Un ami m’a offert un vieux magazine. Il s’agit d’un mensuel belge intitulé Le Nouvel Europe Magazine datant de décembre 1980. Quel intérêt ? Il contenait un entretien exclusif avec l’inénarrable Michel Audiard.
Le dialoguiste et réalisateur inoubliable s’y livre à un discours politiquement incorrect, qu’il serait impensable de prononcer de la sorte aujourd’hui. Attention, ça décoiffe !
Michel Audiard et la peine de mort
Dans plusieurs films et, surtout, dans « Le Pacha », vous mettez dans la bouche de Jean Gabin des prises de positions favorables à la peine de mort. Est-ce votre opinion propre ?
Michel Audiard : Oui. (…) je crois que la peine de mort conserve ; alors là, je suis peut-être « béret et baguette de pain », un caractère exemplaire, quoi qu’on en dise, parce que le voyou qui est arrêté croit toujours qu’il se tirera. Il pense qu’il s’évadera. (…) Alors, quand on lui coupe la tête, je n’aime pas dire cela mais il n’emmerde plus personne !
Michel Audiard, Jean Gabin et la politique
Mais comment voyait-il (Jean Gabin) le monde politique ?
Michel Audiard : Il ne le voyait pas car il avait un mépris total, complet, pour le monde politique. Incroyable même. Chez Gabin, tout est incroyable parce que tout est excessif. Ses amitiés, ses antipathies, tout. Les hommes politiques, ça lui donnait des boutons. À telle enseigne, c’est impensable mais c’est vrai, qu’il n’est plus allé chez son coiffeur où il allait depuis vingt ans, au Rond-Point des Champs-Élysées, le jour où il a su que son garçon coiffeur coupait les cheveux à Edgard Faure. C’est vous dire. Il ne pouvait pas les sentir ! Il partait du principe : quand un homme politique vous serre la main ou vous dit bonjour, c’est qu’il attend quelque chose de vous. Il ne pouvait penser que quelque chose de gratuit puisse venir d’un homme politique.
Il a haï De Gaulle et détestait Giscard avec le même entrain.
Michel Audiard, Céline et les juifs
Céline et vous, c’est toujours le grand amour ?
Michel Audiard : Alors là, toujours. (…) Le cas Céline est très simple : il y a ceux qui avouent avoir été influencés et ceux qui ne l’avouent pas. C’est tout. Mais ce qui est certain, c’est qu’on écrivait autrement la veille. (…) Même la Série noire est inspirée de Céline. Parce qu’on n’écrivait pas de cette façon avant. On n’employait pas les mêmes mots. (…) On a oublié que les fameux écrits antisémites qu’on lui a tant reprochés ont été écrits bien avant la guerre. Donc, avant l’occupation. Alors, pourquoi cette hargne ? Jusqu’à plus ample informé, on avait bien le droit d’être antimaçon ou antisémite. Si on n’avait pas pu, il fallait le dire. Fallait le faire savoir : « Il est interdit d’être antisémite, sous peine de prison ». Alors, il aurait été arrêté. Mais il fallait prévenir. On a donc été de mauvaise foi avec Céline.
Mais où je m’insurge aussi, c’est au moment où les avocats et défenseurs de Ferdinand disent qu’il n’a jamais été antisémite. Alors là, c’est de la connerie. C’est idiot. Cela ne le diminue en rien, bien au contraire. (…) Car finalement, au milieu de cette apocalypse qu’il nous a proposée, la seule chose qu’on retient contre lui, c’est son antisémitisme. Il avait le droit de dire du mal de tout le monde sauf du Juif. Alors là, le Juif nous casse les couilles et vous pouvez l’écrire en toutes lettres.