Les dirigeants européens et les médias dominants sont aujourd’hui très sérieusement dans l’embarras : comment défendre la continuation de la « construction » européenne dans ses caractéristiques actuelles, quand la zone euro, peu à peu, part en lambeaux ?
Il s’agirait de prouver que pour sortir du pétrin dans lequel l’Europe libérale a fourré les peuples, il faudrait conserver la même direction…
Opération périlleuse, mais qui peut fonctionner si on utilise une technique vieille comme le monde, le recours à un bouc émissaire. C’est le rôle que semble souvent jouer l’Allemagne dans l’épilogue du braquage européen de ces dernières années.
Rappelons-nous du dossier grec. Les politiques allemands avaient défendu en priorité le volet « austérité » du plan de sauvetage, en se montrant réservés face à une absurde énième réinjection massive d’euros frais sortis de la planche à billets. En se gardant bien d’expliquer comment on avait pu laisser un pays s’administrer si mal et accroitre sans limite son déficit, ou d’avouer à qui profite finalement l’endettement, les européistes avaient alors fustigé le retour de l’immonde « nationalisme » allemand, égoïste, ingérant et profiteur jusqu’au bout du casque à pointe [1].
Montebourg avait ainsi, en 2011, fait une superbe sortie dans cette dynamique [2]. De son coté, Emmanuel Todd a pendant deux ans utilisé et réutilisé l’histoire du méchant teuton à sa sauce, pour éviter d’en dire trop sur les vrais responsables de la crise [3].
Certains dirigeants grecs, en recherche convulsive de subterfuge pour faire oublier leur incompétence (ou secrètes allégeances ?) avaient promptement repris l’astuce, en évoquant des sombres histoires de dettes dues par l’Allemagne suite à l’occupation nazie [4].
On remet aujourd’hui le couvert avec Chypre : l’Allemagne s’est portée volontaire pour défendre la proposition du FMI de sucrer une partie des économies des Chypriotes [5]. L’agression était un peu trop brutale, elle n’est pas passée, mais aucun problème : c’est contre « l’Allemagne » que le peuple dirige sa colère légitime, et les panneaux d’Angela entourée de croix gammées sont de retour dans la rue [6].
Après avoir joué au contradicteur, l’Allemagne est plutôt bonne pâte : elle finit en général par ouvrir le porte-monnaie de ses citoyens [7]. Par ailleurs, elle admet que oui, elle est une affreuse gueuse nazie éternellement coupable. Les Allemands qui l’oublieraient seront rappelés à l’ordre par des séries télévisées comme Nos mères, nos pères, sortie cette année, qui traite des horreurs du front de l’Est et de la « Shoah par balles ». Crimes dont la responsabilité pèse bien sûr sur chaque Allemand, toutes générations confondues, pour l’éternité [8].
Le théâtre de la gestion de la crise continue donc. D’un coté il y a les tenants de « l’Austérité », qui proposent entre autres un amoindrissement de l’État providence. De l’autre, ceux qui vantent ce que l’on suppose être une sorte de relance keynésienne, qui passe par des dépenses étatiques censées apporter la fameuse croissance (ne leur parlez pas d’inefficacité de certaines structures publiques ou du coût de l’immigration, vous finiriez au bûcher).
La réalité de l’action politique s’ajuste dans un étrange mélange, partisan des deux [9]. Le travailleur européen est au final perdant sur les deux tableaux, et nos questions sur l’hyperclasse apatride et l’endettement par la banque, elles, demeurent mystérieusement sans réponse.