En réalité dans cet article du Monde diplo (que l’on cite dangereusement ces derniers temps) il est question de l’entreprise de pestifération [1] de l’extrême gauche (EG) par l’extrême droite (ED).
On sait bien que Le Monde diplo penche lourdement à gauche et que ça lui fait mal que Mélenchon et son mouvement, puisqu’il s’agit de ça, soient extrêmedroitisés. Pour ce qui concerne l’extrême droite c’est pas la peine de craindre l’extrêmedroitisation, puisque l’extrême droite est l’extrême droite, donc c’est réglé. Le problème se pose pour la gauche et c’est là où ça devient intéressant : de tous temps, et surtout depuis les temps immémoriaux de la naissance du trotskisme, la fascisation de l’ennemi a été l’instrument de renvoi des idéologies bourgeoises dans leur niche. Mais on voit, un siècle plus tard, que la fascisation revient dans la tronche de la gauche, la gauche qui dévierait un peu trop vers l’anticapitalisme, le souverainisme, l’anti-impérialisme, voire l’antisionisme, le crime des crimes (relié à la Shoah).
Le Monde diplo n’est pas lepéniste, n’aime ni le FN ni le RN et en aucun cas il ne faudrait qu’il y ait le moindre point de contact sur le moindre sujet entre LFi et le RN, entre l’ED et l’EG. Cela ne peut pas être, le cordon sanitaire doit protéger la pureté gauchiste, n’est-ce pas, de la souillure nationaliste.
Un petit jeu très prisé dans le débat politique contemporain consiste à identifier un point commun entre deux individus ou deux courants opposés pour les renvoyer dos à dos et les condamner d’un même élan. La France insoumise et le Rassemblement national (RN, ex-Front national) critiquent tous deux les traités européens ? C’est la preuve que les extrêmes se rejoignent. Ils soutiennent tous deux le mouvement des « gilets jaunes » ? Encore un signe d’une alliance objective. Après la manifestation qui s’est déroulée dans sa ville le 8 décembre 2018, le maire Les Républicains (LR) de Toulouse, M. Jean-Luc Moudenc, commentait sur Twitter : « Nous avons vu les deux extrêmes se rejoindre sur les barricades pour tenter de déstabiliser la République. Je condamne cette connivence et la violence qu’elle organise. Ils ont semé le chaos et continuent dans certaines rues. Qui se ressemble s’assemble… » Destinée à disqualifier des adversaires politiques, cette stratégie revenant à assimiler l’eau et le feu a une longue histoire.
Le pouvoir de la raison contre celui des passions
L’auteur revient donc avec culture et talent sur l’historique de ce rapprochement interdit.
Directeur du journal La Sentinelle, auteur d’un pamphlet intitulé "À Maximilien Robespierre et à ses royalistes", Jean-Baptiste Louvet ne cesse de dénoncer l’existence d’un complot unissant les « jacobins fanatiques » et les partisans de la monarchie absolue.
Un complot qui nous intéresse au premier chef, et pas seulement pour embêter le pauvre Reichstadt, la risée des lycéens, non, c’est pour la racine qui remontera au moment du Cercle Proudhon, avant la Grande Guerre. Entre les deux tendances, les agitateurs et les méchants, les « raisonnables » partisans de l’ordre gagneront presque toutes les batailles. Mais l’auteur nous surprend quand il lance ceci :
Dans les vingt années qui suivent la Révolution s’élaborent ainsi les ingrédients qui composent depuis plus de deux siècles le thème de la « convergence des extrêmes », utilisé afin de discréditer tout projet de transformation sociale : avec leurs propositions démagogiques et irréalistes, les « extrémistes » de tous bords fragiliseraient la communauté politique et entraîneraient le pays sur une pente dangereuse. Il convient donc d’éclairer le peuple pour le guider vers la seule voie raisonnable, celle de la modération.
Louis-Philippe expose en janvier 1831, dans une phrase restée célèbre, la position de son gouvernement : « Nous chercherons à nous tenir dans un juste milieu, également éloignés des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal. »
Réconcilier les extrêmes ?
Malheureusement l’auteur saute sur le Cercle Proudhon, cette tentative de réconciliation des extrêmes que le pouvoir central, dans tous les sens du terme, a réussi à empêcher. À la place on a le droit à un cours de Sciences Po sur les points communs entre ED et EG :
Forte de ces soutiens, la théorie de la « convergence des extrêmes » renforce sa légitimité universitaire. En 2015-2016, l’Institut d’études politiques de Paris proposait par exemple à ses étudiants un cours intitulé « Penser la politique dans ses extrêmes ». Son objectif ? « Mieux appréhender l’extrémisme de droite et de gauche », afin de « dégager les dimensions communes aux extrémismes ». Dans la deuxième partie du cours, intitulée « Les points de convergence », une séance s’attarde sur le thème « Complot et vision antagonique du monde » : il s’agit de comparer des textes de M. Jean-Marie Le Pen et de Lutte ouvrière. Une autre se penche sur « l’europhobie et l’antimondialisation » supposément communes aux extrêmes. Ce type d’enseignement s’inscrit dans la droite ligne de la thèse chère au politologue Pascal Perrineau — mais contestée dans le monde universitaire — du « gaucho-lepénisme », selon laquelle les anciens électeurs communistes, principalement définis par leur absence de ressources économiques et culturelles, seraient spontanément séduits par la simplicité du discours frontiste et nourriraient donc l’essor du FN.
Ah, nous voilà chez Edern-Hallier puis Soral, la passerelle PCF-de Benoist dont on a parlé ici. Ce qui est drôle, c’est que l’axe rouge-brun, malgré les kilotonnes de défoliant qui ont été déversés dessus, s’est développé tranquillement et sa définition s’est considérablement élargie, tout comme son assiette électorale.
Après avoir longtemps tancé les « gaucho-lepénistes », Perrineau accuse désormais de « national-populisme » tous ceux qui critiquent l’Union européenne. Selon l’analyse prisée par les médias, le clivage entre la droite et la gauche serait en passe de laisser place à une nouvelle division entre partisans et adversaires de l’Union, entre « libéraux » et « illibéraux », entre les défenseurs de « sociétés ouvertes » et ceux qui prôneraient la « fermeture ». Il y a quatre ans, M. Alain Juppé, mentor du premier ministre français actuel Édouard Philippe, annonçait déjà le projet, national mais aussi européen, qui allait devenir celui du président de la République : « Il faudra peut-être songer un jour à couper les deux bouts de l’omelette pour que les gens raisonnables gouvernent ensemble et laissent de côté les deux extrêmes, de droite comme de gauche, qui n’ont rien compris au monde. »
C’est avec un délice non feint que l’on voit les partisans du Système sortir du bois l’un après l’autre pour fustiger ce qui est en train de se recimenter, malgré tout. Leur politique raisonnable n’était qu’une arnaque de l’oligarchie qui a pu ainsi tranquillement faire passer ses intérêts avant ceux de la majorité.
Notre conclusion : aujourd’hui que le centre s’est extrémisé sous l’impulsion d’un capitalisme sauvage de plus en plus destructeur, les extrêmes paraissent très... raisonnables !