Rivarol : Histoire juive, religion juive : le poids de trois millénaires vient d’être réédité par Kontre Kulture. Le premier éditeur français de ce brûlot était Pierre Guillaume et sa Vieille Taupe. En quoi ce livre est important près de trente ans après sa sortie ?
Maria Poumier : Israël Shahak était un esprit très indépendant, et très exigeant envers lui-même, ce qui donna une vigueur exceptionnelle à sa critique de l’État juif. Il était né Polonais, d’une famille juive pratiquante, qui passa du ghetto de Varsovie à différents camps de concentration. Puis il fut emmené par sa mère en Palestine à l’âge de 12 ans. Il faut imaginer ses premières impressions, sa gratitude envers le monde méditerranéen qui s’ouvrait à lui, envers les trésors d’humanité des Palestiniens accueillants. Aussi fut-il très tôt choqué par les pratiques mafieuses des premiers dirigeants juifs, souvent d’origine polonaise, tel Ben Gourion (fondateur de la Haganah), qui chassèrent d’abord les Anglais, puis les Palestiniens, de tout le territoire qui était à leur portée. En tant que militant au sein de la Ligue des droits de l’homme, il fut infatigable pour dénoncer les crimes israéliens contre les Palestiniens.
En dialogue constant avec Noam Chomsky, ils représentent les deux versants de la pensée juive de gauche non communiste : l’un centré sur les méfaits des États-Unis sous influence juive, l’autre sur le terrain où s’exerçait directement le racisme israélien. Au demeurant, il faut un Shahak à chaque génération, il faut renouveler constamment la critique des mauvaises habitudes israéliennes, et pas seulement en Palestine. Ainsi bien des Israéliens considèrent l’Ukraine, patrie d’une bonne partie des premiers immigrants sionistes, comme leur résidence secondaire, et Zelensky comme un héros de la judaïté, contre le goy chrétien Poutine.
En France, les jeunes n’ont pas entendu parler des combats de La Vieille Taupe, l’éditeur de Shahak, et ils sont obligés d’aller sur des sites américains, tenus par des juifs rebelles, comme unz.com, pour retrouver l’élan critique tous azimuts des années antérieures à l’apparition des lois de censure qui se sont multipliées depuis la loi Gayssot de 1990.
Pour Shahak, quelle étaient les causes de l’antisémitisme ?
L’antisémitisme n’était pas pour Shahak un concept très intéressant, c’était surtout un terme intimidant relevant de l’idéologie, une arme pour détourner ou invalider toute critique de la moindre entreprise juive. Il soulignait que bien des juifs sionistes admiraient le racisme hitlérien, et que par exemple « Jabotinsky conclut un pacte avec Petlioura, dirigeant ukrainien antibolchevique, dont les troupes massacrèrent quelque cent mille juifs entre 1918 et 1921. Parmi les alliés de Ben Gourion dans l’extrême droite française pendant la guerre d’Algérie figuraient certains antisémites notoires, qui précisaient bien qu’ils étaient contre les juifs en France, mais pas en Israël ».
Shahak écrivait en anglais et publia son ouvrage à Londres ; il écrivait pour les nouvelles générations de juifs américains et pour les jeunes Israéliens, les sabras qui n’avaient pratiquement plus de culture religieuse juive ; il s’agissait de leur faire découvrir ce qui avait été la culture de leurs grands-parents européens, que leurs parents ne leur avaient pas transmise, trop heureux d’accéder à une vie nouvelle en Palestine, croyant avoir fait table rase de leur passé, et avoir échappé à jamais aux menaces rabbiniques permanentes dans les ghettos. Et Shahak n’avait pas peur de conclure : « L’épreuve réelle qui s’impose aux Juifs, aussi bien d’Israël que de la diaspora, est celle de leur capacité de faire leur propre critique, ce qui implique la critique du passé juif. L’aspect le plus important d’une telle critique doit être un examen circonstancié et honnête de l’attitude des juifs à l’égard des non-juifs. »
Quelles étaient les raisons de Shahak pour rejeter le sionisme et soutenir une paix véritable avec les Palestiniens ?
On dit que les voies de Dieu sont impénétrables ; Shahak avait pris le contre-pied de son éducation religieuse, et il en dénonça furieusement les aspects tribaux et archaïques. Mais au final, il se conduisit en véritable prophète, fustigeant tous les crimes commis contre les Palestiniens au nom du judaïsme. La matrice universelle et utopique des droits de l’homme, incontestablement d’origine juive, il s’en est servi contre les usurpateurs sionistes, et c’est tout à son honneur. Il est parmi les premiers à montrer, non seulement que le projet sioniste, était criminel et méprisable, mais aussi basé sur la duplicité systématique et le mensonge en direction des non-juifs.
Comment Shahak vivait-il son judaïsme ?
Son héritier et successeur immédiat Israël Shamir vous répondrait, selon l’axe de toute son œuvre journalistique : « Le judaïsme, c’est ce que les juifs en font. » Tout le reste n’est que baratin… ou à la rigueur érudition mystique mais dans des cercles inopérants. Les Israéliens ayant servi dans l’armée (tels Shahak et Shamir) ne se laissent pas intimider comme des goys honteux prêts à se soumettre à une tutelle de lobbystes psychopathes leur ayant mis dans la tête qu’ils ont une supériorité congénitale.
L’humour israélien est encore plus cruel et libre que l’humour juif, déjà hypercritique ! Et Israël Shahak se régale à donner une vision caricaturale des textes les plus vénérables, parce que le judaïsme est un ritualisme maniaque pesant comme un couvercle sur les activités quotidiennes les plus anodines. Ainsi il rapporte qu’« une juive qui revient de son bain mensuel de purification (après lequel elle doit impérativement avoir des rapports sexuels avec son époux) doit se garder de faire la rencontre d’une des quatre créatures sataniques : le chien, le porc, l’âne ou le non-juif. Si elle croise l’une d’elles, elle doit retourner prendre un autre bain ». Cette coutume est prônée, entre autres, par le Shevet Musar, livre de morale et de bonne conduite publié en 1712 : jusqu’au début de ce siècle, ce fut l’un des ouvrages des plus populaires chez les juifs d’Europe orientale et des pays musulmans ; encore aujourd’hui il est beaucoup lu dans certains milieux orthodoxes.
« L’affaire Shahak » débute lorsqu’il affirmait en 1965 que « selon la loi juive orthodoxe il est interdit de sauver la vie d’un non-juif le shabbat ». La polémique fit grand bruit à l’époque et alimenta un intense débat au sein du rabbinat israélien. Au final, cette thèse est-elle fondée par l’étude du Talmud ?
Je laisse le soin de répondre à notre ami Israël Shamir, qui est l’héritier direct de Shahak, et qui est aussi un spécialiste des vieux textes juifs, étant entre autres traducteur de l’hébreu du XVe siècle d’un éminent disciple de Maïmonide, le géographe espagnol et rabbin Abraham Zacuto, auteur du Sefer Yohassim, ou Livre du lignage… :
« Je suis également traducteur de S. Y. Agnon, qui écrivait en hébreu et fut lauréat du prix Nobel de littérature ; il rapporte un autre dilemme face à un texte faisant autorité. Le rabbin Israël Isserlein marchait avec un homme dans le désert ; ils mouraient de soif ; le rabbin donna son eau à l’homme, mais ce faisant, il n’observait pas l’enseignement de Rabbi Akiva : ne donne pas ta dernière eau à ton compagnon. Bien sûr qu’il ne fallait pas appliquer la règle du rabbin Akiva.
Agnon justifie pleinement les médecins juifs qui soignent honnêtement les non-juifs dans les hôpitaux, et c’est la moindre des choses. Il y a beaucoup de bizarreries qui ne doivent pas nous arrêter, dans des textes réputés sacrés, ni pris au pied de la lettre, ni interprétés selon la règle "est bon ce qui est bon pour l’image des juifs". Tout le monde comprend qu’il faut bénir Dieu et bénir ceux qui vous sauvent, quand on échappe à un danger. Certaines consignes cruelles dans des textes anciens sont donc faites pour être transgressées, doivent fonctionner comme des provocations à déjouer. Mais Shahak ne croyait pas en Dieu, il était étranger à la foi, c’est ce qui l’empêchait de comprendre certaines choses. »
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Histoire juive, religion juive : le poids de trois millénaires,
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