Cette formule extrême-orientale signifie que si l’on réussit à chevaucher un tigre, on l’empêche de se jeter sur vous et, qu’en outre, si l’on ne descend pas, si l’on maintient la prise, il se peut que l’on ait, à la fin, raison de lui.
Rappelons, pour ceux que cela intéresse, qu’un thème analogue se retrouve dans certaines écoles de sagesse traditionnelles, comme celle du Zen japonais (les diverses situations de l’homme et du taureau) et que l’antiquité classique elle-même développe un thème parallèle (les épreuves de Mithra qui se laisse traîner par le taureau furieux sans lâcher prise, jusqu’à ce que l’animal s’arrête : alors Mithra le tue).
Ce symbolisme s’applique sur plusieurs plans. Il peut se référer à une ligne de conduite à suivre sur le plan de la vie personnelle intérieure, mais aussi à l’attitude qu’il convient d’adopter lorsque des situations critiques se manifestent sur le plan historique et collectif. Dans ce dernier cas, ce qui nous intéresse est le lien qui existe entre ce symbole et ce qu’enseigne la doctrine des cycles sur la structure générale de l’histoire, en particulier sur la succession des « quatre âges ». Cette doctrine, ainsi que nous avons eu l’occasion de l’exposer ailleurs, a revêtu des aspects identiques en Orient et en Occident (Vico n’en a recueilli qu’un écho).
Dans le monde classique, on parle d’une descente progressive de l’humanité de l’âge d’or jusqu’à celui qu’Hésiode appela l’âge du fer. Dans l’enseignement hindou correspondant, l’âge final est appelé le kali-yuga l’âge sombre), et l’on en exprime le caractère essentiel en soulignant que ce qui est propre au kali-yuga c’est précisément un climat de dissolution — le passage à l’état libre et chaotique de forces individuelles et collectives, matérielles, psychiques et spirituelles qui, auparavant, avaient été contenues, de diverses manières, par une loi venant d’en haut et par des influences d’ordre supérieur. Les textes tantriques ont donné une image suggestive de cette situation en disant qu’elle correspond au complet « éveil » d’une divinité féminine — Kâli — symbolisant la force élémentaire et primordiale du monde et de la vie, mais se présentant, sous ses aspects « infernaux », comme une déesse du sexe et des rites orgiaques. « Endormie » jusque-là — c’est-à-dire latente quant à ces derniers aspects — elle serait, durant l’ « âge sombre », complètement éveillée et agissante.
Tout semble indiquer que c’est précisément la situation qui s’est développée au cours de ces derniers temps, l’épicentre en étant la civilisation et la société occidentales, d’où elle s’est rapidement étendue à la planète entière ; le fait que l’époque actuelle se trouve placée sous le signe zodiacal du Verseau pourrait d’ailleurs trouver là une interprétation normale, se rattachant aux eaux, dans lesquelles tout retourne à l’état fluide, informe. Des prévisions formulées il y a déjà de nombreux siècles — car c’est à une époque aussi lointaine que remontent les idées que nous rapportons ici — se révèlent donc aujourd’hui singulièrement actuelles. Ce contexte se rattache, comme nous le disions, aux vues déjà exposées, en ce qu’il présente de façon analogue le problème de l’attitude à adopter durant le dernier âge, attitude associée ici au symbolisme du tigre que l’on chevauche.
En effet, les textes qui parlent du kali-yuga, et de l’âge de Kâli, proclament aussi que les normes de vie qui étaient valables pour les époques où les forces divines demeuraient, à un certain degré, vivantes et agissantes, doivent être considérées comme périmées durant le dernier âge. Celui-ci verrait apparaître un type d’homme essentiellement différent, incapable de suivre les anciens préceptes ; de plus, en raison de la différence du milieu historique, voire planétaire, ces préceptes, même s’ils étaient suivis, ne porteraient pas les mêmes fruits. C’est pour cela que des normes différentes sont désormais proposées et qu’ est abrogée la loi du secret qui couvrait auparavant certaines vérités, une certaine éthique, et certains « rites » particuliers, à cause de leur caractère dangereux et de l’antithèse qu’ils constituaient avec les formes d’une existence normale, réglée par la tradition sacrée. La signification de cette convergence de vues n’échappera à personne. En cela, comme sur d’autres points, nos idées, loin d’avoir un caractère personnel et contingent, se rattachent essentiellement à des perspectives que le monde de la Tradition avait déjà connues quand furent prévues et étudiées des situations générales d’un caractère non normal.
Examinons maintenant comment s’applique au monde extérieur, au milieu général, le principe consistant à chevaucher le tigre.
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