La ville d’Oufa accueille les sommets de l’Organisation de Shanghai et des BRICS, objets de l’attention des analystes et des médias internationaux. Les États-Unis ne cachent pas leur irritation et tentent de ramener l’attention sur eux.
Par exemple, Deborah Lee James, secrétaire adjointe des Forces aériennes s’est fait remarquer, lors d’une interview à Reuters, en qualifiant la Russie de « plus grande menace à la sécurité nationale américaine ». Son propos n’avait rien d’original : arguant des « actions menaçantes » de Moscou en Europe de l’Est, James a appelé les États-Unis à étendre leur présence militaire sur le vieux continent, en forçant ses alliés de l’OTAN à consacrer 2% de leur PIB à la défense pour maintenir l’alliance. Seuls 4 des 28 États membres sont à ce niveau de dépenses militaires. Ce qui montre que les fables sur les « terribles Russes » ne fonctionnent toujours pas.
La Russie a de quoi répondre à l’Ouest. Et nous ne parlons pas seulement de la chose militaire, mais de l’économie et de la finance. Selon IA Regnum, la Russie a augmenté sa production d’or au cours des cinq premiers mois de 2015 de 6,5 %, et sa production d’argent de 7,7 %. 83,01 tonnes d’or ont déjà été extraites (contre 84,7 tonnes sur l’ensemble de l’année 2014) et 411,78 tonnes d’argent (contre 542,32 tonnes en 2014). En plus de ces chiffres inquiétants pour les Étasuniens, la banque de développement des BRICS a commencé ses opérations avec un capital de départ de 100 milliards de dollars. Il faut également ajouter la promesse d’introduire une couverture or pour le yuan à la fin de 2015, comme cela a été annoncé par Shen Han, le vice-président de la bourse de l’or de Shanghai. Cette annonce a été suivie de celle de l’ancien chef de la Banque nationale de la Chine, Pan Hongshen, qui a parlé à Reuters du projet de la banque d’augmenter et d’« internationaliser » le marché de l’or.
Ce ne sont pas des paroles en l’air car la Chine et l’Inde représentent la moitié de la consommation d’or mondiale. Le pouvoir de Pékin est en expansion accélérée. A la mi-juillet, la Banque de Chine, la plus ancienne institution financière de Chine (fondée en 1912) va devenir officiellement la première banque chinoise à participer au fixing de l’or à Londres, le mécanisme pour établir le prix quotidien de l’or qui fonctionne depuis 1919.
Pékin n’a pas l’intention de s’en tenir là : la seconde banque à rejoindre le pool d’élite sera la Banque industrielle et commerciale de Chine. Il y a beaucoup de raisons à cette expansion : la Chine envisage de faire entrer le yuan dans le panier de devises de réserve du FMI, en plus du dollar, de l’euro, de la livre sterling et du yen. Par conséquent, elle a l’intention de demeurer l’un des plus gros acheteurs de lingots d’or. « Les Chinois veulent être leaders dans tous les secteurs du commerce international, par conséquent ils veulent être présents partout où les prix se forment », selon Ross Norman, le directeur de Sharps Pixley, cité par Bloomberg. La bourse de l’or de Londres, la plus grande de son espèce dans le monde (en avril elle a échangé de l’or pour une valeur de 20,2 milliards de dollars) est en train de devenir le « tremplin » de la Chine pour permettre au yuan d’affaiblir le dollar et le mécanisme d’échange qui en dépend. Naturellement, l’objectif est l’expansion « durable » du yuan, car une chute rapide du dollar détruirait inévitablement l’économie de la Chine qui finance la dette nationale des États-Unis. C’est leur étroite interdépendance qui a engendré le terme « Chimerica ».
La difficulté réside ici dans le fait que sans Moscou, qui avec l’Afrique du Sud est le principal producteur d’or, Pékin ne peut pas faire le saut. L’ordre mondial subit l’influence croissante d’une « ruée vers l’or ». Sa propagation rappelle celle de la technologie Web 2.0, qui rend les systèmes plus efficaces à mesure que leur utilisation s’élargit. Le virus de l’or se répand. Il est stimulé par la demande croissante d’or. Selon le World Gold Council, la Chine va augmenter ses achats d’or de 3% cette année. Les réserves d’or de la Russie, également en croissance, ont atteint 1250,9 tonnes en juin.
Cette information a suffi pour que Jim Rickards, l’auteur du livre La Mort de la monnaie : l’effondrement imminent du système monétaire international, prédise que la Russie allait bientôt passer à un rouble indexé sur l’or. Peter Kraut, un analyste de Money Morning, a exprimé une position semblable en écrivant que la Russie développait rapidement ses réserves d’or, en dépit des problèmes économiques, et que « cette tendance pouvait avoir une influence destructrice sur le dollar américain ». Rickards croit que la fin du dollar surviendra aussitôt que la Chine aura dévoilé le montant réel des réserves d’or détenues par la Banque de Chine. Jusqu’à présent, son montant n’est pas connu officiellement. Les rapports de Goldseek.com, qui citent Jian Bingnan, le dirigeant de l’Association de l’or de la république populaire de Chine évaluent les réserves d’or de la Chine à 9816,03 tonnes. C’est un chiffre énorme, qui dépasse même les réserves d’or des États-Unis, qui s’élèvent à 8134 tonnes. Il est évident que personne ne confirmera ni n’infirmera ce chiffre dans un proche avenir. La Chine s’abstient de faire des commentaires officiels.
La « ruée vers l’or » ne se limite pas à la Russie et la Chine. Il ne faut pas oublier la Turquie qui, selon Alister Hewitt, un expert du Conseil mondial de l’or, est le quatrième plus grand consommateur d’or (6%, ou 181 tonnes par an). Les particuliers du pays en détiennent déjà 3500 tonnes. L’Iran voisin a également commencé à augmenter ses réserves, à cause du fardeau des sanctions, et a commencé à utiliser l’or comme moyen d’échange avec Ankara, une procédure qui a été l’objet de nombreux scandales. Selon le Hurriyet Daily News, Téhéran a récupéré 13 tonnes d’or « gelées » en Afrique du Sud en raison des pressions des États-Unis et de l’UE. Maintenant, Washington montre sa « générosité » en encourageant la passion des pays de l’Est pour le métal magique. Étant donné que les avoirs iraniens bloqués sont estimés à 100 milliards de dollars, la chasse à l’or ne fait que commencer.
L’ordre mondial va s’effondrer plus vite qu’il n’y paraît, et les fissures du nouvel équilibre des forces sont de plus en plus visibles. La Russie et la Chine mènent la course. Qui va atteindre la ligne d’arrivée en premier ? Nous ne le saurons que dans quelques années.
Fortruss, 9 juillet 2015
Commentaire du traducteur J.Hawk
Un des points importants que Sarkissian souligne est le fait que la Chine ne veut pas que le dollar s’effondre, pas plus d’ailleurs que qui que ce soit, parce que le dollar est toujours un outil très efficace et très utile pour les échanges internationaux. Cependant, le problème est que les États-Unis utilisent le dollar et d’autres biens communs mondiaux qu’ils contrôlent (comme, par exemple, l’Internet) non comme un bien public au service de l’ensemble du système, mais comme une arme dans la guerre préventive hybride mondiale qu’ils mènent pour empêcher, ou du moins retarder, leur déclin. Déclin que tout le monde, y compris les États-Unis, constate. Donc toutes ces mesures, y compris les achats d’or, sont des mesures défensives plutôt qu’offensives.
Je pense que l’échéance à laquelle tout le monde se prépare de son mieux, est la hausse du taux d’intérêt directeur de la Banque centrale américaine (la Réserve fédérale ou Fed) qui aura pour effet de raréfier le dollar dans les flux de capitaux internationaux, avec des effets destructeurs sur le commerce international. Il est donc logique de mettre en place une alternative, que ce soit un yuan, un rouble, ou toute autre monnaie, adossés à l’or, l’or prenant la place (en totalité ou en partie) de la réserve internationale monnaie qui rend, dans les faits, toutes les autres monnaies mutuellement négociables. Parce que si le dollar disparaît de la circulation, comment allez-vous savoir combien l’euro, le yen, le rouble, le yuan, etc., valent l’un par rapport à l’autre ? Et si on ne peut pas le savoir, c’est la plongée assurée dans la dépression pour tout pays qui vit du commerce. Donc, l’or est clairement devenu un filet de sécurité du fait qu’aucune banque centrale d’aucun pays n’a la crédibilité qu’a la Réserve fédérale américaine pour gérer la monnaie. Mais, ne vous y trompez pas, selon toute vraisemblance, l’année prochaine (qui aura aussi l’avantage d’être une année d’élection présidentielle américaine), une grave crise économique internationale sera déclenchée par le relèvement du taux directeur de la réserve fédérale. L’or sera alors en mesure d’atténuer partiellement cet impact, mais pas entièrement.
Il est remarquable que les Britanniques ne trouvent rien à redire aux agissements de la Chine. Cela signifie que pour eux les mesures que prend la Chine ne sont pas dirigées contre le dollar, ce qui nuirait à l’ensemble du système financier et qui de ce fait provoquerait l’opposition de Londres, mais comme une assurance contre de futures actions de la Fed qui mettront inévitablement en danger le dit système financier.
Article original en anglais : fortruss.blogspot.fr
Traduit du russe par J. Hawk et de l’anglais par Dominique Muselet.