Les biographes comparent habituellement Aung San Suu Kyi et Nelson Mandela pour des raisons évidentes. Tous deux ont fait preuve d’une bravoure immense ; tous deux ont enduré de nombreuses années de réclusion sur ordre de régimes brutaux ; tous deux s’expriment bien et sont photogéniques.
Je crains qu’il ne soit bientôt possible de trouver un autre parallèle entre eux. A la suite de sa libération, Mandela et ses camarades ont été persuadés de transformer l’Afrique du Sud en pays de rêve pour les multinationales mondialisées. L’ANC s’est montré tellement « généreux » en permettant aux investisseurs étrangers de réaliser leurs bénéfices hors du pays qu’en 2001 George $oros déclarait au Forum Economique Mondial à Davos, en Suisse : « L’Afrique du Sud est maintenant aux mains du capital international ». Selon certains indicateurs, les pauvres sont devenus de plus en plus pauvres.
Un processus similaire est-il en cours en Birmanie ?
Le 1er avril dernier, le jour de l’élection de Suu Kyi, un hôtel de 12 étages de style colonial à Pnom-Penh accueillait le deuxième Sommet économique mondial entre l’Union européenne et l’Association des Nations du sud-est asiatique (ASEAN). Les participants, et notamment le Commissaire européen au commerce Karel De Gucht, étaient invités à un événement en marge, intitulé « BuildingBusinessinMyanmar », (nom officiel de la Birmanie).
N’ayant pas été informé auparavant par les organisateurs de l’événement, Vriens&Partners, j’ai passé quelque temps à examiner qui est derrière cette boîte. J’ai fini par trouver un article de 2009 du magazine PublicAffairsAsia disant qu’il s’agit d’un projet conjoint entre Hans Vriens (ex-huile de la firme de communications APCO) et NokeKiroyan, directeur indonésien du géant minier Rio Tinto. En 2008, Rio Tinto était exclu du fonds de pension public norvégien en raison des dégâts environnementaux que la compagnie anglo-australienne avait causés en Papouasie occidentale (partie officielle de l’Indonésie).
Penser que Vriens & Kiroyan ont une motivation altruiste en faisant la promotion des possibilités d’investissement en Birmanie, ce serait faire preuve d’une incurable naïveté.
Au début du mois, HumanRightsWatch déclarait qu’il favoriserait une détente graduelle des sanctions de l’UE sur la Birmanie mais que des mesures de restriction devraient rester en place pour le moment contre certains secteurs de l’économie birmane. Les mines, les pierres précieuses et le bois sont toujours des monopoles tenus par les militaires.
Rio Tnto est le principal actionnaire individuel de la firme canadienne Ivanhoe, qui a conclu en 1994 un accord pour exploiter le gisement de cuivre Monya en Birmanie. Treize ans plus tard Ivanhoe se serait retiré du projet et aurait revendu ses avoirs Monya à un trust indépendant enregistré au Canada. Mais récemment Wikileaks a publié une dépêche diplomatique révélant que la participation de 50 % à Monya était en réalité vendue à la junte militaire birmane. Le régime a ensuite revendu les parts à un consortium dirigé par Norinco, une firme chinoise d’armements. Tay Za, « un ami du régime » (comme le décrit la dépêche) a été l’intermédiaire de l’accord et devait empocher 50 millions de dollars ; il fut l’un des cadres dirigeants birmans à faire l’objet de sanctions UE.
Vriens & Partners a un bureau à Rangoon (également appelée Yangon), la capitale birmane. Dans une lettre de février adressée au Financial Times, son délégué en chef sur place Romain Caillaud écrivait : « Les sociétés occidentales ont clairement beaucoup d’alliés au sein de l’élite des affaires et de la politique du Myanmar ainsi que dans le reste de la population, et il en viendra bien d’autres une fois que ces sociétés implanteront leur présence dans le pays.
Ayant vécu et travaillé à Yangon depuis plus de quatre ans maintenant, je puis dire que les sociétés occidentales ont une image positive ici. Leurs investissements sont vus par les citoyens birmans comme étant faits de manière plus responsable que ceux effectués par certaines compagnies asiatiques non bloquées par des sanctions et qui, à long terme, ne devront probablement pas affronter de pressions des politiques et des consommateurs afin qu’elles se comportent de manière plus responsable au Myanmar ».
Cette notion que les entrepreneurs européens ont plus d’éthique que leurs homologues chinois ou indiens est inconsistante.
Quand David Cameron a fait sa tournée dans le sud-est asiatique, notamment en Birmanie, au début du mois, il était acccompagné de cadres de chez Shell, BAE Systems et BHP Billiton. Il faudrait un degré considérable de culot pour défendre la spoliation du Delta du Niger par Shell ou les dessous de table que BAE a accordés à la famille royale saoudienne en échange de contrats, sous prétexte que les Chinois pourraient faire pire.
BHP Billiton, une fusion entre exploitants de ressources australiens et sud-africains – a une forte connexion historique avec l’apartheid. Gencor, la compagnie apparentée à Billiton, gérait la mine d’or de Kingcross, là où est survenu le pire accident de toute l’histoire minière de l’Afrique du Sud, en 1986. Quelque 177 travailleurs ont été tués dans un incendie souterrain. Jusque dans la mort, ils ont été confrontés à la discrimination : les victimes blanches ont été nommées ; les seuls détails donnés pour les noirs fut le nombre de ceux qui appartenaient aux tribus Sotho, Xhosa et autres.
Je n’ai pas d’objection à la suspension ni à la levée pas à pas des sanctions de l’UE sur la Birmanie. Il est clair que le pays aura besoin à la fois d’aide et d’investissements s’il s’agit d’une transition réussie de la dictature à la démocratie (ou à ce qui passe pour de la démocratie de nos jours).
Mais il ne devrait pas y avoir d’illusions sur ce qui se passe réellement ici. Loin de chercher à améliorer le sort de la population birmane en général, quelques sociétés convoitent lascivement les ressources de la Birmanie. En février, BusinessEurope, le plus puissant groupe d’entreprises à Bruxelles, pressait de lever les sanctions pour des raisons pragmatiques.
Son argument était du style : tout le monde reçoit une tranche de la Birmanie alors pourquoi pas nous ? « Appelez-moi juste un Thatchériste » raillait en 1996 Thabo Mbeki, le successeur de Mandela, quand il annonça les plans pour réduire les dépenses publiques et accroître les privatisations. J’espère seulement que la Birmanie n’a pas une Thatchériste qui attend en coulisses.