Le Tribunal pénal international de La Haye pour l’ex-Yougoslavie vient de commettre l’équivalent judiciaire d’un suicide en public. Il a d’abord acquitté en appel les généraux croates Gotovina et Markač responsables du nettoyage ethnique de 220 000 Serbes de Croatie en août 1995. Puis, pour la deuxième fois, il a acquitté l’ancien premier ministre du Kosovo, Ramush Haradinaj, accusé entre autres de crimes contre les civils serbes au camp de Jablanica.
Dans le premier cas, aucun élément nouveau n’a été produit en faveur des accusés. On a simplement changé d’avis, renonçant à appliquer aux deux Croates les mêmes critères d’« entreprise criminelle commune » qui avaient servi à condamner les hauts responsables serbes. Le juge italien Pocar, mis en minorité, a tenu à faire figurer son opposition dans le texte du verdict : « Je suis en désaccord total avec l’intégralité du jugement d’appel, qui va à rebours de tout sens de la justice. »
Dans le second cas, on s’est contenté de relever l’insuffisance des témoignages à charge. Soulevant l’indignation de Carla del Ponte, l’ancienne procureure du TPI, qui a dénoncé la disparition et l’assassinat de témoins, et signalé au passage qu’elle n’avait bénéficié d’aucune coopération dans ses enquêtes au Kosovo.
La conclusion, c’est que personne n’a expulsé la population serbe de ses foyers séculaires en Croatie. Que personne n’a torturé et tué, non plus, les civils serbes au Kosovo. À en croire le TPI, ils se sont torturés, expulsés et massacrés tout seuls.
Voilà l’absurdité à laquelle aboutit la cour créée en 1993 par l’ONU dans le but d’apporter la réconciliation en ex-Yougoslavie par une justice extérieure. Dans les faits, elle a traqué sans relâche les dirigeants serbes tout en évitant de jamais reconnaître à la partie serbe le statut de victime. Entre autres, le TPI s’est refusé à entrer en matière sur le sort des milliers de Serbes massacrés par les djihadistes dans la région de Srebrenica avant la chute de leur place forte. Il a ignoré les crimes de guerre délibérés de l’OTAN lors du bombardement de la Serbie en 1999. Il n’a pas fait écho à l’enquête de Dick Marty sur le trafic d’organes au Kosovo, impliquant les pouvoirs locaux. Bref, le TPI, initié et financé par les Anglo-Saxons et leurs alliés, obéissait à la voix de son maître.
Personnellement, je l’ai toujours pensé, dit et écrit. Cela m’a valu d’être traité comme extrémiste et paria dans la société où je vis. Désormais, c’est d’une banale évidence. Avec ses derniers verdicts, le TPI a fait exploser le maigre espoir de justice qu’il incarnait encore et, du même coup, s’est volatilisé lui-même. La Russie a exigé son abolition. Quant aux États-Unis, vivement opposés à l’instauration d’une justice internationale indépendante, les voilà à l’abri. Est-ce un hasard si le TPI était présidé par un magistrat U. S. ?
Ce naufrage donne raison, à titre posthume, à Alexandre Soljénitsyne, qui déclara que le TPI ramenait la justice à l’âge de la pierre. Cette cour a contribué à légitimer un redécoupage de la région au détriment d’un camp collectivement désigné comme coupable : « les Serbes ». Ceux-ci sont désormais soumis de force à des régimes hostiles et blanchis de toute faute à leur égard. D’un autre côté, la partialité éclatante du TPI remet en question l’ensemble des verdicts prononcés contre les chefs de guerre serbes, justifiés ou non. La mémoire collective les réhabilitera inévitablement.
Ainsi, l’hypocrisie occidentale a réuni les conditions d’un affrontement encore plus immoral que celui qu’elle a prétendu moraliser.
Slobodan Despot, Le Matin Dimanche, 9 décembre 2012.