Les deux événements sont si rapprochés qu’on ne peut pas ne pas y voir un lien, même symbolique. L’icône pop des années 60, très versée dans la spiritualité, s’en est allée au moment où Bardella montait au firmament, déboulonnant son pote Attal, qui n’aura pas régné longtemps. La chanteuse mélancolique n’a pas dû supporter ça. Le règne de l’extrême droite commencerait-il sous de mauvais auspices ?
Un éternel féminin
Françoise Hardy était triste, réservée, aujourd’hui on dirait dépressive. Elle a traversé les années yéyé comme une apparition, avec sa voix douce, ses comptines pour adolescentes en mal d’amour.
Mais elle était d’une beauté à couper le souffle, et cette beauté fragile a immédiatement et paradoxalement incarné les 10 années de l’optimisme et du bonheur français (1962-1972). Elle a surtout attiré les garçons, comme Jacques Dutronc ou Jean-Marie Périer, le photographe, qui les a toutes eues, enfin, shootées.
Pour ceux qui n’ont pas suivi sa carrière, très variétés mais de bon niveau, elle ressemble un peu à celle de Jane Birkin, au niveau du timbre. Mais le romantisme sied plus à Françoise qu’à Jane. La comparaison s’arrête là : Françoise était talentueuse, décomplexée et de droite. Disons que dans son livre Avis non autorisés..., elle a glissé dans le sarkozysme, un peu par idéologie, beaucoup parce que Nicolas lui avait promis qu’il allait supprimer l’ISF lors de son second mandat, qui n’a évidemment jamais eu lieu.
Françoise, au milieu d’une vie tumultueuse de star de la pop, a continué à écrire des chansons douces, toujours tristounettes, et à se lancer parallèlement dans la psycho-astrologie, c’est-à-dire de la bio-astronomie mais sans les calculs de haut niveau.
Maintenant, voyons comment cette jeune fille sage a démarré. Sa vie est morne, sa famille chiante et déstructurée. Après son lycée (chez les sœurs trinitaires) et son bac, elle demande une guitare, gratte chez Mireille et son petit conservatoire, passe une audition, et finit par signer un contrat chez Vogue, parce qu’il fallait une figure féminine en face de Johnny. Et voici le moment politique où tout change, pour elle, et pour le pays. Encore une coïncidence !
Pour le grand public, la chanteuse se révèle dans la soirée du dimanche 28 octobre 1962. Ce soir-là, de nombreux téléspectateurs attendent les résultats du référendum sur l’élection au suffrage universel du président de la République ; dans l’un des intermèdes musicaux Françoise Hardy apparaît chantant « Tous les garçons et les filles ». Dès le lendemain et les jours suivants, ce titre va se démarquer des trois autres sur les ondes radio et dans les juke-boxes et devenir un « tube » incontournable. À la fin de l’année, 500 000 exemplaires du 45 tours ont été vendus.
C’est drôle : ce changement constitutionnel majeur passe presque inaperçu derrière une bluette qui ne sort plus des têtes. Les jeunes se foutent de De Gaulle, la guerre d’Algérie est finie, les filles veulent être Françoise et les garçons veulent Françoise. Un an plus tard, la belle écrase tout : couvertures, cinéma, chansons, tournées, Eurovision, Olympia, Italie, haute couture, Corse, Dutronc, procès, livres, spiritualité, cancers, euthanasie... Sa fiche Wikipédia donne le tournis.
Par rapport aux autres vedettes préfabriquées des années 60, Françoise se distingue par la compo et l’écriture, car elle a des lettres. Les autres ne savent ni lire ni écrire ni chanter, ce sont juste des interprètes. Elle, va très rapidement comprendre le business, racheter ses droits et créer sa propre société de prod, à même pas 30 ans. De ce point de vue, c’est une précurseur, ou ceuse, ou sœur.
Elle ouvre la voie à une génération de chanteuses à textes, mais aujourd’hui, à part le renouveau folk – une guitare, une minette et une chansonnette –, on se retrouve avec Aya Nakamura, une masse sans émotions qui chante le flouze comme un vulgaire gangsta. Quelque chose a merdé en route.
Celui qui n’a pas la gorge serrée en écoutant Comment te dire adieu, écrite par Gainsbourg en 68, est un SS ou une pierre. Quoique, les SS aimaient aussi les chansons tristes, par exemple J’avais un camarade. C’est un morceau de moi qui s’en va, chantent les soldats. Françoise, c’est aussi un morceau de nous qui s’en va.