Les commentateurs occidentaux qui avaient tenté de se remonter le moral en sautant sur la critique formulée jeudi Sergueï Lavrov par rapport au « gros retard » pris par le gouvernement syrien dans les réformes, devront, une fois de plus, se calmer : en visite ce vendredi 16 mars au Quai d’Orsay, la présidente du Conseil de la Fédération de Russie – l’équivalent de notre sénat – Valentina Matvienko a nié, dans un entretien au Monde, toute inflexion de la position de son pays sur la Syrie : « Sergueï Lavrov a eu tout à fait raison de dire que le pouvoir syrien aurait dû entendre plus tôt les aspirations des gens aux réformes et au changement » dit la n°3 russe. « Mais cela ne signifie pas qu’on accepte l’idée d’une ingérence étrangère, d’une pression extérieure unilatérale sur la Syrie« .
Un spectre hante les relations internationales, celui de Kadhafi
Et, on le sait mais Valentina Matvienko l’a quand même reprécisé au Monde, à ses lecteurs et, au-delà, à Alain Juppé, ce n’est pas la seule différence d’appréciation de la Russie avec les Occidentaux : « La communauté internationale doit prendre des mesures, dit-elle, pour que, sans conditions préalables, toutes les parties arrêtent la confrontation armée, le sang versé. Ensuite, il faut créer les conditions du dialogue pour que tout le monde s’assoit à la table des négociations« . C’est cette exigence de souligner les responsabilités de l’opposition radicale et armée, à côté de celles du gouvernement, qui est une des principales pierres d’achoppement entre Moscou et ceux d’en face : « C’est une route à deux sens (que la recherche d’une solution pacifique) il faut une volonté de part et d’autre » martèle Mme Matvienko.
L’émissaire russe à Paris est revenue indirectement sur l’opposition syrienne, en évoquant le risque d’une insurrection islamiste en Syrie. A Infosyrie, nous considérons que, de fait, cette insurrection islamiste a éclaté dès l’été dernier, mais Valentina Matvienko est dans son rôle en mettant en garde ses interlocuteurs contre les conséquences d’un soutien prolongé à la soi disant opposition démocratique type CNS.
C’est, une fois encore, le précédent libyen qui est évoqué pour étayer cette muse en garde : « La situation en Libye ne peut éveiller que l’inquiétude. Ca ne ressemble pas à un processus de paix, mais à une guerre civile. Veut-on la même chose en Syrie ? Non ! » .
Et Mme Matvienko enfonce le clou, avec une netteté et une logique qui ont bien dû agacer Alain Juppé : « Quoiqu’on pense de Kadhafi, c’était tout de même le chef de l’Etat. Les images de violences et d’acharnement contre lui étaient insupportables, moyenâgeuses ! »
Oui, décidément, Juppé a dû être très agacée par sa visiteuse !
Comme en écho à sa collègue, le chef de la diplomatie russe a suspecté les Occidentaux de vouloir faire échouer la mission de bons offices de Kofi Annan, actuellement en cours : « Les pays membres du Conseil de sécurité devraient demander à l’opposition syrienne de ne pas se livrer à des provocations qui aggraveraient la situation, et de coopérer complètement avec Annan ».
Sergueï Lavrov a vite précisé son propos, s’étonnant – ou feignant de s’étonner – de l’attitude des dirigeants du CNS « qui avaient fait état de l’échec de la mission de l’envoyé spécial de l’ONU, deux jours seulement après sa première visite à Damas ».
Une attitude « irresponsable » a ajouté Lavrov. Pas si irresponsable de leur point de vue, cependant : l’échec de cette mission, le blocage de la situation, c’est bien la dernière carte du CNS. Une carte qu’ils risquent cependant d’avoir beaucoup de mal à abattre.