Il existe, loin des axes du TGV et des principaux pôles économiques et touristiques, une France oubliée. À dominante rurale, elle est inexistante dans les débats politiques et médiatiques. Un mépris pour un pan entier d’une population qui n’a jamais tenu de discours misérabiliste et victimaire.
Nous parlons de territoires français à faible densité, composés de petites communes rurales, de taille moyenne et sociologiquement peu marqués par l’immigration massive des 30 Glorieuses. Géographiquement, ils sont situés loin des grands axes ferroviaires et autoroutiers et le niveau de vie médian des habitants y est inférieur à la moyenne nationale. Quand ils ne sont pas ignorés dans les débats sociétaux et politiques, il sont méconnus ou cantonnés à quelques clichés.
Le premier de ces clichés consiste à réduire la question de la ruralité à celle de l’agriculture. Le lien entre désertification rurale et chute du nombre d’agriculteurs a toujours existé. Toutefois, cet état de fait ne nous autorise pas à conclure que les difficultés que rencontrent les ruraux sont d’office celles que rencontrent les agriculteurs, oubliant au passage les autres catégories professionnelles plus majoritaires (artisans, ouvriers, employés...)
Le second est l’idéalisation de la campagne. D’abord, par les écolos-bobos des centres villes, qui fournissent le gros des bataillons des néo-ruraux en quête d’authenticité. Un désir de campagne qui surfe assez souvent sur la vague du bio. Face à cette idéalisation de la part des habitants des villes, certains ruraux ont aussi compris que les symboles étaient des armes dans la communication politique. Défenseur des traditions rurales et des terroirs, le parti des chasseurs, ennemi de Bruxelles, nous invite à rêver les yeux ouverts d’une France rurale éternelle. Pire encore, le 13 heures de TF1 n’insiste le plus souvent que sur l’aspect sympathique et folklorique de la ruralité.
Le chiffre est sans appel. Selon les statistiques récentes produites par l’INSEE, 75 départements français ont un niveau de vie médian inférieur à la médiane nationale. Les départements les plus pauvres sont ceux dont la densité est la moins élevée. Il n’est pas difficile de comprendre que pour les habitants des communes de la Manche, de la Dordogne ou de la Meuse, les fins de mois sont plus difficiles que pour un Versaillais ou un Bordelais. Hormis le 93, le niveau de vie le plus élevé se situe en région parisienne. Ce département est un îlot entouré de voisins riches. Ainsi, contrairement au discours misérabiliste sur les banlieues, un jeune « Z’y va » de Drancy à quelques kilomètres de Paris a objectivement des perspectives professionnelles bien plus ouvertes qu’un autre jeune peu qualifié habitant les alentours de Vesoul ou de Laon.
La commune de Clairoix dans l’Oise, avant le médiatique combat des « Contis », était méconnue du grand public. Cette lutte a été l’emblème de la désindustrialisation française – 100 000 emplois détruits entre 2009 et 2011. La situation serait moins grave si ce phénomène ne frappait pas ces territoires déjà pénalisés. Il s’opère dans ces espaces ruraux à faible densité où sont implantées les PMI. Des PMI dont les emplois sont peu qualifiés et dont l’activité est exposée à la concurrence internationale. L’impact économique d’une procédure collective y est d’autant plus dommageable qu’il n’existe pas de secteur tertiaire dynamique qui puisse absorber l’érosion de l’emploi industriel local.
Ces territoires sont oubliés des politiques d’aménagement. Isolés, les habitants ne possèdent pour la plupart que leurs véhicules personnels pour se déplacer. Le coût de leurs mobilités pour satisfaire des besoins primaires représente une charge importante. Non seulement les services publics quittent progressivement ces espaces, mais l’usage du peu de service existant coûte plus cher. Les habitants des grandes villes, pour la plupart, ignorent que souvent, la prise en compte du quotient familial pour partager équitablement le coût des services est quasi-absente dans le monde rural. Par exemple, le tarif de la restauration scolaire et des activités péri-scolaires est le même pour tous les usagers. Instaurer la quasi-gratuité de la cantine scolaire pour tous n’est pas que justice sociale, c’est un impératif d’égalité territoriale. Faut-il attendre un Chavez français pour défendre cette idée ?
Enfin, la classe politique, notamment les partis de "gauche", ne fait preuve d’aucune compassion vis à vis de ces habitants. La gauche pense encore naïvement qu’ayant remporté les élections locales, cet électorat lui est acquis. Mauvais calcul, car les problématiques sociétales (la diversité, la parité...) intéressent peu les ruraux. Le paroxysme du mépris vient des sympathisants écologistes, qui trouvent ces territoires charmants quand ils y passent leurs vacances, tout en regrettant qu’ils soient peuplés d’arriérés pollueurs. Par exemple, sous la pression des normes écologiques de plus en plus contraignantes, l’habitat rural dispersé va progressivement disparaître en France. Ces maisons anciennes qui faisaient le charme du paysage français n’intéresseront plus personne. Leur réhabilitation et leur entretien deviendront hors de prix. En effet, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 enfonce le clou : d’ici 2013, l’assainissement individuel des maisons devra être mis aux normes. Une contrainte environnementale supplémentaire qui finira par venir à bout de l’habitat rural ancien, qui est principalement visé par cette mesure.
Ainsi, une réconciliation nationale est une nécessité. Elle sera de fait une réconciliation territoriale. Elle pourra non seulement réconcilier autour du projet national les différentes composantes sociales que l’on oppose à tort dans les médias, mais aussi faire en sorte de n’oublier personne.