Ukrainien vivant en France depuis 10 ans, je me permets de vous faire partager mon point de vue sur l’actualité brûlante de mon pays d’origine. L’Ukraine est le terrain d’une opposition d’ordre géopolitique, qui aggrave considérablement ses difficultés de cohésion et de probité politique, les deux maux menaçant son existence.
Dans la crise actuelle, il apparaît clairement que l’empire américain et son allié européen vendent aux Ukrainiens le rêve des droits de l’homme dans le seul but d’étendre leur influence et de porter un coup à la Russie, quitte à ruiner le pays.
Il s’agit d’une guerre qui ne dit pas son nom, guerre géostratégique et économique : depuis plus de dix ans, les États Unis cherchent à intégrer l’Ukraine à l’OTAN ; si cela advenait, qu’en serait-il de la base russe de Sébastopol en Crimée ?
L’ingérence occidentale dans la crise actuelle vise aussi à mettre en péril le projet de création d’une union économique entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine. L’UE et le FMI proposent à l’Ukraine de développer le libre-échange, en « améliorant le climat d’investissement » ; or le marché ferait alors prévaloir les intérêts étrangers sur les intérêts nationaux [1]. Les multinationales pourraient ainsi racheter certaines industries [2], tout en profitant d’une main-d’œuvre qualifiée et bon marché.
Il est évident que la révolte n’a pu devenir révolution qu’avec l’appui financier de l’Occident ; suite à la Révolution orange, de nombreuses fondations étasuniennes censées faire « progresser la démocratie » s’étaient alors développées, comme la National Endowment for Democracy [3]. Aujourd’hui, l’UE prend le relais, avec la visite de Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne, à Kiev, ou encore le soutien d’Angela Merkel au parti de Vitali Klitschko, par l’intermédiaire de la fondation Adenauer (think tank de la CDU) [4]. Tous les partis de l’opposition sont soutenus, sans distinction : dans la révolution, tout est bon ! Le sénateur Mc Cain nous montre l’exemple, en s’affichant avec Oleg Tiagnyboc, dirigeant du parti national-socialiste Svoboda, et judéophobe caractérisé [5]. Les manifestants identitaires sont d’ailleurs souvent au cœur des violentes échauffourées urbaines qui composent la révolte. Les administrations régionales ont été prises d’assaut et certaines assemblées départementales de l’Ouest (Ivano-Frankivsk, Ternopil) sont allées jusqu’à interdire le parti communiste et le parti présidentiel, trop favorables à la Russie [6].
Le peuple est instrumentalisé, certes, mais sa colère est légitime.
Le premier responsable de cette crise historique est le président, V. Ianoukovitch lui-même. Ce criminel, deux fois condamné – à 17 ans pour braquage et à 20 ans pour coups et blessures volontaires – a été porté au pouvoir par le cartel de Donetsk, ville dont il a été gouverneur. Le président applique tout naturellement les pratiques mafieuses de ses origines à la gestion politique du pays. La population de l’Ouest ressent tout particulièrement cela, car étant en majorité pro-occidentale, elle ne constitue pas un terreau électoral fertile [7].
Qui sait ce que fera Ianoukovitch des quinze milliards prêtés par la Russie ?
Plus d’un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Mes compatriotes, exaspérés par la misère et la corruption, sont mal informés au sujet de l’Union européenne, qu’ils idéalisent certainement. La situation catastrophique du pays incite à l’espoir. Si en France la corruption est réservée à l’élite au pouvoir, en Ukraine elle touche toutes les strates de la société : de l’infirmier à l’inspecteur de police, mieux vaut passer par-dessous la table, sans quoi le moindre service vous coûtera plusieurs heures en salle d’attente.
Ainsi aucun parti, qu’il soit pro-russe ou de l’opposition, ne semble crédible.
La partition – appelée par Jirinovski, homme politique russe [8], et Harold Hyman, journaliste français spécialiste de géopolitique – apporterait la paix mais briserait une nation millénaire, partagée depuis des siècles et réunifiée en 1939 par le traité Ribbentrop-Molotov.
L’Ukraine a besoin d’un homme charismatique qui pourra réconcilier les ukrainiens et garantir leur indépendance. Il faut au pays un « propriétaire » qui, d’une main ferme et incorruptible, fera le ménage dans toutes les sphères et assurera l’unité nationale. Quant à la question du partenaire économique, c’est au peuple, via référendum, qu’il reviendrait de choisir entre l’Ouest et l’Est.
V. M.
Voir aussi, sur E&R : « Roman Halauniov sur la crise ukrainienne » (vidéo)