En l’an de grâce 628, les fidèles de Mahomet furent victorieux lors du siège de Khaybar, une importante place forte tenue par des tribus juives située dans le Hedjaz, à cent cinquante kilomètres de la ville de Médine. Ce succès délivra les tribus arabes de la région de l’emprise juive et consacra la popularité et la crédibilité de Mahomet.
Les vaincus ne furent pas exterminés, puisque le calife Omar décida en 635 d’expulser tous les Juifs de la péninsule arabique, à l’exception de quelques familles juives protégées par des « lettres » du Prophète lui-même, un privilège les autorisant à demeurer sur place. Après la mort du calife Omar, les exilés revinrent peu à peu dans le pays, pour autant qu’ils l’aient vraiment quitté. Le prince Caetani (1869-1935), célèbre orientaliste italien, mentionne sous le califat d’Abd el Mélik (685-705) la présence d’une communauté juive dans le Ouadi el Houra. Selon le chroniqueur arabe al Mogaddasi, ces Juifs formaient encore au Xe siècle la majorité de la population résidant au Ouadi el Houra. En 1488, le rabbin Ovadia de Bertinora entreprit un voyage en Palestine. Voici en quels termes il confirme la persistance d’une redoutable communauté juive en Arabie :
« Les musulmans qui quittent l’Égypte pour se rendre en pèlerinage à la Mecque ont à traverser un vaste et terrible désert. Ils se groupent donc en caravanes réunissant quatre mille chameaux. Parfois ils sont attaqués par une tribu de formidables géants qui sèment la terreur dans cette région, un seul d’entre eux pouvant mettre en fuite jusqu’à un millier d’hommes. Les musulmans appellent ces pillards "Les fils du Dieu Tout-Puissant", car ils invoquent toujours le nom El Chad au cours de leurs batailles. Les musulmans disent que chacun d’eux peut porter, tout en combattant, un chameau sur ses épaules. Il est connu que leur religion est la religion juive et on pense qu’ils descendent des Récabites. » (Isaac Ben Zvi, Les Tribus dispersées, Les Éditions de Minuit, 1959, page 150)
En 1524, un célèbre aventurier juif connu sous le nom de David Reubeni débarqua en Italie et obtint une audience du pape Clément VII en qualité d’ambassadeur itinérant d’un certain royaume de Khaybar, situé au cœur de l’Arabie. Selon ses dires, ce puissant royaume juif était gouverné par son frère, le roi Joseph. En 1521, le sultan Sélim Ier avait mis la main sur l’Égypte et cette conquête gênait beaucoup les intérêts des riches négociants juifs installés au Portugal. David Reubeni proposa alors une alliance entre la chrétienté et le royaume juif de Khaybar, contre l’Empire ottoman. En 1525, David Reubeni arriva au Portugal, où le roi Jean III lui promit une flotte de huit navires pour reconquérir Jérusalem et y rétablir Israël dans la splendeur des Nations. Mais quand le faux messie Salomon Molcho entra en piste et chercha à soulever les Juifs marranes d’Espagne et du Portugal, l’empereur Charles Quint mit le holà aux agissements des deux compères en les envoyant méditer sur les bûchers de la Sainte Inquisition. Lord Balfour n’était pas encore né…
En 1535, un Juif de Palestine, David Haroumin, nous livre le témoignage suivant sur les légendaires tribus perdues d’Israël qui seraient établies dans la péninsule arabique :
« J’ai fait des recherches sur la question de ces tribus. C’est une histoire merveilleuse et difficile à vérifier car elles se trouvent à une distance d’ici qui représente plus d’un an de voyage. Mais, de diverses sources, j’ai pu établir que sur la piste menant à La Mecque, vivent de nombreux Juifs habitant dans le désert, sous la tente. Autour d’eux nomadisent d’autres bédouins arabes. Tous, Arabes et Juifs, font des razzias ensemble et se partagent le butin. Lorsque ces tribus bédouines rencontrent d’aventure un Juif, elles lui font de magnifiques présents et le protègent pendant son voyage. Cette histoire m’a été racontée par différents témoins. » (Idem, page 153.)
En 1605, Abraham ben Migdach, médecin juif du sultan Soliman le Magnifique, rapporta les faits suivants :
« Dans le Ouadi Karnin, à deux jours de La Mecque, les Juifs possèdent leur propre chef et détiennent trois forteresses. » (Idem, page 153.)
Les allégations de David Reubeni ne semblent pas entièrement dénuées de fondement, car de nombreux témoignages de sources différentes confirment ses dires : depuis plusieurs repaires fortifiés situés dans le Hedjaz, des bandes de pillards composées de nomades juifs, avec des supplétifs et des rabatteurs arabes, écumeraient de vastes territoires de la péninsule arabique placés sous la souveraineté nominale de l’Empire ottoman.
Vers le milieu du XVIIe siècle, un voyageur français, Leblanc, rapporta dans ses souvenirs de voyage qu’il rencontra une tribu juive sur le chemin de La Mecque :
« Après avoir quitté le mont Sinaï, nous arrivâmes à une montagne sur laquelle se trouve le village de Joussara, presque entièrement peuplé de Juifs. Ces Juifs se promènent presque nus, avec une sorte de pagne. » (Idem, page 154.)
Leblanc précise encore que ces Juifs ont la réputation d’être méchants et brutaux…
À la même époque, l’explorateur danois Carsten Niebuhr nous donne d’autres détails sur ces tribus :
« Dans les lointaines provinces de l’Arabie musulmane vivent non seulement des Juifs isolés mais aussi des tribus entières. Elles habitent les montagnes du Hedjaz, voisines de Khaybar, et sont dirigées par des cheiks indépendants. Le nom de Khaybar est détesté par les Arabes du Nord, qui ne connaissent pas de pire injure que celle de "descendant de Khaybarites". Ils se plaignent que leurs caravanes de chameaux dans le Hedjaz soient attaquées et pillées par les Juifs de Khaybar. On dit que les cheiks de Khaybar dans le Hedjaz et de Maanza dans le Nedj sont de véritables chefs d’armée. Les Juifs de Khaybar ont souvent aidé les tribus arabes voisines. Il y a peu de relations entre ces Juifs et ceux qui habitent les pays situés au nord de la péninsule arabique. » Niebuhr nous donne même les noms de ces tribus juives : les Banou Mazid, les Banou Bhakhan et les Banou Anaïza. (Carsten Niebuhr, Beschreibungen von Arabien, Copenhague, 1772, page 25.)
Tout au long du XIXe siècle, des explorateurs tentèrent sans succès de retrouver la trace de ces Juifs de Khaybar. Le voyageur italien Carlo Guermani visita Khaybar en 1864. L’oasis ne comptait plus que deux mille cinq cents arabes vivant misérablement dans les ruines de la capitale de l’ancien royaume de Khaybar, mais plus aucun habitant juif. Le célèbre explorateur anglais Charles Doughty, après avoir effectué de nombreuses recherches pour vérifier les récits légendaires sur la persistance de tribus juives dans le Hedjaz et le Nedj, ne trouva plus aucune trace de ces dernières dans ces contrées.
Isaac ben Zvi (1884-1964), fondateur de l’Institut de recherche des communautés juives orientales et deuxième président d’Israël, nous donne la clé de cette énigme dans son livre déjà cité, Les Tribus dispersées, pages 166-167 :
« Ainsi donc, l’existence de tribus juives indépendantes, si souvent signalées en Arabie du Nord, aurait pris fin au milieu du XVIIIe siècle, c’est-à-dire au moment même où les Wahhabites surgissent dans l’histoire de l’Arabie. Y aurait-il un lien entre ces deux phénomènes ? L’apparition de cette secte fanatique et révolutionnaire, qui voulut purifier l’Islam des influences païennes, du culte des saints, et la ramener à sa pureté primitive, a-t-elle été lourde de conséquences pour les vestiges de ces tribus juives ? Rien ne permet de l’affirmer, car il est également possible que celles-ci aient fait cause commune avec le mouvement wahhabite, sur la base d’un sentiment d’opposition naturelle tant envers l’orthodoxie sunnite, leur séculaire ennemie, qu’envers le culte des saints. Dans cette dernière hypothèse, on peut admettre que ces clans juifs du Hedjaz, même après leurs ralliements à la secte des Wahhabites, aient pu conserver certaines de leurs traditions propres, se mariant entre eux seulement, observant quelque peu le Sabbat, et invoquant le nom Chaddaï ainsi qu’on le raconte. Seule une enquête détaillée auprès de celles des tribus bédouines qui se réclament d’une ascendance juive pourrait permettre de se faire une opinion définitive. On peut même aller plus loin et avancer que les conclusions de Doughty ne sont pas décisives : elles n’infirment pas l’hypothèse d’une tradition juive secrète semblable à celle des Marranes du Portugal et d’Espagne ou encore à celle des crypto-Juifs de Méched en Perse. Une double vie religieuse, l’une publique tout extérieure, l’autre privée et clandestine, est un fait assez répandu au Moyen-Orient. Pendant près d’un millénaire, les Druzes ne se distinguèrent en rien de leur milieu islamique dont ils craignaient le fanatisme, mais, après l’arrivée des Français et des Anglais au Moyen-Orient, ils cessèrent de dissimuler leurs pratiques et exigèrent qu’on les distinguât des musulmans. Peut-être en est-il de même de certaines tribus bédouines, entièrement islamisées extérieurement, mais nous réservant à l’occasion quelque surprise ? »
La surprise est survenue quand le roi Fayçal Ibn Abd el-Aziz (1906-1975), frère et successeur d’Ibn Séoud, déclara au Washington Post (édition du 17 septembre 1969) : « Nous, la famille saoudienne, sommes les cousins des Juifs ; nous sommes en désaccord total avec tout Arabe ou toute autorité islamique qui se montre hostile aux Juifs. Nous devons au contraire vivre en paix avec eux. Notre pays est le sommet de la fontaine d’où les Juifs ont émergé, puis leurs descendants se sont répandus à travers le monde. » Les historiens officiels de la dynastie saoudienne affirment pourtant que cette famille descend directement du Prophète…
Quant aux tambourinaires de la démocratie et des droits de l’homme, ils restent étrangement silencieux face à une monarchie absolue de droit divin, un régime aujourd’hui unique au monde qui considère l’Arabie comme sa propriété privée : c’est pourquoi son nom officiel, Arabie saoudite, se confond avec celui de la dynastie régnante. De plus, Les Wahhabites entendent imposer à leurs sujets une croyance exclusive et sectaire : la liberté du culte n’existe pas au royaume de Khaybar. Quant aux opposants locaux, cette misérable vermine bénéficie de l’incroyable privilège d’expier ses crimes abominables dans de véritables « chambres à gaz », dans le silence des médias et des défenseurs des droits de l’homme.
En 1979, un groupe d’environ deux cents étudiants de l’université islamique de Médine occupèrent la grande mosquée de La Mecque. Pour éliminer les opposants, qui avaient eu l’audace de mettre en cause la légitimité de la dynastie régnante et de dénoncer la corruption, les princes saoudiens firent appel aux barbouzes du GIGN de la Gendarmerie française, alors commandé par le célèbre capitaine Barril. Petit problème théologique : les « mécréants », autrement dit les gendarmes du GIGN, n’étaient pas autorisés à entrer dans l’enceinte sacrée de la Grande Moquée, mais avaient la bénédiction d’y faire usage de leur arsenal. Molière est alors appelé à la rescousse et les braves gendarmes se feront mahométans pour l’occasion. On ignore si les convertis d’un jour ont dû subir la délicate petite opération de circonstance... Les prophètes des droits de l’homme ne sont bien entendu pas arrivés les mains vides : des gaz de combat viendront vite à bout des derniers opposants, retranchés dans les souterrains de la Grande Moquée. Pour en finir, soixante-trois d’entre eux seront encore décapités au sabre, parce que le capitaine Barril, sans doute distrait, avait oublié d’emporter la vaillante guillotine républicaine dans ses bagages…