Depuis 1957, les États-Unis et le Canada assurent conjointement la surveillance l’espace aérien nord-américain via une structure commune, le NORAD (North American Aerospace Defense Command, ou Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord).
Avec le projet de Washington de bâtir une défense antimissiles balistiques (DAB), l’on aurait pu penser qu’Ottawa allait y participer. Sauf que, en 2005, cette question fut tranchée avec le refus opposé par Paul Martin, le Premier ministre canadien de l’époque, alors à la tête d’un gouvernement minoritaire.
Et depuis, l’on croyait que le débat était clos… jusqu’à une petite phrase prononcée au début de ce mois par le conservateur Stephen Harper, Premier ministre depuis 2006. « C’était notre opinion que les Canadiens n’avaient pas besoin de la sécurité qu’offrait une participation au système de bouclier antimissile dans le passé », a-t-il dit.
Et d’ajouter : « Évidemment, il y a des changements qui se passent dans le monde et nous allons examiner si cela sert ou ne sert pas les intérêts des Canadiens et nous allons prendre les décisions qui sont dans les meilleurs intérêts pour la sécurité des Canadiens. Mais en ce moment, nous n’avons pas décidé de revoir notre position ».
Autant dire que M. Harper a préparé le terrain puisque ces propos ont été tenus quelques jours avant la publication d’un rapport rédigé le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense (une instance du Sénat canadien… favorable à la participation d’Ottawa au bouclier antimissile américain.
« Nous espérons que le gouvernement ne tardera pas à appliquer notre recommandation. Comme nous l’indiquons dans le rapport, le contexte de menace a beaucoup changé depuis 2004 », a expliqué Daniel Lang, le président de ce comité sénatorial. « Nous devons nous assurer que les Canadiens sont complètement protégés contre les attaques de missiles balistiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui », a-t-il plaidé.
Pour le commandant adjoint du NORAD, le lieutenant‑général Parent, « la menace est réelle » et comme le Canada ne participe pas à la DAB américaine, l’officier a expliqué que « les décisions prises pour déterminer si l’on intercepte ou non un missile en approche et sur l’endroit et le moment où auront lieu les interceptions ne relèveraient pas de la structure binationale du NORAD, mais plutôt des États Unis seulement, par l’intermédiaire de leur commandement de défense nationale, le United States Northern Command (USNORTHCOM) ».
Quelles menaces ont donc été avancées pour expliquer ce revirement ? Le rapport en évoque deux : l’Iran et la Corée du Nord. Curieusement, d’autres pays avec lesquels le Canada pourraient en froid – si l’on ose dire – au sujet du Grand Nord et de ses ressources naturelles, n’ont pas été évoqués…
« Le comité a demandé au major-général Christian Rousseau, à l’époque le commandant du Commandement du renseignement des Forces canadiennes, son évaluation de la situation ». Ce dernier a « jugé très inquiétants la prolifération et l’usage potentiel d’armes de destruction massive et de missiles balistiques contre le continent nord-américain ». La Corée du Nord et l’Iran suscitent le plus de craintes, selon lui, car ces deux pays continueront probablement de tenter d’acquérir, de renforcer et d’améliorer leurs capacités en matière d’armes nucléaires et de missiles balistiques. Le major-général Rousseau a aussi souligné que la Corée du Nord « a expressément indiqué vouloir être en mesure de pointer l’Amérique du Nord avec des missiles nucléaires », peut-on ainsi lire dans ce rapport d’une trentaine de pages seulement.
Après avoir relevé les progrès récemment réalisés par la Corée du Nord, le document s’attarde un brièvement sur le cas de Téhéran. « L’Iran n’a peut-être pas, à l’heure actuelle, ni la capacité, ni l’intention d’attaquer l’Amérique du Nord, mais il continue de développer ses moyens d’y parvenir. Si ses intentions changeaient dans les 10 prochaines années, l’Iran aurait donc probablement la capacité d’agir et de faire peser une menace sérieuse sur l’Amérique du Nord », ont écrit les rapporteurs.
« Des témoins ont dit croire qu’il serait suicidaire pour la Corée du Nord et l’Iran d’attaquer l’Amérique du Nord ou ses alliés, mais le comité n’accepte pas l’idée que ces deux pays, munis d’armes nucléaires et des modes de lancement requis, pourront toujours se comporter rationnellement et respecter les lois et les normes internationales. Jusqu’à présent, leur conduite parle d’elle-même. Par ailleurs, le Canada et ses alliés ne disposent en aucun cas d’un niveau de confiance suffisant pour établir que les missiles nucléaires de ces deux pays sont ou seront bien protégés contre des lancements accidentels ou non autorisés », conclut le rapport sur ce sujet.
Outre la question des menaces, le comité sénatorial a fait valoir qu’une « entière participation permettrait d’harmoniser les politiques du Canada avec les engagements qu’il a pris envers l’Otan et NORAD » et donnerait l’occasion « aux responsables canadiens, y compris à nos généraux, d’être présents à la table pour discuter de la défense antimissiles balistiques, de la manière dont le Canada pourrait être protégé et à quel moment et à quel endroit il faudrait intercepter un missile se dirigeant dans notre direction ».
Cependant, le rapport l’élude en rien les arguments des opposants à cette participation. Cinq sont cités : « gaspillage de ressources qu’il y aurait plutôt lieu d’utiliser pour régler des problèmes sociétaux plus pressants ou pour intervenir auprès des pays qui prolifèrent les armes par des moyens diplomatiques », « investissement dans un projet technologique voué à l’échec » (sur ce point, le programme GMD, avec son taux d’échec important, ne leur donne pas tort…), « impossibilité d’avoir un plus grand accès au processus décisionnel de la DAB et de l’influencer », « augmentation du risque que le Canada soit ciblé par des attaques » et, enfin, « déstabilisation de l’équilibre des mesures dissuasives et déclenchment d’une course aux armements ».
Bien que son pays n’a pas été cité dans le rapport, Georgiy Mamedov, l’ambassadeur russe qui va quitter Ottawa très prochainement, a dit tout le mal qu’il pensait de cette recommandation émise par le Sénat canadien. Selon lui, le Canada « gaspillerait son argent » en participant au bouclier antimissile américain . Et d’estimer, en plus, que ce serait « politiquement provocateur » tout en étant « accessoire pour la sécurité des Canadiens ». Ce serait « un irritant inutile à notre relation », a-t-il ajouté.