injustes dont il avait été victime. Ma lettre, de 8 pages hors annexes et 24 pages au total, reprenait notamment l’article l’Antisémite [1] que j’ai consacré sur mon blog au film de Dieudonné du même nom.
Le 12 octobre 2016 les avocats de la mairie m’ont adressé une lettre « énervée » estimant que mes excuses n’en étaient pas et ont exigé une deuxième lettre d’excuses « claire, courte, de dix lignes, et pas davantage ». En reprenant des extraits de la première lettre j’en ai renvoyé une seconde selon le « cahier des charges » exigé. Je n’ai plus jamais entendu parler des avocats de cette ville depuis.
Le 19 décembre 2016 le président de l’UPPA déclenche une procédure disciplinaire contre moi, précisant qu’il m’est reproché :
d’avoir tenu des propos injurieux et diffamatoires vis-à-vis d’une élue de la République,
d’avoir tenu publiquement des propos à connotation antisémite et négationniste sur mon blog.
Une première audition a lieu le 16 janvier 2017 dans le cadre de cette procédure disciplinaire.
Le 6 février 2017 le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), M. Francis Kalifat, adresse au président de l’UPPA une lettre injurieuse et diffamatoire envers moi, me qualifiant notamment de « raciste », « antisémite », « esprit totalement dérangé », « savant fou », « militant d’extrême droite halluciné dont le cas ressort de la loi Gayssot, sinon de la psychiatrie ». Francis Kalifat tente de démontrer que mon esprit est « totalement dérangé » en citant (de façon approximative) 10 articles de mon blog, démonstration à laquelle je réponds publiquement dans l’article Les étranges inventions de M. Kalifat [2].
Le 20 février 2017 la présidente de la commission disciplinaire me convoque à une seconde audition suite à la lettre du CRIF, qui aura lieu le 13 mars 2017. Le 5 mai 2017 se réunit la formation de jugement, à laquelle participe, en plus des membres désignés, mon ami François Sebesi, citoyen français qui se revendique lui-même juif et antisioniste, en visioconférence depuis la Guadeloupe. Il a auparavant (10 mars 2017) envoyé un plaidoyer de 17 pages en ma faveur à la présidente de la commission, en dénonçant vigoureusement les agissements du CRIF.
Par une lettre datée du 15 mai 2017, soit le jour même de la réception par l’UPPA de deux lettres recommandées de François Sebesi « Conclusions de la défense » et « Observations de la défense », la présidente de la commission disciplinaire me notifie la sanction : deux ans d’interdiction d’exercice avec retenue de la moitié du salaire. Ni le plaidoyer écrit de François Sebesi du 10 mars 2017, ni ses arguments développés lors de la session de jugement ne sont mentionnés.
La sanction étant susceptible d’appel, et l’appel suspensif, je fais appel de cette décision en juillet 2017. Selon la procédure normale, l’affaire est alors portée devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) qui me convoque d’abord pour une audition le 14 mai 2018, conformément au code de l’éducation. Lors de cette audition est présent le vice-président de l’UPPA qui vient réclamer le maintien voire le durcissement de la sanction, selon le souhait du président de l’UPPA exprimé dans une lettre au CNESER datée du 7 mai 2018 et parvenue par courriel au CNESER le 9 mai 2018. Respectueux des institutions et totalement confiant en les responsables de l’université, je me rends alors compte que j’ai peut-être été un peu naïf et pour la première fois de ma vie, décide à la fin de l’été 2018 de faire appel à un avocat qui obtient le report de l’audience du 18 septembre 2018. La séance finale de jugement se tiendra en définitive le 18 mars 2019.
Entre temps mon avocat a demandé au président de la commission disciplinaire du CNESER de convoquer deux témoins, ce qu’il a refusé.
Le jour du jugement, mon avocat demande l’audition des deux témoins que j’ai fait citer par huissier de justice à mes frais ; nouveau refus. Tout comme est refusée la projection d’un extrait de vidéo de l’épisode 3 du documentaire The Lobby - USA, intitulé « La chasse aux sorcières », sous-titré en français par le site français Orient XXI qui l’a diffusé en novembre 2018 [3].
Une fois la séance terminée, et après quelques minutes de délibération, la formation de jugement du CNESER annonce aux personnes présentes une sanction à mon encontre de quatre ans d’interdiction d’exercice dans tout établissement public d’enseignement supérieur, avec retenue de la moitié du salaire, soit le double de la sanction initialement prononcée par l’UPPA, sans préciser sa motivation ni la date d’application de la sanction.
Quelles sont vos impressions suite au procès ?
La tenue de cette séance a bafoué les règles les plus élémentaires du droit de la défense : refus de témoins, refus de désigner un secrétaire-greffier de séance, refus de visionner un document vidéo dans la droite ligne de l’affaire, refus d’accuser réception du mémoire en défense présenté par mon avocat (et même, en début de séance, refus de prendre le mémoire lui-même !)… De plus à aucun moment n’a été suivie une méthode pourtant indispensable en droit :
1) établir les faits
2) établir si ces faits sont passibles de sanctions.
Les accusations initiales de l’UPPA portaient sur le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme supposés de mon blog, plus mes propos envers Mme Berthet qui sont pour moi une affaire classée. Déjà, un blog est une publication privée et à aucun moment il n’a été envisagé de se renseigner sur mes activités en tant qu’enseignant : suis-je apprécié ou pas de mes étudiants ? Est-ce que j’encourage mes étudiants à lire mon blog ou est-ce que j’aborde en cours les sujets qui y sont traités et qui sortent du cadre de mes enseignements ? S’informer auprès de mes étudiants n’a pas été fait par les « enquêteurs » du CNESER.
En matière de racisme, l’accusation s’est vite avérée impuissante, puisque je consacre au contraire sur mon blog des articles à dénoncer les idéologies de ce type [4], et puisque l’origine même de cette commission disciplinaire remonte à l’indignation que j’ai exprimée face aux mensonges répandus sur le docteur Christophe Oberlin, lui-même militant activement contre le racisme et ayant écrit un livre sur le sujet.
Restaient donc « l’antisémitisme » et le « négationnisme ». Le CNESER n’a pourtant pas prouvé les accusations d’antisémitisme, ce qui est logique puisque s’il s’agit d’un racisme, la démonstration était déjà faite que je ne suis pas raciste, et s’il s’agit d’autre chose comme l’opposition à une religion ou à une culture, restant sur le plan du débat intellectuel, aucune loi ne permet de poursuivre cela dans la République laïque qu’est la France.
J’ai toutefois noté (et les personnes présentes l’ont remarqué) que Mme Broyelle semblait m’attribuer les pensées des commentateurs de mon blog puisqu’elle a commencé par me demander si c’était bien moi qui modérais les commentaires sur mon blog (j’ai répondu oui), pour ensuite me lire le commentaire d’un lecteur (premier commentaire de l’article Les sixmillions) qui était assez critique envers les juifs et l’exploitation faite de la Shoah. J’ai alors fait remarquer que je ne laissais pas passer uniquement les commentaires qui allaient dans le sens de mes idées et lui ai demandé si elle pouvait lire la réponse que j’avais faite à ce lecteur, dans laquelle je donnais justement mon avis. Mme Broyelle m’a simplement répondu : « Non ! »
Mme Broyelle m’a également demandé si c’était bien moi qui faisait une « quenelle » sur la page « Vous êtes ici » [5] de mon blog (quenelle dont la signification avait été expliquée en long et en large dans les pièces de mon dossier, références à la déclaration de M. Cukierman, ancien président du CRIF, à l’appui). Il semble donc qu’il existe encore des universitaires pour croire à la définition de la quenelle proposée par M. Jakubowicz, alors président de la LICRA [6].
J’ai aussi noté que M. Olivier Lecucq, vice-président de mon université, insistait sur l’application de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 dite loi Gayssot après avoir signé, en 2006, une pétition de juristes s’opposant à cette même loi [7], comme il l’a d’ailleurs reconnu à l’audience du 18 mars 2019.
L’accusation s’est donc finalement concentrée sur le « négationnisme », bien que je me fusse déjà longuement expliqué oralement et par écrit sur le sujet : étant physicien et non historien, je n’émets aucune affirmation sur ce qui s’est réellement passé dans les camps de concentration nazis (j’en émets, par contre, sur le 11 Septembre), mais je rappelle que si l’histoire est une science alors elle ne peut pas reposer sur des dogmes, mais uniquement sur l’utilisation libre de documents et de la raison. Autrement dit, et comme de nombreux historiens l’ont eux-mêmes déploré, la loi, en imposant un dogme en histoire, revient à sortir l’histoire du discours rationnel pour en faire un discours de type religieux. Or, disent ces mêmes historiens, « L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant. ». [8]
J’ai rappelé que je m’appuyais sur l’excellent livre de Jean Bricmont La République des censeurs [9], démontrant parfaitement l’absurdité de la notion même de « négationnisme » puisque, prise à la lettre, elle s’applique également aux auteurs les plus encensés de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Par exemple Raul Hilberg, historien américain de réputation mondiale, dont les ouvrages sont largement diffusés dans les bibliothèques (j’avais pour l’occasion emprunté La destruction des Juifs d’Europe à la médiathèque intercommunale de l’agglomération de Pau, et l’ai montré à l’audience), qui écrit notamment : « Pour détruire les Juifs d’Europe, il ne fut créé ni organisme spécial, ni budget particulier » (p. 113, folio histoire, Gallimard édition 2006) ou encore « Le processus de destruction se déroula selon un schéma définissable — ce qui ne signifie pas qu’il ait correspondu à un plan préétabli » (ibid., p. 100). Le même auteur déclare encore (Le Monde des livres, 20 octobre 2006, p.12) : « Il n’y avait pas de schéma directeur préétabli. Quant à la question de la décision, elle est en partie insoluble : on n’a jamais retrouvé d’ordre signé de la main d’Hitler, sans doute parce qu’un tel document n’a jamais existé. »
Il semble donc qu’on me taxe de « négationnisme » pour savoir lire et citer — comme je suis censé l’apprendre à mes étudiants — des livres « autorisés », et par cela démontrer (à la suite de Jean Bricmont) la vacuité de cette notion. Or, avant de répondre à une question, l’universitaire que je suis doit d’abord se demander si la question a un sens. Mais, aux yeux du CNESER, ces publications de mon blog constituent « une faute d’une particulière gravité qui jette le discrédit sur l’université ».
J’ai terminé en demandant s’il était interdit à un enseignant-chercheur de faire de la recherche bibliographique dans sa propre université, sachant que se trouve à la bibliothèque de l’UPPA, par exemple, un exemplaire librement empruntable de Vérité historique ou vérité politique ? de Serge Thion, auteur qualifié sans ambiguïté de « négationniste » par Wikipédia. Je l’avais également apporté pour l’occasion, afin de pouvoir le montrer. Je n’ai eu aucune réponse.
Je suis donc lourdement sanctionné alors que nul n’est inquiété pour mettre librement à la disposition des étudiants de mon université un livre de Serge Thion affirmant en quatrième de couverture « Les arguments de Faurisson sont sérieux. Il faut y répondre. » et comportant, pour la moitié de ce livre comptant 347 pages, des textes de cet auteur.
Je pense que notre époque fait résonner particulièrement cette phrase de Hannah Arendt, dans Les Origines du totalitarisme (1951) : « Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu ni le communiste convaincu, mais celui pour qui les distinctions entre fait et fiction (i.e. la réalité de l’expérience) et entre vrai et faux (i.e. les normes de la pensée) n’existent plus. ».