Enflures verbales contre l’ADN, insultes contre Henri Guaino mais silence total sur l’économique et le social, une certaine gauche réitère les erreurs de la fin des années 1990, qui ont engendré la montée de Le Pen et la défaite de 2002.
Nous vous parlons d’un temps que les moins de vingt ans peuvent très bien connaître. Paris en ce temps-là - l’hiver 1997 - voyait défiler contre les lois Pasqua-Debré des milliers de manifestants partis de la gare de l’Est, dont certains, pas les plus discrets, arboraient au revers de leur veston une étoile jaune et portaient des valises ou des pyjamas rayés. Les arrestations d’étrangers en situation irrégulière étaient des « rafles », leur expulsion du pays des « déportations » et Pasqua et Debré des quasi-nazis. Quelques anciens déportés protestèrent, expliquant le danger de banalisation des crimes nazis dont témoignaient ces enflures verbales. Leur voix était un murmure, et on ne les écouta point. Là aussi, comme aujourd’hui, Libération, dirigé déjà par Laurent Joffrin, avait pris la tête de la révolte. Puis, il y a eu la suite. La dissolution de l’Assemblée nationale. La victoire de la gauche aux législatives de 1997 sur un discours ambigu, eurosceptique et anti-néolibéral de socialistes soudain gauchis.
L’impasse de l’anti-racisme
Ensuite sont venues les reculades de Jospin. À Amsterdam, à Renault-Vilvorde, chez Michelin. L’erreur fatale des 35 heures. La poudre aux yeux des emplois-jeunes. La défaite de 2002, enfin. Parce que, comme l’a écrit Roland Hureaux dans ces colonnes, la gauche ne retrouvera pas une identité ailleurs que dans la lutte des classes et le social. Parce que, sur le terrain sociétal, elle peinera à se distinguer des libéraux de droite.
On le voit bien aujourd’hui : s’ils n’ont pas tous fait le déplacement au meeting anti-ADN du Zénith (voir ci-dessous le reportage de Sylvain Lapoix), beaucoup d’hommes politiques de droite sont hostiles à l’amendement sur l’ADN. De Charles Pasqua (quelle ironie de l’histoire, le facho de 1997 !) à Dominique de Villepin en passant par plusieurs ministres du gouvernement, l’amendement Mariani est très loin de faire l’unanimité à droite, et on ne serait guère étonné de voir le gouvernement reculer sur cette affaire. Pour une raison simple : l’usage de l’ADN renvoie à une conception effectivement restrictive de la famille, réduite à la filiation biologique. Par ailleurs, elle passe sans doute à côté des filières d’immigration clandestine fondées, elles, sur le trafic de faux papiers d’identité, dont le développement inquiète de plus en plus les services de police dans tous les pays européens.
Mais si cette mesure contre l’une des fraudes à l’immigration est maladroite, elle n’a pas forcément de contenu idéologique avéré puisque la plupart des autres pays européens permettent aux candidats à l’immigration familiale, en particulier quand ils viennent de pays où les registres d’état-civil sont sommaires ou peu fiables, d’utiliser ce test pour prouver leur bonne foi. L’usage même de tests ADN n’est pas scandaleux en soi puisque, comme l’explique très bien Anne-Marie Le Pourhiet (voir Marianne TV), beaucoup de plaignants l’exigent devant les tribunaux, notamment dans les recours en paternité. La vérité est que le même problème se pose dans toute l’Europe : le néolibéralisme a imposé la libre circulation des capitaux et des marchandises, et il souhaite à présent imposer la libre circulation des hommes, qui anéantit toute régulation sociale en imposant une concurrence sauvage sur le marché du travail.
Un silence assourdissant sur le plan social
La gauche a décidé de tonner très fort contre ce test ADN destiné aux immigrants du regroupement familial. Pourtant, ce ne sont pas les sujets qui manquent pour s’opposer au pouvoir sarkozyste, y compris au nom de ce que l’on veut croire être encore les principes et les idées de la gauche. Celle-ci pourrait s’opposer aux franchises médicales, qui sont un vrai coup de poignard dans le principe d’égalité ; exiger la suppression définitive des stock-options et de toute rémunération sans charges patronales ; s’opposer à ce projet ultralibéral, lancé, qui plus est, par l’un des siens, Jacques Attali, et qui entend supprimer toute règle dans la négociation entre producteurs et distributeurs au moment où cinq enseignes françaises dominent 80% du marché des produits alimentaires. La gauche pourrait aussi exiger un transfert des charges sur la TVA qui favorise l’emploi en aidant les entreprises de main-d’œuvre au détriment des entreprises vivant des importations, ou, si cette option ne lui convient pas, proposer des mesures destinées à lutter contre les délocalisations.
Mais non ! Tous ces sujets n’intéressent pas Laurent Joffrin, Philippe Val, BHL et ceux qui, à gauche, entonnent à nouveau la rengaine usée de l’antiracisme et de l’antifascisme, qui fera le jeu de Sarkozy comme elle fit naguère celui de Le Pen.
Quand on entend Philippe Val tonner, trois chroniques de France Inter successives, contre l’amendement Mariani, qui ne concernera que quelques centaines de candidats à l’immigration par an et l’interpréter comme un revival « royaliste » et « xénophobe », on se pince…
Quand on écoute BHL traiter Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy de raciste pour le discours prononcé à Dakar par Nicolas Sarkozy, on a envie de crier au fou.... Première remarque, ce discours a été signé et prononcé par Nicolas Sarkozy. BHL aurait-il donc peur du Président pour s’en prendre à celui qui l’aide à faire ses discours ? Ou bien pense-t-il que les hommes politiques, et en tout cas Nicolas Sarkozy, ne sont que des pantins articulés par leurs conseillers ? Deuxième observation, si le discours de Dakar est fort contestable en ce qu’il homogénéise une Afrique plus diverse qu’il ne la laisse transparaître, il n’est en rien raciste si l’on veut bien situer la phrase sur « l’homme africain » dans son contexte, et lire le reste du texte qui revient sur l’esclavage et le colonialisme.
De l’ADN considéré comme une loi qui rappelle « les heures les plus noires de notre histoire » à l’accusation contre Henri Guaino, celle contre Jean-Pierre Chevènement (traité de « maurrassien »), tout se passe comme si la gauche, mal en point depuis la victoire de Sarkozy mais incapable d’un examen rationnel et critique de son bilan, était frappée de rechute. Comme si le Zénith, dix ans après, marquait cette même impuissance à combattre la droite autrement que sur le terrain sociétal. Et comme si le chant de l’antiracisme, fièrement claironné par les trompettes bhliennes, redevenait cet hiver la complainte du socialisme des imbéciles, comme l’avaient justement nommé Pierre-André Taguieff et Alain Finkielkraut…
Lundi 15 Octobre 2007
Philippe Cohen
Source : http://www.marianne2.fr
Nous vous parlons d’un temps que les moins de vingt ans peuvent très bien connaître. Paris en ce temps-là - l’hiver 1997 - voyait défiler contre les lois Pasqua-Debré des milliers de manifestants partis de la gare de l’Est, dont certains, pas les plus discrets, arboraient au revers de leur veston une étoile jaune et portaient des valises ou des pyjamas rayés. Les arrestations d’étrangers en situation irrégulière étaient des « rafles », leur expulsion du pays des « déportations » et Pasqua et Debré des quasi-nazis. Quelques anciens déportés protestèrent, expliquant le danger de banalisation des crimes nazis dont témoignaient ces enflures verbales. Leur voix était un murmure, et on ne les écouta point. Là aussi, comme aujourd’hui, Libération, dirigé déjà par Laurent Joffrin, avait pris la tête de la révolte. Puis, il y a eu la suite. La dissolution de l’Assemblée nationale. La victoire de la gauche aux législatives de 1997 sur un discours ambigu, eurosceptique et anti-néolibéral de socialistes soudain gauchis.
L’impasse de l’anti-racisme
Ensuite sont venues les reculades de Jospin. À Amsterdam, à Renault-Vilvorde, chez Michelin. L’erreur fatale des 35 heures. La poudre aux yeux des emplois-jeunes. La défaite de 2002, enfin. Parce que, comme l’a écrit Roland Hureaux dans ces colonnes, la gauche ne retrouvera pas une identité ailleurs que dans la lutte des classes et le social. Parce que, sur le terrain sociétal, elle peinera à se distinguer des libéraux de droite.
On le voit bien aujourd’hui : s’ils n’ont pas tous fait le déplacement au meeting anti-ADN du Zénith (voir ci-dessous le reportage de Sylvain Lapoix), beaucoup d’hommes politiques de droite sont hostiles à l’amendement sur l’ADN. De Charles Pasqua (quelle ironie de l’histoire, le facho de 1997 !) à Dominique de Villepin en passant par plusieurs ministres du gouvernement, l’amendement Mariani est très loin de faire l’unanimité à droite, et on ne serait guère étonné de voir le gouvernement reculer sur cette affaire. Pour une raison simple : l’usage de l’ADN renvoie à une conception effectivement restrictive de la famille, réduite à la filiation biologique. Par ailleurs, elle passe sans doute à côté des filières d’immigration clandestine fondées, elles, sur le trafic de faux papiers d’identité, dont le développement inquiète de plus en plus les services de police dans tous les pays européens.
Mais si cette mesure contre l’une des fraudes à l’immigration est maladroite, elle n’a pas forcément de contenu idéologique avéré puisque la plupart des autres pays européens permettent aux candidats à l’immigration familiale, en particulier quand ils viennent de pays où les registres d’état-civil sont sommaires ou peu fiables, d’utiliser ce test pour prouver leur bonne foi. L’usage même de tests ADN n’est pas scandaleux en soi puisque, comme l’explique très bien Anne-Marie Le Pourhiet (voir Marianne TV), beaucoup de plaignants l’exigent devant les tribunaux, notamment dans les recours en paternité. La vérité est que le même problème se pose dans toute l’Europe : le néolibéralisme a imposé la libre circulation des capitaux et des marchandises, et il souhaite à présent imposer la libre circulation des hommes, qui anéantit toute régulation sociale en imposant une concurrence sauvage sur le marché du travail.
Un silence assourdissant sur le plan social
La gauche a décidé de tonner très fort contre ce test ADN destiné aux immigrants du regroupement familial. Pourtant, ce ne sont pas les sujets qui manquent pour s’opposer au pouvoir sarkozyste, y compris au nom de ce que l’on veut croire être encore les principes et les idées de la gauche. Celle-ci pourrait s’opposer aux franchises médicales, qui sont un vrai coup de poignard dans le principe d’égalité ; exiger la suppression définitive des stock-options et de toute rémunération sans charges patronales ; s’opposer à ce projet ultralibéral, lancé, qui plus est, par l’un des siens, Jacques Attali, et qui entend supprimer toute règle dans la négociation entre producteurs et distributeurs au moment où cinq enseignes françaises dominent 80% du marché des produits alimentaires. La gauche pourrait aussi exiger un transfert des charges sur la TVA qui favorise l’emploi en aidant les entreprises de main-d’œuvre au détriment des entreprises vivant des importations, ou, si cette option ne lui convient pas, proposer des mesures destinées à lutter contre les délocalisations.
Mais non ! Tous ces sujets n’intéressent pas Laurent Joffrin, Philippe Val, BHL et ceux qui, à gauche, entonnent à nouveau la rengaine usée de l’antiracisme et de l’antifascisme, qui fera le jeu de Sarkozy comme elle fit naguère celui de Le Pen.
Quand on entend Philippe Val tonner, trois chroniques de France Inter successives, contre l’amendement Mariani, qui ne concernera que quelques centaines de candidats à l’immigration par an et l’interpréter comme un revival « royaliste » et « xénophobe », on se pince…
Quand on écoute BHL traiter Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy de raciste pour le discours prononcé à Dakar par Nicolas Sarkozy, on a envie de crier au fou.... Première remarque, ce discours a été signé et prononcé par Nicolas Sarkozy. BHL aurait-il donc peur du Président pour s’en prendre à celui qui l’aide à faire ses discours ? Ou bien pense-t-il que les hommes politiques, et en tout cas Nicolas Sarkozy, ne sont que des pantins articulés par leurs conseillers ? Deuxième observation, si le discours de Dakar est fort contestable en ce qu’il homogénéise une Afrique plus diverse qu’il ne la laisse transparaître, il n’est en rien raciste si l’on veut bien situer la phrase sur « l’homme africain » dans son contexte, et lire le reste du texte qui revient sur l’esclavage et le colonialisme.
De l’ADN considéré comme une loi qui rappelle « les heures les plus noires de notre histoire » à l’accusation contre Henri Guaino, celle contre Jean-Pierre Chevènement (traité de « maurrassien »), tout se passe comme si la gauche, mal en point depuis la victoire de Sarkozy mais incapable d’un examen rationnel et critique de son bilan, était frappée de rechute. Comme si le Zénith, dix ans après, marquait cette même impuissance à combattre la droite autrement que sur le terrain sociétal. Et comme si le chant de l’antiracisme, fièrement claironné par les trompettes bhliennes, redevenait cet hiver la complainte du socialisme des imbéciles, comme l’avaient justement nommé Pierre-André Taguieff et Alain Finkielkraut…
Lundi 15 Octobre 2007
Philippe Cohen
Source : http://www.marianne2.fr