Le 24 janvier dernier, le Grand Orient rendait public un Manifeste sous-titré : « Une espérance républicaine au 21e siècle », texte dont tous les paragraphes commencent par « Nous francs-maçons du Grand Orient de France... »
Le Grand Orient de France, c’est cinquante mille et quelques membres, ce qui ne fait pas beaucoup. On se demande même de quel droit ces messieurs (et dames) se permettent pareille exhibition dans l’espace public et à quel titre ils se croient obligés de faire la leçon aux pouvoirs publics. Beaucoup de bruit de la part de pas grand-chose !
Ce Manifeste, après des considérations générales sur la liberté de conscience, l’instruction, la connaissance, les droits de l’homme, la souveraineté etc... ferme le ban avec sainte Laïcité, panacée universelle, flamboiement de la liberté, ciment de l’égalité, ferment de la fraternité. Chacun récite les litanies qui sont les siennes, en matière de laïcité, nous voilà servi.
Rien d’original dans ce Manifeste, rien qui ne sorte de l’ordinaire, une fois de plus, ces francs-maçons, fidèles à leur tactique séculaire, récupèrent ce qui s’est fait avant eux pour mieux s’en prévaloir. Cela s’appelle du détournement. Sur le plan politique, ce texte, un Mélenchon l’aurait signé aussi sec.
Altermondialiste, voyant dans l’universalisme le pic civilisationnel par excellence (« persistons dans notre conviction que l’universalisme reste la seule réponse qui vaille aux grandes questions de l’organisation des sociétés humaines »), il le met en parallèle avec l’homme, nec plus ultra de la création qui ne se doit qu’à lui-même. Cela s’appelle l’humanisme et existait déjà avant que la franc-maçonnerie ne fût ! Les doctrines qui placent l’homme au centre de toutes choses et de toutes préoccupations, il y en a eu, il y en a encore, on sait les ravages que cela a donné. Les totalitarismes les plus absolus sont humanistes. Un peu plus loin nous lisons : « L’humanisme constitue une garantie contre la ségrégation … Il tient à distance le fanatisme… »
Après les litanies de sainte Laïcité, voici celles de saint Humanisme, un beau couple !
Sur la laïcité, le ton est donné :
« [...] déclarons que la laïcité, qui procède à une séparation stricte entre sphère privée et sphère publique, n’a pas d’équivalent pour construire,garantir, organiser et protéger la société d’hommes et de femmes libres... »
Bref, tous les maux de la terre seront éradiqués dès lors que sera instaurée, radicalement cela va de soi, une séparation complète des églises et de l’État. Et pas seulement en France, dans le monde entier, s’il vous plaît !
« Là, l’exercice de la citoyenneté prend tout son sens. Là prévaut l’intérêt général par le maintien à distance des revendications particulières. »
C’est oublier que la laïcité est un concept creux, réducteur et inopérant. Même en France où il est inscrit dans la Constitution, il ne peut être pleinement appliqué. Dans aucun autre pays du monde la laïcité n’est inscrite dans les textes, les peuples qui se respectent savent ce qu’ils doivent à leurs croyances. Mais les intellectuels du Grand Orient n’en ont cure : « L’ Histoire de cette idée, son universalité et sa grandeur sont sans appel » (encore les litanies).
Dans l’espace public, toute extériorisation d’une foi quelconque est, bien entendu, à proscrire. On se demande ce que vont devenir les calvaires de nos routes de campagnes, les candides statues des Saints tutélaires dans nos villages. Les talibans ne sont pas que musulmans !
« La laïcité, flamboiement de la liberté pour tous... ciment de l’égalité de tous, ferment de fraternité entre tous, que nous envient les démocrates de tous pays. La laïcité, outil majeur d’une régulation aboutie, pour garantir l’édifice commun et la concorde, que veulent mettre à mal ceux qui s’aiment de détester l’autre. »
À lire cette prose religieuse, nous voilà face à l’émergence d’une religion sans Dieu à laquelle rendent un culte des hommes et des femmes qui ne sont plus que les clones les uns des autres. L’humanisme, beau prétexte pour nier le droit à la diversité de croyances, de mode de vie, de conception du monde, pour occulter la diversité du vivant. Pensée réductrice, sectaire et fanatique. L’idéal laïque du Grand Orient est donc celui d’un Enver Hodja dans l’Albanie communiste, seul pays au monde à avoir éradiqué toute religion par décret.
L’essentiel cependant n’est pas dit : cette laïcité n’est que le cache-sexe de la christianophobie la plus compulsive qui soit, elle est l’expression délibérée d’une volonté de mettre à bas le ciment de notre civilisation occidentale : le christianisme.
Reste un détail que bien des membres du Grand Orient ne digèrent pas, ce texte a été concocté par le conseil d’administration de l’Obédience, pur organe exécutif qui n’avait pas mandat pour ce faire ni pour le publier. Étrange conception de la démocratie interne de la part de gens qui se targuent de donner des leçons de bonnes manières républicaines à toute la France ! On sait le pourquoi de cette précipitation : une coalition d’obédiences maçonniques françaises se profile, elle regroupe environ quatre-vingt mille maçons. Tous souhaitent revenir aux fondamentaux de leur ordre : pas de politique ni de discussions religieuses. Si leur coalition débouche sur une nouvelle Obédience, le Grand-Orient sera pour la première fois de son Histoire minoritaire en France, ce qu’il ne peut supporter. D’où cette radicalisation provocatrice.
Finissons-en. Ce Grand Orient qui découvre le fil à couper le beurre, serait ridicule s’il n’était pervers dans sa cécité intellectuelle et morale. Qui est-il pour donner des leçons à toute la République, que représente-t-il, quelle est sa légitimité, de quels suffrages se réclame-t-il ?
Nous l’écrivions plus haut : les talibans du laïcisme sont dans nos murs !