Après cet extrait de L’Équipe, et avant de passer à notre sujet, ô combien sensible, nous laisserons au grand spécialiste du foot business Romain Molina le soin de développer la dernière actualité dans notre série La Super Ligue contre les nations.
Pour résumer : à peine les propriétaires de la plupart des plus grands clubs (sauf le PSG et le Bayern) avaient-ils annoncé leur projet de Super Ligue (à 12 ou 20) pour la saison prochaine et pour un montant de six milliards d’euros qui en a fait saliver plus d’un, que le projet s’écroulait dans la foulée, sous la pression des supporters et des clubs laissés à la porte. On tient là un bel exemple de l’oligarchie qui marche sur la tête des peuples, le foot fournissant une excellente analogie de la politique actuelle. D’ailleurs, le sujet était tellement sensible qu’il est devenu politique, et Boris Johnson a dû entrer dans la danse : s’il avait appuyé les riches, il aurait perdu les voix des pauvres. Parfois, l’électoralisme a du bon.
Du Premier ministre britannique, Boris Johnson, au prince William, en passant par le leader de l’opposition, le travailliste Keir Starmer, et la quasi-intégralité des commentateurs du ballon rond et des instances officielles du football, tous sont montés au créneau contre cette idée d’inspiration très américaine. Le sujet a même été débattu au Parlement.
Boris Johnson a reçu les autorités du football anglais et des groupes de supporteurs mardi. Pendant la réunion, il a menacé de « placer une bombe législative » sous le projet de Super Ligue, sans préciser plus avant sa pensée. Parmi les mesures envisagées, l’idée d’une supertaxe sur les clubs, une limite des visas accordés aux footballeurs ou encore la suppression de la surveillance des matchs par des effectifs de police. (Le Monde)
Adieu Super Ligue, mais bonjour quoi ?
Le projet de SL a donc capoté... provisoirement. Déjà, pour 2024, les mêmes oligarques ont organisé une Ligue des champions à 36 clubs, ce qui exclut de fait les clubs moyens de la compétition la plus juteuse. Mais ce ne sera pas notre propos : tout le monde peste depuis l’arrêt Bosman (1995) contre la financiarisation du foot, mais les droits télé et les audiences ont eu vite fait de mettre tout le monde d’accord. Sauf bien sûr les clubs qui n’ont pas la carte et qui restent à la porte de la plus prestigieuse des compétitions européennes. Il est loin le temps où la petite AJ Auxerre de Guy Roux jouait crânement sa chance contre le grand FC Dortmund en quart de finale, avec un but magnifique (un ciseau acrobatique) refusé par l’arbitre...
Revenons au présent. Toute la planète Foot s’est insurgée contre le basculement du sport roi dans la 3e génération, la 2e étant celle de l’arrêt Bosman qui déclencha la libre circulation des joueurs, et donc la mondialisation de ce sport, auparavant très territorial (national, régional et local). Conséquence, que les connaisseurs savent par cœur : les petits clubs se sont fait piller, les grands joueurs ont choisi les grandes équipes, des équipes de villes qui n’en avaient plus que le nom, avec parfois 10 étrangers sur le terrain, comme en Angleterre. Les gros budgets sont devenus plus gros, et les petits plus petits. Cela a accouché d’un foot à deux vitesses, et d’une Europe à deux vitesses : celle des grands clubs, et puis l’autre.
« Je suis dégoûté. (…) Manchester United est un club né il y a cent ans dans le milieu ouvrier. Et ils partent dans une ligue sans compétition ? Dont ils ne peuvent pas être relégués ? C’est honteux. » (Gary Neville, ex-joueur de Man U)
Nous avons suivi les réactions du monde du foot, qu’il soit médiatique ou sportif, à l’annonce de la création de cette fameuse Super Ligue, qu’on écrit aussi Super League puisque six clubs anglais devaient y figurer. Ils sont connus, ce sont les membres du Big Six (Manchester City et United, Liverpool, Chelsea, Tottenham et Arsenal). Las, les supporters ne l’ont pas entendu de cette oreille, et ont laissé éclater leur colère devant les stades. Ce fut le cas de centaines de fans de Chelsea : il ne fallait pas toucher à leur sacro-sainte passion ! Du coup, les clubs hésitants ont reculé, et les traîtres se sont retrouvés seuls en rase campagne.
Hervé Armoric, correspondant France 24 à Londres : « Gary Neville disait même qu’il faut pénaliser des clubs comme Arsenal ou Chelsea à Londres ou Tottenham à côté d’ici, leur retirer six points parce qu’ils sont encore dans la compétition nationale, dans la première ligue anglaise, et que donc ce n’est pas une façon de concevoir le football. »
Les vampires, ou la dictature de la minorité
En fait, il y avait trois clubs moteurs très engagés dans cette affaire : Arsenal, Tottenham et Chelsea, trois Londoniens historiques qui ont la particularité d’appartenir à des milliardaires de confession juive, mais ce n’est qu’une coïncidence. Cela n’entre évidemment pas en ligne de compte, mais dans les réactions des professionnels, sportifs ou médiatiques, on a l’impression que des euphémismes ont été utilisés, de peur de citer les trois personnages, dont nous allons développer le CV, information oblige.
Écoutons d’abord Emmanuel Petit dans Top Foot sur RMC Sport (la vidéo figure en renvoi E&R sous l’article) :
« J’accuse l’UEFA de laxisme face aux puissants clubs historiques européens et ce, depuis tellement longtemps. Je les accuse notamment de capituler en permanence face à la pression toujours plus grande des vampires du foot, vous savez, ceux qui pensent que le foot leur appartient, que c’est leur propriété intellectuelle. [...] Nous arrivons aujourd’hui à une belle représentation du monde dans lequel on vit, en fait, une minorité qui se gave sur le dos des autres et qui n’est jamais rassasiée. »
Rappelons qu’Emmanuel Petit a appartenu à Arsenal, longtemps propriété de David Dein, l’oligarque à la croisée des chemins entre foot et finance. S’attaquer à l’UEFA ou à la FIFA, c’est botter en touche devant l’évidence, celle de l’intrusion de la finance internationale dans le monde du foot. Grâce ou à cause de l’Angleterre, mère patrie du foot mais aussi sa fossoyeuse. Car entre les sept clubs londoniens qui figurent bon an mal an en Premier League, et la City des milliardaires du Golfe ou de Russie, il n’y a qu’un pas.
Dans le genre euphémisme, Daniel Riolo, toujours sur RMC Sport, est pas mal non plus :
« Moi j’en veux plus à l’UEFA aujourd’hui qui a ouvert la porte à la Super Ligue. [...] Plutôt que de faire ceux qui crient au loup aujourd’hui et qui ont laissé tout faire avant les ventes aux Américains et tout ça… »
Petit parle de « vampires », d’une « minorité qui se gave », Riolo évoque les « Américains », bref, on ne nomme pas l’ennemi, qui n’est évidemment pas le juif, mais le milliardaire apatride. C’est justement ce que les supporters de Tottenham reprochent au propriétaire de leur club fétiche : ne jamais se pointer au stade avec les prolos.
Imprégné de mystère, le propriétaire insaisissable des Spurs, Joe Lewis, passe la plupart de son temps en exil fiscal aux Bahamas et a peu d’implication dans le club – le président et ami de longue date Daniel Levy s’occupant de la plupart des responsabilités quotidiennes dans le nord. (Wikipédia).
Parlons de Joe Lewis. Wikipédia en français est très timide par rapport à son homologue britannique, qui va un peu plus loin dans le CV :
Lewis was born to a Jewish family above a public house in Roman Road, Bow, London. Lewis left school at 15 to help run his father’s West End catering business, Tavistock Banqueting. When he took the reins, he quickly expanded it by selling luxury goods to American tourists, and also owned West End club the Hanover Grand, where he gave Robert Earl his first job.
Joe a fait très mauvaise impression sur les fans, c’est le moins qu’on puisse dire. On pourrait presque parler de lutte des classes...
« Mais alors que certains clubs ont autorisé leur personnel non-joueur à rester au-dessus de l’eau, Tottenham – le huitième club le plus riche du monde – a haussé les sourcils en décidant de placer 40 % de ses employés dans le programme de maintien en poste du gouvernement. Comme une réduction de 20 pour cent des salaires des autres employés. » (i24news)
Chez nos cousins britanniques, le fait de préciser la religion n’est pas un scandale, et ça ne devrait pas l’être chez nous. Lewis, à la tête d’une fortune estimée à 4 milliards 600 millions d’euros (près de 4 milliards de Livres sterling), est le premier actionnaire de Tottenham. Un ancien joueur, Harry Redknapp, lui est rentré dans le chou lors de l’arrêt des matches de Premier League :
« Je ne peux pas le croire. Tottenham appartient à Joe Lewis, l’un des hommes les plus riches du monde, et son club réduit de 20 % les salaires de tout son personnel non footballeur. Je ne peux pas y croire. »
Il faudra que Harry s’y fasse. Après le sympathique Joe, passons à David, Dein de son nom. David Dein a pendant 24 ans été à la tête d’Arsenal, du grand Arsenal puisque c’est lui qui a fait venir Arsène Wenger dans son club, qui a alors pris, avec la french connection (Vieira, Henry, Pirès, Wiltord, Petit, que des futurs champions du monde et d’Europe, sans oublier Anelka, Garde, Grimandi, Cygan, Flamini, Gallas, Clichy, Diarra, Sagna, et le remarquable Diaby) une autre dimension.
Wikipédia nous présente David Dein :
Il a fait partie de la direction du club londonien de 1983, année où il achète 16,6 % des actions du club jusqu’à sa démission en avril 2007. Il fut nommé vice-président en 1984 et était chargé de la gestion opérationnelle du club. [...]
David Dein fut vice-président de la Fédération d’Angleterre de football de 2000 à 2004, mais ce poste a été supprimé lors d’une restructuration. Il représente la fédération anglaise auprès du comité de l’UEFA chargé des compétitions de clubs et est également membre du conseil de direction du G14 depuis septembre 2004. En dehors du monde du football, il préside une fondation à but non lucratif, le fonds d’investissement anglais dans le théâtre.
- David Dein fait tourner les tables
(de multiplication)
Mais Dein, qui a poursuivi sa carrière dans les instances britannique et européenne, est surtout l’homme du G14, l’ancêtre de la Super Ligue. Avec un siège à Bruxelles, centre de l’européisme et pied-à-terre des Américains en Europe...
Le G14 est une ancienne organisation de lobbying des clubs de football professionnels les plus puissants, importants, influents et riches d’Europe. Il a été fondé en 2000 par 14 membres et a été dissous en janvier 2008 sous la pression de l’UEFA et de la FIFA. Sa mission est de défendre les intérêts des clubs affiliés auprès de l’UEFA, de la FIFA, des sponsors et des diffuseurs. Son slogan est « The voice of the clubs » (La voix des clubs). Son siège se situe à Bruxelles. Depuis le mois de février 2008 et sa dissolution, le G14 a été remplacé par l’association européenne des clubs.
La famille Glazer
Où l’on comprend que l’idée de la SL ne date pas d’hier. Après Joe et David, passons à Malcolm, aujourd’hui décédé, mais qui a passé le relais à son fils Avi. Il s’agit de la famille Glazer, qui possède le club de Manchester (United), le 3e plus riche du monde avec une valeur de 3,3 milliards d’euros. Et qui rapporte énormément en droits télé et en merchandising, jusqu’en Chine. Là encore, les Wikipédia français et britannique diffèrent. On vous laisse traduire, c’est pas sorcier :
Glazer was born in Rochester, New York, the fifth of seven children of Lithuanian Jewish immigrants, Abraham and Hannah Glazer. He began working in his father’s watch parts business at age 8.
Voilà pour le père. Son fils, Avram, dit Avi, contrôle donc les Red Devils. Son Wiki nous apprend qu’en bon oligarque transnational, il a étudié dans les prestigieuses universités de Fudan (Shanghai) et Pékin. Pour info, Fudan est l’équivalent de l’université Tsinghua, qui rassemble le gratin du mondialisme.
Parmi les anciens élèves de Tsinghua figurent l’actuel secrétaire général du Parti communiste chinois (et donc leader de facto de la Chine), Xi Jinping, qui est diplômé en génie chimique, ainsi que l’ancien secrétaire général du PCC Hu Jintao, qui est titulaire d’un diplôme en génie hydraulique. En plus de ses puissants anciens élèves, l’université Tsinghua accueille régulièrement des conférenciers de renommée mondiale, parmi lesquels on trouve Bill Clinton, Tony Blair, Henry Kissinger, Carlos Ghosn, Park Geun-hye et Henry Paulson. (Wikipédia)
Rappel : Paulson est le président de Goldman Sachs. Et puisqu’on parle oligarchie internationale, on a trouve un lien intéressant dans la biographie de Joe (Lewis) :
After selling the family business in the late 1970s, Lewis moved into currency trading in the 1980s and 1990s, resulting in his move to the Bahamas where he is now a tax exile. In September 1992, Lewis teamed up with George Soros to bet on the pound crashing out of the European Exchange Rate Mechanism. The event, which was dubbed Black Wednesday, made Lewis very wealthy, and some say he made more than Soros. Lewis is still an active foreign exchange trader.
Traduction Google, pas si mal d’ailleurs :
Après avoir vendu l’entreprise familiale à la fin des années 1970, Lewis s’est lancé dans le commerce de devises dans les années 1980 et 1990, ce qui l’a conduit aux Bahamas, où il est maintenant un exilé fiscal. En septembre 1992, Lewis s’est associé à George Soros pour parier sur l’effondrement de la livre sterling hors du mécanisme de taux de change européen. L’événement, qui a été surnommé le mercredi noir, a rendu Lewis très riche et certains disent qu’il a fait plus que Soros. Lewis est toujours un négociant en devises actif.
La destruction progressive du sport le plus populaire par le monde de la finance
Tout ça pour dire que les Anglais sont moins frileux que les Français en termes d’information. Il ne s’agit pas ici d’antisémitisme ou d’antisionisme (la preuve, d’autres grands clubs sont détenus par les milliardaires du Golfe), mais de montrer que l’oligarchie mondialiste n’est pas un vain mot, sans parler de complot : il s’agit juste d’intérêts supérieurs communs, et tant pis pour les peuples, symbolisés ici par les supporters, des supporters qui se sont fait éjecter progressivement des stades, du fait de leur violence, mais aussi de leur manque de moyens.
Quand on voit que des supporters français ont fait de la garde à vue pour trois fumigènes, alors que des milliardaires exilés fiscaux pompent l’argent des pauvres et pourrissent par leurs magouilles ce noble sport qu’est le football...
Après avoir passé en revue toutes ces personnalités, un tweet de Pierre Ménès nous revient, qui n’explique bien sûr pas à lui tout seul son éviction de Canal+. Il a quand même embrassé une chroniqueuse sur la bouche et touché les fesses d’une autre !
Justement, Pierre Ménès était très proche de Thierry Henry, alors la star d’Arsenal des grandes années (champion d’Angleterre en 1998, 2002 et 2004). C’est en substance ce que dit cet article étonnant – pour nous Français – du Evening Standard :
Bien qu’il y ait eu relativement peu de joueurs juifs dans le football anglais, la contribution juive – en tant que spectateurs, journalistes, intellectuels du football et administrateurs – a été massive et, à une époque où de vieilles blessures ont été rouvertes sur un autre front ethnique, cela en dit long sur notre civilisation que les Juifs sont en charge d’une grande partie de la Premier League sans que la plupart des Gentils ne s’en aperçoivent. Roman Abramovich possède Chelsea, Daniel Levy dirige les Spurs pour Joe Lewis et les Glazers, bien que peu aimés des fans de Manchester United, ne sont décriés que pour avoir été des exploitateurs ou, parfois, des « Américains ».
L’auteur, ironique, met Américains entre guillemets. La présentatrice de France 24 ne va pas aussi loin (là encore, la vidéo figure dans l’article en renvoi) :
« Certains estiment aujourd’hui que cette Super Ligue c’est aussi une façon d’américaniser le football, une forme d’OPA à l’américaine... »
Les « Américains » ont bon dos ! Cependant, la dame n’a pas tort, car son envoyé spécial précise :
« JP Morgan est la banque financière derrière cet événement, trois des six grands clubs anglais, des six superclubs anglais les plus puissants, les plus titrés, sont possédés par des Américains. »
Américains, exploiteurs, milliardaires... Bref, la finance internationale veut tirer du foot tout le profit qu’elle pourra en tirer, et elle le fera, soyez-en sûrs. Cette petite contrariété sur le chemin d’une Super Ligue n’est que provisoire, les oligarques ne lâcheront pas l’affaire, et ils tueront le foot, comme le FMI et sa rigueur budgétaire savent désosser un État pour le plus grand profit du Marché. La stratégie est la même, la prédation aussi vorace, et à la fin il ne reste plus rien du citron, que la peau et des regrets.
Il faudra plus que des petits cris de retardataires ou des leçons de morale pour freiner la financiarisation à outrance du foot, qui en est déjà à son Grand Reset. Comme le dit Molina, pour affamer ces grands rapaces, et Dieu sait si on respecte ces magnifiques oiseaux, il faudra se désabonner des chaînes de foot. Le boycott est l’avenir de l’homme gentil, seule arme possible contre les vilains.
Prolongez la réflexion sur l’évolution du football
avec Alain Soral et Xavier Poussard !