Prenez deux souris. Jetez-les à l’eau. L’une va se mettre à nager pour tenter de regagner le bord, tandis que l’autre reste inerte, sans produire le moindre effort pour tenter de surnager. Ce "test du niveau de désespérance" est l’une des expériences troublantes qui étayent les travaux qu’Olivier Manzoni, chercheur marseillais de l’Inserm (Institut de neurobiologie de Luminy) vient de publier dans la revue Nature neuroscience, en collaboration avec une équipe bordelaise de l’Inra spécialisée dans la nutrition.
"Ce qui différencie ces deux souris, c’est la façon dont elles ont été alimentées, et cela, dès leur développement intra-utérin", précise le chercheur. La souris "optimiste" a bénéficié d’une alimentation équilibrée, alors que sa congénère "désespérée" a été bourrée d’acides gras omega 6, mais a été carencée en acides gras omega 3. Omega 3, omega 6, kezaco ? "Il s’agit de lipides essentiels au fonctionnement du cerveau mais qui ne peuvent pas être produits par l’organisme", explique Olivier Manzoni. Seule la ration alimentaire y pourvoit. Mais le chercheur souligne que "depuis un siècle, l’alimentation dans les pays industrialisés s’est appauvrie en omega 3. Idéalement, le rapport omega 6/omega 3 doit se situer à 5. Mais chez certaines personnes qui se nourrissent très mal, il peut se situer à 100 !"
On trouve des omega 3 dans les poissons gras, les produits de la mer, l’huile de noix ou de colza : en gros, le régime crétois qui correspond à l’alimentation traditionnelle des pays méditerranéens. Quant aux omega 6, ils sont présents dans les viandes, les graisses animales, les frites... c’est le régime fast food", assène le chercheur. On savait que la malbouffe produisait des obèses. Nous rendrait-elle, comme les souris, dépressifs et... asociaux ? Voyez plutôt cet autre test de comportement mis au point par les chercheurs.
"Lorsqu’on introduit un congénère dans sa cage, une souris correctement alimentée s’en approche, va le renifler. En revanche, une souris carencée en omega 3 refuse l’échange et ne manifeste pas le moindre intérêt à l’égard d’un autre animal. Ses interactions sociales sont diminuées". Mais ce n’est pas tout. La souris mal nourrie se montre également plus stressée aux tests d’anxiété : "Dans une cage très éclairée, l’animal se réfugie tout de suite dans les zones d’ombre sans tenter la moindre exploration". À ces données comportementales, les chercheurs ont associé des mesures de l’activité électrique du cerveau. Résultat : "Les récepteurs cannabinoïdes des souris mal nourries, synapses stratégiques pour la transmission nerveuse, voient leur fonction abolie. Or ces récepteurs sont les principaux régulateurs des émotions".
Cet état est-il réversible, autrement dit les fonctions cérébrales sont-elles rétablies lorsque l’alimentation est rééquilibrée ? C’est ce que le chercheur marseillais veut désormais comprendre. Quant à transposer les résultats de ses études à l’homme, Olivier Manzoni refuse les raccourcis : "N’allez pas en conclure que pour soigner sa dépression, il faut ouvrir une boîte de sardines !"