Ismael Abdel Rahim El Gizouli passe la main. Cet inconnu du grand public était, depuis le 24 février dernier, le président par intérim du Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC), suite à la démission forcée [1] du fantasque Rajendra K. Pachauri, ingénieur des chemins de fer et docteur en économie, un peu trop trousseur de jupons pour ne pas se faire rattraper par la justice de son pays. C’est désormais le Sud-Coréen Hoesung Lee qui incarnera les meilleurs climatologues du monde, comme la presse aime à nous présenter le GIEC. Elle ne manquera probablement pas de nous dire qu’il est l’un d’entre eux.
Le GIEC est une grosse machine. Les élections s’étant récemment déroulées à Dubrovnik (Croatie), lors de sa 42e assemblée, ont conduit au renouvellement ou à la promotion des nombreux membres de son bureau. Voici l’ancienne composition, celle présidée par l’Indien Rajendra Pachauri :
Il y a donc à sa tête un président. Ainsi que trois vice-présidents. Il est par ailleurs constitué de trois groupes de travail : le groupe I, qui « étudie les principes physiques et écologiques du changement climatique », est constitué de deux coprésidents et six vice-présidents (désormais sept) ; le groupe II, qui « étudie les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique », compte lui aussi deux coprésidents et six vice-présidents (désormais huit) ; le groupe III, qui « étudie les moyens d’atténuer le changement climatique », a deux coprésidents et six vice-présidents (désormais sept). Enfin, l’« Équipe spéciale », chargée des inventaires nationaux de gaz à effet de serre, compte deux coprésidents. Aux représentants du bureau, il faut ajouter 12 membres faisant partie de l’Équipe spéciale, ainsi que des centaines d’auteurs chargés de la rédaction des rapports d’évaluation, parmi lesquels on trouve aussi des scientifiques travaillant de près ou de loin sur le climat. On remarquera que Jean Jouzel, que la presse comme Wikipédia présentaient comme vice-président du GIEC, sans que jamais il n’ait rectifié, ne l’était que pour le groupe I.
Il n’y a qu’à voir les nationalités variées des membres du bureau pour comprendre que sa composition est avant tout politique. L’élection est le fruit des décisions gouvernementales. La nouvelle présidence du GIEC est donc le résultat d’une négociation politique, dont les tenants et les aboutissants ne sont pas divulgués, le vote étant tenu secret.
Il s’agira, pour le nouveau président, en vue du sixième rapport d’évaluation qui sera remis d’ici cinq à sept ans, de définir les grandes orientations du travail des « experts ». Le président a par ailleurs un rôle de représentation, auprès de la société civile et notamment des médias, mais aussi un rôle d’intermédiaire auprès des politiques, auxquels il doit sa place.
Six candidats (photo ci-dessus) étaient en lice pour briguer ce poste prestigieux. Il y avait, de gauche à droite et de haut en bas :
le Belge Jean-Pascal van Ypersele de Strihou, physicien de formation, professeur de climatologie et de sciences de l’environnement, qui était, depuis 2008, l’un des deux vice-présidents du GIEC ;
l’Américain Christopher Field, professeur de biologie et sciences de l’environnement, coprésident du groupe II ;
le Sud-Coréen Hoesung Lee, professeur d’économie du changement climatique, de l’énergie et du développement durable, lui aussi, avec van Ypersele, vice-président du GIEC ;
le Sierraléonais Ogunlade Davidson, professeur en école d’ingénieur, qui fut coprésident du groupe III lors du premier mandat de R. Pachauri et actuellement ministre de l’énergie et des ressources en eau de son pays ;
l’Autrichien Nebojsa Nakicenovic, anciennement professeur en politiques énergétiques, actuellement directeur général adjoint de l’International Institute for Applied Systems Analysis (Autriche) et qui a été rédacteur pour nombre de rapports du GIEC ;
le Suisse Thomas Stocker, professeur de physique du climat et de l’environnement, coprésident depuis 2008 du groupe I du GIEC, auquel il collabore depuis 1997.
Le Belge Jean-Pascal van Ypersele était plutôt confiant et se voyait bien gagner au deuxième tour, face à n’importe lequel de ses deux plus sérieux concurrents : l’Américain Christopher Field et le Sud-Coréen Hoesung Lee. Il faut dire qu’il avait fait le maximum, visitant en un an et demi plus de 65 pays pour une intense campagne de lobbying. Mais Séoul avait mis bien plus de moyens dans cette campagne que ne pouvait se le permettre la Belgique, explique van Ypersele. C’est vrai, mais peut-être n’est-ce pas là le principal. L’élection étant avant tout politique, le GIEC étant avant tout politique, le profil du candidat est central.
Le nouveau bureau du GIEC, présidé par Hoesung Lee, est le suivant :
Hoesung Lee, 69 ans, est un économiste. Il a commencé sa carrière par trois années au service d’Exxon (1975-1978), a été conseiller spécial du ministre de l’Environnement sud-coréen (1994-1996) et a siégé au conseil d’administration de Hyundai (1996-1999). Sa participation au GIEC a commencé dès 1992 en tant que coprésident du groupe III. Notons également qu’il est membre du Conseil du Global Green Growth Institute (GGGI), une organisation internationale basée en Corée du Sud, regroupant vingt pays membres, essentiellement en développement, mais comptant aussi en son sein la Corée du Sud, l’Australie, le Danemark, la Norvège, le Royaume-Uni, le Qatar et les Émirats arabes unis. Le but de cet ancien think tank est d’encourager dans les pays en développement la « croissance verte », par l’abandon du paradigme du développement industriel. La lutte contre le réchauffement climatique anthropique est bien sûr centrale dans un tel projet.
Dans la note d’intention accompagnant sa candidature, Hoesung Lee expose en trois points son projet pour le GIEC [2]. Il faut :
« accroître la participation d’experts des pays en développement », en « identifiant localement les centres de recherche d’excellence travaillant sur la science climatique, l’adaptation et l’atténuation du réchauffement, ainsi que sur le développement économique ».
« améliorer la neutralité et la pertinence » du travail du GIEC en « incorporant des contributions du monde des affaires, de l’industrie et de la finance ».
promouvoir l’étude des question liées « à la création d’emploi, la santé, l’innovation et le développement technologique ».
Au moins les choses sont-elles claires. Hoesung Lee, qui, en tant que vice-président du GIEC, s’occupait notamment du comité sur les conflits d’intérêt, explique que le fonctionnement de cet organisme onusien sera d’autant plus pertinent et d’une plus grande neutralité si ceux qui ont réellement le pouvoir prennent part ouvertement à son fonctionnement. En résumé, le greenwashing, l’idéologie du GGGI, entre officiellement au GIEC. Il y avait en effet de quoi rassurer les gouvernements qui l’ont élu.
L’élection d’un économiste en dit long sur ce qui pourrait être le but premier du GIEC, ou du moins en est une conséquence directe et première. En 2000, dans leur livre The Satanic Gases : Clearing the Air About Global Warming, les climatologues Patrick J. Michaels et Robert C. Balling écrivaient : « le réchauffement global pourrait cristalliser un sentiment majoritaire pour un transfert d’argent du Nord vers le Sud ». De même, John Vidal, responsable du thème de l’environnement au Guardian, écrivait avant la réunion internationale sur le climat se tenant en 2009 à Copenhague (COP15) : « Copenhague pourrait conduire dans les vingt prochaines années au plus vaste transfert d’argent de l’histoire du Nord vers le Sud, rendant insignifiant le montant des aides que les pays en développement perçoivent à l’heure actuelle ».
L’ONU, présidé par un autre Sud-Coréen, annonçait récemment que, pour éradiquer la pauvreté tout en luttant contre le réchauffement climatique, il faudra dépenser au moins 3 500 milliards de dollars par an durant les quinze prochaines années. Soit, annuellement, plus que le PIB de la France. Ce programme, nommé « Transformer notre monde, programme de développement durable d’ici 2030 » a été adopté durant l’été. À cette fin, les pays membre se sont accordés sur l’importance d’un accord ambitieux (mais très incertain) lors de la prochaine conférence internationale devant se tenir à Paris début décembre (COP21). On comprend, dans ce contexte, l’élection d’un économiste comme nouveau président du GIEC.