Tous les chrétiens ne soutiennent pas l’Israël moderne. Mais tous les chrétiens soutiennent l’Israël antique. Tous les chrétiens ne croient pas qu’Israël a « le droit de se défendre » en commettant un génocide en Palestine et en envahissant d’autres pays. Mais tous les chrétiens croient que l’Israël des temps bibliques avait le droit – et même le devoir sacré – d’exterminer les Amalécites, « hommes et femmes, enfants et nourrissons » (1Samuel 15:3), parce qu’ils faisaient obstacle à sa conquête de Canaan.
Tous les chrétiens sont censés approuver Moïse lorsque, dans Nombres 31, il ordonne à ses hommes de massacrer tous les Madianites, pour les punir d’avoir encouragé les Israélites à épouser des femmes moabites. Moïse est furieux contre les chefs d’armée qui ont épargné les femmes et les enfants, mais il leur permet finalement de se réserver « les jeunes filles qui n’ont jamais couché avec un homme ». Le butin s’élève à trente-deux mille jeunes vierges, réparties entre tous les hommes : moitié pour les guerriers, moitié pour les prêtres. Yahvé exige pour sa part du butin 0,2 % de celle des guerriers, soit 32 jeunes filles, qui furent offertes à Yahvé par le prêtre sacrificateur Éléazar, vraisemblablement en holocauste, comme les bœufs, ânes et moutons réservés à Yahvé.
Où situer cette histoire sur l’échelle de la civilisation ? En-dessous de zéro. Nous sommes dans le monde décrit par l’anthropologue Lawrence Keeley dans Les Guerres préhistoriques (War Before Civilization), où l’extermination des tribus ennemies n’était pas rare et où
« la capture des femmes était l’un des profits de la victoire – et parfois l’un des principaux objectifs de la guerre – pour de nombreux guerriers tribaux. […] La position sociale des femmes capturées variait considérablement d’une culture à l’autre, allant de la vile esclave à l’épouse principale, en passant par la concubine et l’épouse secondaire » [1].
Pour l’ancien Israël, la norme était « vile esclave ». « Épouse principale ou secondaire » était hors de question, puisque la justification du massacre était d’empêcher les mariages mixtes. Le sexe avec des jeunes filles non israélites est OK, à condition qu’« aucun bâtard n’entre dans l’assemblée de Yahvé, ni aucun de ses descendants jusqu’à la dixième génération » (Deutéronome 23:3). C’est cela, plutôt qu’un respect particulier pour les femmes, qui explique la règle selon laquelle il faut une mère juive pour être juif.
D’autres récits bibliques reflètent ce type de guerre tribale pré-civilisationnelle. Dans Juges 19-21, le viol de la concubine d’un Lévite par les Benjaminites de la ville de Guibéa conduit à une guerre tribale, au cours de laquelle les onze autres tribus israélites massacrent tous les habitants de Guibéa et incendient la ville, tandis que six cents guerriers Benjaminites s’enfuient dans le désert. Puis, en gage de réconciliation, les Israélites décident de donner de nouvelles épouses aux Benjaminites. Pour ce faire, ils attaquent la ville israélite de Jabesh-Gilead, qui avait refusé de se joindre à l’expédition punitive, tuent « tous les hommes et toutes les femmes qui ont couché avec un homme », et rassemblent quatre cents vierges pour les offrir aux Benjaminites.
Bien avant que ces histoires ne soient écrites, il existait dans le Croissant fertile de hautes civilisations qui se comportaient avec plus de respect pour leurs ennemis. Malgré leur brutalité légendaire, les Assyriens n’ont pas massacré les Israélites vaincus, mais les ont déportés et réinstallés. Plus tard, les Babyloniens ont même permis à leurs captifs judéens de prospérer sur les rives de l’Euphrate.
Pourtant, les Israélites et les Judéens (Juifs) ont choisi d’écrire et de chérir leurs horribles histoires de massacres et de trafic d’enfants comme faisant partie de leurs traditions sacrées. Pire encore, ils ont décidé qu’en commettant ces actes, leurs ancêtres n’avaient fait qu’obéir au Dieu tout-puissant.
Tout cela fait d’Israël une sorte de fossile préhistorique vivant, un monstre issu d’une époque révolue de sauvagerie. Avec un maniaque génocidaire comme héros et maître spirituel, avec des récits de génocides et de razzias d’esclaves sexuelles comme récit national, avec un total de 24 681 116 personnes tuées pour ou par le dieu d’Israël [2], mais avec une armée et un arsenal modernes, et une influence internationale inégalée, Israël est devenu le plus grand fauteur de guerre du monde, une force de destruction de tous les acquis civilisationnels, tels que le droit international.
Israël est véritablement satanique. Il est satanique aujourd’hui parce qu’il était satanique hier [3]. Il est satanique parce que sa vision du monde, ses traditions, son attitude, son code de la guerre et son comportement général envers les Gentils sont enracinés dans l’Israël biblique et son fantasme délirant de l’« élection ». L’identité première de l’Israël moderne est la violence radicale de l’Israël biblique et ses prophéties de domination mondiale. Le Tanakh est le mode d’emploi des Israéliens pour leur nouvelle conquête du Levant.
Voilà pourquoi Israël a aujourd’hui un ministre comme Itamar Ben-Gvir affichant une photo du meurtrier de masse Baruch Goldstein sur son mur, ou un rabbin institutionnel comme Yitzak Shapira (« un grand arbitre halakhique » selon Netanyahou) écrivant dans son livre Hamelech (« La Torah du roi ») qu’« il est justifié de tuer des bébés s’il est clair qu’ils grandiront et nous feront du mal ». Shapira affirme que son décret « est pleinement justifié par la Torah ». Il a raison, cela ne fait aucun doute.
Si nous regardons le comportement d’Israël aujourd’hui, nous voyons Satan à l’œuvre. Mais si nous sondons profondément l’âme d’Israël, si nous réfléchissons avec intégrité sur l’origine du caractère d’Israël, nous découvrirons que l’âme satanique d’Israël est en fait Yahvé. Yahvé n’est pas Dieu. Yahvé est Satan, et Israël est le peuple élu de Satan.
« L’épée de Yahvé est pleine de sang, gluante de graisse. » (Isaïe 34,6) Posez un moment vos lunettes allégoriques ou eschatologiques chrétiennes, si vous en avez, et lisez ce que Yahvé a prévu pour « tous les peuples qui auront combattu contre Jérusalem » :
« Il fera tomber leur chair en pourriture pendant qu’ils seront debout sur leurs pieds, leurs yeux fondront dans leurs orbites, et leur langue fondra dans leur bouche. [… Alors] les richesses de toutes les nations alentour seront rassemblées : or, argent, vêtements en très grande quantité. […] tous les survivants de toutes les nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le roi Yahvé Sabaot et célébrer la fête des Tentes. » (Zacharie 14 : 12-18).
Et maintenant demandez-vous ce qu’une nation dotée d’un tel programme et de la puissance nucléaire fera lorsqu’elle estimera que Dieu lui donne le feu vert.
Si le mot Satan signifie quelque chose, alors Yahvé, l’âme d’Israël, est Satan.
Mes amis chrétiens m’en veulent de marteler ce point. Mais l’histoire exige qu’ils se réveillent de leurs rêveries sur l’Israël biblique. Il n’y a plus d’excuse à l’adoration de la Bible hébraïque et de son dieu génocidaire. Assez de faux-fuyants théologiques, comme « ne soyons pas anachroniques », ou « lisons tout cela allégoriquement » ! Prenez la pilule verte !
Mais ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain. Honorons Jésus ! Nous avons plus que jamais besoin de lui, parce que son histoire est celle de tous les hommes détruits par l’Empire pour avoir défié le Temple. C’est l’histoire du fils de Dieu qui a vaincu le peuple de Satan par son propre martyre. C’est l’histoire des Palestiniens.
Jésus, d’ailleurs, nous enseigne à demi-mots ce que nous devons savoir, lorsque que, au diable qui lui montrait « tous les royaumes du monde avec leur gloire » et lui disait : « Tout cela, je te le donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage », Jésus répondit : « Retire-toi, Satan ! » (Matthieu 4:8-10). Jésus rejette ici le principe même de l’alliance de Yahvé avec son peuple : si, dis Yahvé à Israël, « tu obéis vraiment à la voix de Yahvé ton Dieu », en n’adorant aucun autre dieu, alors Yahvé « t’élèveras au-dessus des toutes les nations qu’il a faites », « tu annexeras des nations nombreuses » (Deutéronome 26 : 17-19 et 28 : 12).
Le parallèle entre la tentation du Christ par Satan et l’alliance de Yahvé avec Israël est indéniable. L’histoire de la tentation concerne le rôle de Jésus dans l’histoire. Jésus refuse d’être le roi messianique qui inaugurera la suprématie glorieuse d’Israël. Ce récit est sans doute légendaire, mais il a probablement été inspiré par des paroles mémorables de Jésus. Il existe en effet un autre dialogue dans lequel Jésus utilise la même phrase, généralement traduite par « Arrière, Satan », mieux connue des catholiques dans la traduction latine, vade retro, Satana, mais peut-être mieux rendue aujourd’hui par « Dégage, Satan ! » Le dialogue, qui se trouve dans Marc 8 : 27-33, porte sur la réponse correcte à la même question : Jésus est-il le Messie ? Le voici, dans la traduction de la Bible de Jérusalem :
« 27 Jésus s’en alla avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe, et en chemin il posait à ses disciples cette question : "Qui suis-je, au dire des gens ?"
28 Ils lui dirent : "Jean le Baptiste ; pour d’autre d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes."
29 "Mais pour vous, leur demandait-il, qui suis-je ?" Pierre lui répond : "Tu es le Christ." […]
33 Mais lui, se retournant et regardant ses disciples, admonesta Pierre et dit : "Arrière, Satan ! Car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes." »
Dans ce dialogue, dont Marc fait le point de bascule de son récit, Jésus nie catégoriquement être le Messie (Christos, en grec), et c’est probablement sa réponse choquante et mémorable qui est reprise par Matthieu dans le récit de la tentation (Matthieu est en partie une réécriture de Marc).
Mais certains d’entre vous ont sûrement remarqué que j’ai sauté trois versets. Voici la citation complète :
« 27 Jésus s’en alla avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe, et en chemin il posait à ses disciples cette question : "Qui suis-je, au dire des gens ?"
28 Ils lui dirent : "Jean le Baptiste ; pour d’autre d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes."
29 "Mais pour vous, leur demandait-il, qui suis-je ?" Pierre lui répond : "Tu es le Christ."
30 Alors il leur enjoint de ne parler de lui à personne.
31 Et il commença à leur enseigner : "Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter" ;
32 et c’est ouvertement qu’il disait ces choses. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner.
33 Mais lui, se retournant et regardant ses disciples, admonesta Pierre et dit : "Arrière, Satan ! Car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes." »
Le passage prend maintenant le sens contraire : Jésus accepte le titre messianique, mais veut le garder secret, et Pierre est maintenant réprimandé pour ne pas avoir voulu que Jésus meure. Un peu d’exégèse historico-critique est ici nécessaire pour comprendre que la prédestination de la mort et de la résurrection de Jésus est un développement christologique postérieur à Pâques. Par conséquent, le verset 31 et les deux versets qui l’encadrent (30 et 32) ne peuvent pas avoir fait partie des paroles de Jésus telles que les ont conservées ses disciples immédiats, et sont presque certainement une insertion rédactionnelle. Ils introduisent dans la bouche de Jésus deux principes fondamentaux de la doctrine élaborée après la mort de Jésus : Jésus était le Messie et sa crucifixion était prédestinée (et prophétisée). Bien que ces deux affirmations soient incompatibles du point de vue juif (un Messie crucifié est une contradiction dans les termes), elles forment une unité inséparable dans la doctrine élaborée par Marc et les auteurs évangéliques ultérieurs.
Le verset 30 introduit le motif connu des spécialistes du Jésus historique sous le nom de « secret messianique » (analysé pour la première fois en 1901 par William Wrede dans Das Messiasgeheimnis in den Evangelien). L’objectif était de répondre à une objection : au début des années 70, certaines personnes qui avaient suivi Jésus ou ses premiers disciples n’avaient jamais entendu dire que Jésus prétendait être le Messie. L’explication des évangélistes est que Jésus avait dit à ses disciples de garder cela secret. Le motif du « secret messianique » a été introduit pour contredire le « rejet messianique » de Jésus lui-même.
Ce n’est qu’une théorie. Elle repose sur l’acceptation du fait que Jésus n’a pas écrit les évangiles lui-même, et qu’on peut donc se demander dans quelle mesure ses paroles ont pu être déformées. Par exemple, on m’objecte systématiquement Matthieu 5 : 17-18 : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu l’abolir, mais l’accomplir. […] avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota, pas un point sur le i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. » À ceux qui me citent ces versets, je réponds, d’abord : allez vous faire circoncire ! Ensuite : un peu de bon sens ! Ce logion est propre à l’Évangile de Matthieu, le plus juif de tous. Il est impossible que Jésus ait prononcé ces paroles, après avoir appelé à la transgression du sabbat.
Soyons clair : nous ne savons pas ce que Jésus a vraiment dit, et personne ne saura jamais avec certitude comment distinguer les mots qu’il a prononcés des mots que les auteurs et les rédacteurs des évangiles lui ont fait dire. Ce qui est important, c’est que nous avons le choix des interprétations. Il n’y a qu’un seul Jésus, mais il y a de nombreuses façons de le comprendre. Même avec le « Jésus historique » relativement récent, il existe des variantes : Jésus le rabbin, Jésus le révolutionnaire, Jésus le guérisseur, Jésus le prédicateur apocalyptique, etc. Nous pouvons choisir de croire que Jésus a légitimé le fantasme de supériorité métaphysique d’Israël, ou qu’il a essayé de guérir Israël de cette maladie mentale. Nous pouvons choisir de croire que Jésus a accepté le dieu d’Israël comme son Père céleste, ou qu’il a implicitement identifié le dieu d’Israël à Satan. Nous pouvons choisir de croire que Jésus était le Messie d’Israël ou qu’il a rejeté avec véhémence ce titre comme étant une idée satanique. Il s’agit d’un choix rationnel, et il existe des arguments solides en faveur de la seconde théorie. Je n’en ai présenté qu’un seul.
Il existe donc une voie hors du dilemme que nous impose la doctrine cléricale : si Jésus était le Messie, alors Israël était le peuple élu. L’un ne va pas sans l’autre. Or il est devenu vital de dénoncer l’élection divine du peuple juif comme le mensonge le plus gigantesque et le plus désastreux de l’histoire de l’humanité. Le mensonge juif par excellence. Un mensonge satanique qui a assez duré. N’est-il pas libérateur de découvrir, avec une exégèse critique élémentaire, que Jésus n’y croyait pas, et que, pour cette raison, il a rejeté avec la plus grande fermeté l’idée qu’il était le Messie ?
Autrement dit, il existe une base rationnelle pour le marcionisme, si nous entendons par là une vision de Jésus radicalement opposée à l’idéologie de l’Ancien Testament, et un concept du Père de Jésus radicalement opposé à Yahvé. L’un invite les hommes à chercher des trésors dans le ciel, tandis que le second ne pense qu’à remplir son temple d’or. « J’ébranlerai toutes les nations, alors afflueront les trésors de toutes les nations et j’emplirai de gloire ce Temple, dit Yahvé. À moi l’argent ! À moi l’or ! Oracle de Yahvé Sabaot ! » (Aggée 2 : 7-8) Point de place pour Israël dans le Notre Père que Jésus a enseigné à ses disciples !
Le marcionisme est une hérésie ? Tertullien l’a condamné ? Quelle importance ! Il n’y a plus de copyright ni d’excommunication papale à craindre. Nous sommes libres de comprendre Jésus comme nous l’entendons. Prenons exemple sur la grande Simone Weil, qui a reconnu en Jésus l’idéal sublime de l’héroïsme grec et l’antithèse du matérialisme juif : un fils de dieu grec, et non un messie juif. Ce Jésus radicalement anti-Israël ne nous sauvera pas, mais il pourra inspirer à certains la foi et le courage dont ils auront besoin dans la lutte finale. Prenons exemple sur Voltaire (dont BHL a bien senti le marcionisme), en relisant le génial Voltaire antisémite de Félix Niesche, un livre de chevet pour notre temps :
« Ô terre ! Ô nations ! Ô vérité sainte ! Est-il possible que l’esprit humain ait été assez abruti pour imaginer des superstitions si infâmes et des fables si ridicules ! »
« L’âme de Néron, celle d’Alexandre VI et de son fils Borgia, pétries ensemble, n’auraient jamais pu imaginer rien de plus abominable. » [4]
Au musée des horreurs, l’Ancien Testament ! Jetons cette eau pestilentielle, mais gardons aussi l’Enfant Jésus, la personnification mythique et rituelle du soleil-roi qui renaît chaque année, une tradition européenne bien antérieure à la christianisation. Comme l’a bien dit le médiéviste Emmanuel Le Roy Ladurie, au fond, le meilleur du catholicisme, c’était son paganisme [5].