Lecteur régulier du Monde diplomatique avant le 11 septembre 2001, je m’en suis détaché peu à peu depuis, ressentant une sorte de malaise à chaque fois que je parcourais ses articles. La description que les journalistes du mensuel faisaient de la réalité géopolitique de notre monde me semblait toujours plus éloignée de ma perception des choses. Cette différence je l’attribue en partie aux attentats du 11 Septembre, qui ont crée une ligne de démarcation entre ceux qui défendent la version officielle et les autres. Les grands médias occidentaux ont tous été contraints de dire – au cours d’une sorte de procès de Moscou mondialisé – de quel côté de la ligne ils se situaient. À l’unanimité, ils ont choisi de défendre la version officielle, Le Monde diplomatique ne faisant pas exception à ce conformisme général.
Ce choix est révélateur des véritables lignes de front qui parcourent nos sociétés occidentales, car on ne peux pas être raisonnablement contre le système oligarchique qui nous gouverne si on accepte sans sourciller la version officielle des attentats du 11 Septembre (tant celle-ci est absurde). On ne peut pas s’opposer au « choc des civilisations » et à ses conséquences géopolitiques si on n’explique pas les causes et les événements qui les justifient. Pour évaluer l’esprit critique d’un journaliste ou d’un intellectuel quelconque (professeur d’Université, historien, écrivain) on pourrait s’adresser à lui en ces termes : « Dis-moi ce que tu penses du 11 septembre 2001 et je te dirais qui tu es. »
À l’occasion d’une conférence sur le système démocratique à laquelle l’association des Amis du Monde diplomatique de Montpellier m’avaient convié, j’ai pu observer de près à quel point les attentats du 11 Septembre étaient toujours une ligne de démarcation qui déclenchait des réactions hostiles au sein de la sphère du Monde diplomatique à l’égard de celui qui se trouvait du mauvais côté de la ligne (j’y reviendrai). À la suite de cette conférence, je me suis intéressé également aux autres lignes de démarcation qui pouvaient exister et à propos desquelles Le Monde diplomatique se situait résolument, comme pour le 11 Septembre, du côté de la version officielle.
Il n’est pas inutile de rechercher et de lire entre ces lignes (à la fois de démarcation, de front et de fracture) pour comprendre ce qu’est vraiment Le Monde diplomatique aujourd’hui, lui qui se range volontiers dans le camp de la dissidence et de l’opposition frontale au pouvoir oligarchique occidental et qui le fait avec une certaine véhémence verbale. Identifier les lignes qu’il s’interdit de franchir permet de lever le masque des apparences contestataires et alternatives pour révéler un journal plus accommodant avec les préjugés des élites politiques et médiatiques qu’il n’y paraît.
Le Monde diplomatique aime dénoncer les travers de l’univers médiatique, ses mille et une connivences avec les milieux politiques et d’affaires, le ridicule de ses acteurs pour qui l’information n’est jamais qu’une des nourritures de la communication et de la propagande libérale. Il livre à la vindicte de ses lecteurs, avec une sorte de jubilation, tous « les nouveaux chiens de garde » du système. Mais, ne les renvoie-t-il pas ronger leur mauvaise conscience sur des sujets mineurs, comme autant d’os décharnés, tout en les caressant dans le sens du poil sur des sujets majeurs ?
Les Nouveaux Chiens de garde, c’est le titre d’un livre de Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique, et d’un film dont il est le scénariste. Le livre et le film se veulent « une critique radicale et intransigeante des médias [1] », pendant des critiques que Le Monde diplomatique adresse au système capitaliste et à ses dérives.
Il est sans doute temps d’entreprendre une « critique radicale et intransigeante » de ce média qui, de l’accusation tous azimuts, a fait son fonds de commerce, et d’observer quel portrait il peut en ressortir. Nous verrons que les principales accusations qu’il lance à ses confrères lui vont comme un gant et lui reviennent en plein visage.
Comme Le Monde diplomatique et ses animateurs, nous ne nous embarrasserons pas trop de circonvolutions attendrissantes, reste d’un vieux fond de respect dû à ce qu’il a pu représenter dans le passé, pour le dépeindre tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il se refuse à se percevoir dans le miroir de ses propres accusations.
« Aujourd’hui, les chiens de garde, ce sont ces journalistes, éditorialistes et experts médiatiques devenus évangélistes du marché et gardiens de l’ordre social. Sur le mode sardonique, Les Nouveaux chiens de garde dressent l’état des lieux d’une presse volontiers oublieuse des valeurs de pluralisme, d’indépendance et d’objectivité qu’elle prétend incarner [2]. »
(Plaquette de présentation du film « Les Nouveaux chiens de garde »)
La contestation contrôlée
Le mensuel Le Monde diplomatique est au bourgeois contestataire ce que le quotidien Le Monde est au bourgeois cultivé : la référence et la nourriture intellectuelle de ses conversations mondaines et de ses espérances sociales.
Le bourgeois contestataire croit trouver dans Le Monde diplomatique une vision alternative des grands événements contemporains qui se démarquerait de celle véhiculée par la grande presse et les grands médias. Un rapide tour d’horizon du traitement journalistique par Le Monde diplomatique de quelques-uns de ces grands événements (11 septembre 2001, instrumentalisation du terrorisme islamique, guerre de l’OTAN contre la Libye, déstabilisation de la Syrie, etc.), nous permettra de comprendre la vraie nature de ce mensuel de référence pour la bourgeoisie sociale et contestataire française.
Lire l’intégralité de l’article sur lidiotduvillage.org
Alain Soral sur Serge Halimi, Le Monde diplomatique et autres chiens de garde médiatiques (extrait de l’entretien d’octobre 2013) :
À ne pas manquer, sur E&R :
« Qui est Serge Halimi ? »
« Panique à gauche ! »