Version revue et retouchée pour Égalité & Réconciliation du texte paru dans Rébellion, n° 58, mars/avril 2013.
[Lire la deuxième partie de l’entretien]
Comment voyez-vous l’évolution des révoltes en Europe ? L’Union Européenne va-t-elle être amenée à durcir son emprise sur les États et les peuples ?
La Commission européenne a perdu la bataille des idées. L’Union européenne est aujourd’hui reconnue pour ce qu’elle est : une dictature des banques et des lobbies. Et c’est tout. Les dirigeants politiques que l’on a fait sauter en Grèce ou en Italie pour les remplacer par des cadres de Goldman Sachs, ou encore les directives de la PAC aux ordres de Monsanto, telles que le Catalogue des semences autorisées et le Certificat d’obtention végétale, trahissent le vrai projet totalitaire de l’UE (sans compter les dénis de démocratie référendaire).
Mais les technocrates de Bruxelles vont refuser de nous laisser sortir de la prison qu’ils ont construite, et qui va se transformer progressivement en un camp de concentration aux dimensions d’un continent. Pour fabriquer notre consentement au pyjama rayé et tenter de conserver les apparences de la démocratie, la Commission européenne va donc nous livrer une guerre cognitive sans merci pour nous convertir de force à l’idéologie euro-régionaliste et surtout construire notre acceptation à la baisse du niveau de vie et aux souffrances qui vont nécessairement avec.
La dernière mouture de cette guerre culturelle, je l’ai vue sur Internet exprimée par un membre du Front de gauche. Il ne s’agit plus de dire : « L’Union européenne, c’est bien », car tout le monde éclate de rire. Il s’agit de dire : « L’Union européenne n’a aucune influence, et les États-nations sont toujours aussi souverains qu’avant. » On le voit, les éléments de langage ont changé, mais en pire. De la tentative de persuasion d’un mensonge, on passe à la négation pure et simple du réel. Autrement dit, on institue la psychose, l’hallucination. C’est ce genre de déni de réalité psychotique qui risque de se généraliser, au moyen de relais dans la population. Une information récente annonçait que l’UE avait l’intention de financer des brigades de « trolls » sur les forums Internet pour contrer les eurosceptiques qui s’y expriment. Ce ne sera évidemment pas suffisant et il y aura des tentatives pour criminaliser la simple expression de la critique de l’UE ou des projets pour en sortir, par exemple interdire l’expression du nationalisme en essayant de l’amalgamer au racisme ou à l’antisémitisme.
Tout ça pour rien puisque nous sortirons de l’UE et de l’euro nécessairement un jour ! Dans les années 1980, l’Union soviétique, l’une des pires dictatures de l’Histoire, donnait l’impression de pouvoir durer encore très longtemps. Et puis ça n’a duré que 70 ans. De sorte à hâter notre processus de sortie de l’UE et de l’euro, il faut donc communiquer dès à présent sur l’après-Union européenne et l’après-euro. Préciser que la question n’est pas « si », mais « quand » nous sortons de l’UE. Pour ce faire, il faut communiquer autour de nous sur le retour aux monnaies nationales et aux États-nations. La création de monnaies locales ou alternatives est une idée séduisante, mais je crains que l’échelle de développement soit trop faible pour offrir un contre-pouvoir efficace au rouleau compresseur globaliste. En outre, si ces monnaies locales cohabitent avec l’euro, elles resteront indexées dessus forcément, et ne serviront donc à rien.
Vous distinguez ingénierie sociale négative et ingénierie sociale positive. Cette dernière est-elle un élément possible pour la résistance au système ?
L’ingénierie sociale négative (IS-), c’est la méthode générale de production de crise. À l’inverse, l’ingénierie sociale positive (IS+), c’est la méthode générale de sortie de crise. Le point de départ de toute l’IS+, c’est donc la stabilité de l’humeur. Pour sortir de la crise, il faut déjà l’expulser en dehors de soi. C’est une sorte d’exorcisme : « Vade retro chao ! Sors de ce corps ! » C’est la base, sans laquelle on ne peut rien commencer, ni rien reconstruire ou reconquérir.
La stabilité de l’humeur, c’est aussi la lucidité. La crise, c’est la perte de lucidité, quand tout est instable, à court terme, émotionnel ou instinctif ; la sortie de crise consiste donc à reconstituer de la stabilité, de la maîtrise émotionnelle et une vision à long terme. La maîtrise du tonus émotionnel est essentielle en IS+, c’est par là qu’il faut commencer, car cette disposition permet de rester lucide et de durer. « Résistance » est synonyme de « durabilité ». Dans un rapport de forces, la seule chose qui compte est de durer. Celui qui gagne, c’est celui qui dure plus longtemps que l’autre. Il faut donc aussi savoir s’économiser, selon le proverbe « Qui veut aller loin, ménage sa monture ». Dans un système de domination fondé sur l’hystérie, la crise, l’anarchie, le chaos et l’instabilité émotionnelle, le premier geste de la résistance au système, le premier geste de l’IS+, c’est la stabilisation de l’humeur, l’équanimité, l’impassibilité. La virilité, en un mot. Rester zen en toutes circonstances et prêcher par l’exemple, de sorte à contaminer positivement son entourage et son environnement. Le reste suivra. Tout ce qui est stable est anticapitaliste et antimondialiste. Pour reprendre le concept de Base Autonome Durable, il faut non seulement bâtir des BAD, mais il faut devenir soi-même une BAD.
On peut s’inspirer de la manière dont le Kremlin gère la crise syrienne, ou comment Obama et Brzezinski gèrent le lobby israélien aux USA depuis quelques années. Il s’agit de calmer le malade. Pour cela, s’inspirer des techniques employées par la psychiatrie et la psychanalyse : dans la mesure du possible, ne pas répondre au délire, le laisser se vider et s’épuiser de lui-même. Si l’on est obligé de répondre au délire, alors on peut aller dans son sens, dire « Oui, oui, vous avez raison », mais sans le prendre au sérieux et continuer d’agir contre lui.
Précisons une chose : pour se faire accepter, l’IS- est toujours obligée d’avancer masquée, de mentir, de hameçonner (le « phishing »). Le Pouvoir nous plonge dans un monde invivable, entièrement chaotique, où rien n’est prévisible et où sont entretenus volontairement l’insécurité, la délinquance, le crime ainsi que tout ce qui est anxiogène et facteur de précarité socioéconomique et mentale. Mais pour faire passer plus facilement ce génocide en cours, on convoque les notions de justice et d’égalité, qui ne servent ici que de hameçons. Le mensonge, la simulation, le simulacre, sont donc structurels en IS-. À l’opposé, l’IS+, la sortie de crise, c’est donc non seulement la reconstruction de sécurité et de stabilité, mais aussi le simple fait de dire la vérité. Parfois, il faut ruser, en fonction du rapport de forces. Ruser, c’est-à-dire faire du contre-phishing, du contre-hameçonnage. Contourner la censure réclame parfois des acrobaties sémantiques. L’IS-, en tant que cheval de Troie de la destruction, c’est « un faux bien pour un vrai mal » : on prétend dire la vérité pour faire passer une fiction. L’IS+, en tant que cheval de Troie inversé, cela peut être « un faux mal pour un vrai bien » : on utilise la fiction pour faire passer la vérité.
Face à la domination globalisée du Capital, quelles voies individuelles et collectives nous reste-t-il pour vaincre ?
Il faut s’engager dans tous les démarches qui reconstituent de la souveraineté, à tous les sens du terme : alimentaire, énergétique, économique, politique et cognitif. La souveraineté, c’est-à-dire l’autonomie, est anticapitaliste par définition. La définition du capitalisme c’est « Tout système où l’argent est la valeur suprême ». Si vous mettez une valeur au-dessus de l’argent, l’État-nation par exemple, vous sortez techniquement du capitalisme. Le capitalisme ne tolère aucune frontière ni aucun protectionnisme car il est, par nature, supranational, transnational, multinational, voire international, selon la définition de ce terme. La base de la base, le plus facile à faire, c’est de commencer à reconquérir sa souveraineté cognitive en mettant la télévision à la poubelle et en se coupant totalement et définitivement des gros médias de désinformation. Ensuite, pour la souveraineté économique, ne souscrire aucun crédit et laisser le moins d’argent possible à la banque. Il faut avoir le maximum en petites coupures, en or, en objets, ou sur un compte hors de la zone euro.
Il y a une guerre à mener. Une guerre culturelle et cognitive, une guerre des idées et des cerveaux, une guerre des mots et des représentations, et nous pouvons en devenir les soldats. Il faut donc créer des synergies autour d’un projet commun : la lutte contre le mondialisme. Des nuances existent dans cette lutte, mais concentrons-nous sur ce qui nous rassemble. À cette fin, nous devons devenir des propagandistes du quotidien. Toutes les occasions sont bonnes pour diffuser des idées : cercle d’amis, famille, épicier, travail, inconnus dans la rue, forum Internet, Facebook, etc. Ne pas craindre de passer pour monomaniaque. De toute façon, c’est une question de survie. Parfois il faut ruser, et ne pas attaquer frontalement mais adopter une stratégie indirecte. Il peut être opportun d’infiltrer des mouvements pour essayer de les retourner en y faisant de l’influence. Entrisme et noyautage, à l’UMPS ou ailleurs.
Dans tous les cas, afin de hâter les événements au moyen d’énoncés performatifs à fonction de prophéties auto-réalisatrices, il faut « communiquer » sur le retour protectionniste des frontières et sur l’après-Union européenne, par exemple, mais aussi communiquer sur l’après-Empire américano-israélien, pour le faire tomber plus vite, ainsi que sur l’après-nihilisme et le retour aux vraies valeurs structurantes : méritocratie, patriotisme économique, sens du collectif, du service public et du « prendre soin » du pays (le « Care »), etc.
Au-delà de la bataille des idées que nous sommes en train de gagner, il ne faut pas oublier qu’il faudra un jour transformer l’essai, c’est-à-dire qu’il y ait une traduction de cette reconquête de souveraineté dans les urnes. Il n’y a aucune porte de sortie en dehors de l’institution. Et pour ma part, je ne vois qu’un seul parti politique en état d’arranger les choses. Je l’égratigne un peu dans GPLC, mais j’ai évolué sur cette question. Par ailleurs, on peut lui trouver tous les défauts qu’on veut, mais tant qu’il n’a pas exercé concrètement le pouvoir, ce sont des critiques virtuelles. Aujourd’hui, l’anticapitalisme cohérent conduit donc nécessairement à soutenir le Front national, y compris pour les immigrés, qui ont intérêt à la stabilité politique dans ce pays autant que les nationaux. En attendant Marine Le Pen à l’Élysée, il faut « faire carrière » dans le Système et dans l’institution, pour en reprendre le contrôle de l’intérieur. Sinon, tout ce que vous faites reste marginal, donc sur un siège éjectable. Tous les réseaux d’influence sérieux le comprennent et l’appliquent. Aujourd’hui, si vous voulez vraiment devenir un contre-pouvoir à l’Empire, au sens de Soral, il faut posséder la bombe atomique, donc se hisser aux moyens logistiques d’un État. On le voit bien avec la crise syrienne. Si le peuple syrien et son gouvernement n’étaient pas protégés par la Russie et la Chine, deux puissances nucléaires, la Syrie aurait été envahie rapidement par l’entité sioniste et les USA, deux autres puissances nucléaires (et les deux principaux facteurs de troubles aujourd’hui). L’Irak ou la Libye n’ont pas tenu très longtemps.
Vous faisiez remarquer que l’oligarchie au pouvoir était à bout de souffle. Coupée du peuple et sans renouvellement de qualité. Est-elle condamnée par sa propre nature ?
Ce qui va nous sauver, indépendamment de notre travail et de notre mérite, c’est, paradoxalement, que le niveau baisse, comme on dit. Le niveau, c’est-à-dire le niveau intellectuel, baisse partout, en premier lieu au sein de l’oligarchie. Le niveau baisse à cause de l’oligarchie, mais cela l’impacte également. Le shock-testing du Pouvoir pour éviter tout choc en retour aux chocs qu’il inflige, autrement dit le découplage complet des classes socioéconomiques, qu’on appelle aussi le double standard, la double éthique, ne marche pas si bien que cela et aboutit au phénomène de l’arroseur arrosé. Quand il nous frappe, il se frappe aussi.
Par exemple, la génération de désinformateurs professionnels qui occupe les médias depuis les années 1970, cette génération de gens plutôt bons en rhétorique et parfois réellement brillants, n’a pas réussi à organiser sa relève, sans doute plus préoccupée d’elle-même que de transmettre. À leur place, on a droit à quoi : des hystériques incultes et qui n’ont clairement pas le niveau. Donc nous avons gagné. Maintenant, il faut attendre que la génération des soixante-huitards meure entièrement, tout en continuant de notre côté à tenir notre position et notre niveau d’exigence. Les technocrates dans les institutions, à Bruxelles ou ailleurs, changeront aussi. Mais nous, nous ne changerons pas. Mécaniquement, dans cette guerre d’usure et de tranchées, nous allons gagner par forfait de l’ennemi. Dans tout conflit, la seule chose qui compte, c’est de durer. Celui qui dure plus que l’ennemi, eh bien c’est celui qui a gagné. Nous, le peuple de France, nous allons durer plus que notre ennemi. Pour durer plus que l’ennemi, il faut s’économiser, gérer son énergie, donc ne pas tout donner d’un seul coup, ne pas tout dépenser rapidement, mais travailler patiemment selon un rythme lent mais assuré, ce que j’appelle une « révolution lente », ou une « transformation silencieuse ». Si l’on reprend La Fontaine, nous sommes la tortue, et l’ennemi est le lièvre. Et qui gagne à la fin ?