Les Britanniques ont T.E Lawrence, dit Lawrence d’Arabie, dont l’épopée a été immortalisée au cinéma avec le film de David Lean. Du coup, l’action française dans la péninsule arabique contre l’Empire ottoman lors de la Première Guerre Mondiale est de nos jours totalement occultée.
Pourtant, les Britanniques ne furent pas les seuls à aider les Arabes à se révolter contre la tutelle turque. Sans doute ont-ils plus efficaces pour communiquer sur leurs actions, et en particulier celles menées par T.E Lawrence, que ne l’ont été les Français.
En 1916, le Chérif Hussein de la Mecque lance un appel à la révolte contre les Turcs afin de les chasser de la péninsule arabique. Si Londres soutient cette initiative, il en va de même pour Paris, qui souhaite alors affirmer sa présence dans cette partie du monde.
Ainsi, une mission politique et militaire française, commandée par le général Edouard Brémont, est envoyée en Egypte pour soutenir les opérations dans le Hedjaz, la région située dans l’ouest de l’actuelle Arabie Saoudite et qui comprend notamment les provinces de Tabuk, Médine, La Mecque et Al Bahah.
Comparée aux moyens britanniques, commandés par le général Allenby et soutenus par le Bureau arabe du Caire, les effectifs français de la MMFE (Mission militaire français en Egypte) sont modestes. En tout et pour tout, l’effectif français s’élève à 600 hommes de religion musulmane, encadrés par des officiers triés sur le volet pour former les cadres de l’armée chérifienne en gestation.
Parmi eux, l’on trouve des hommes d’une trempe exceptionnelle, comme le capitaine Roserio Pisani , auquel T. E Lawrence rendra hommage dans son livre “Les sept pilliers de la sagesse”, ou encore le capitaine Laurent Depui, qui terminera sa carrière militaire avec les galons de lieutenant-colonel.
Le parcours de cet officier est pour le moins atypique. Né en février 1878 à Besançon, il est incorporé à l’âge de 18 ans au 60ème Régiment d’Infanterie de ligne pour y accomplir son service militaire. Finalement, deux ans plus tard, il décide de rempiler en s’engageant au 8ème Régiment d’Infanterie de Marine (RIMa), formé à Toulon en 1890.
En janvier 1899, Laurent Depui est affecté au Bataillon malgache de Diégo Suarez, où il est promu caporal. Doté d’un esprit curieux et ouvert, il se met alors à apprendre la langue locale. Repéré pour ses capacités et bien noté, il est désigné, en 1903, pour suivre les cours de l’Ecole d’officiers d’infanterie, alors située à Saint-Maixent.
Classé 4e de sa promotion (sur 40) à l’issue de sa scolarité, il est affecté, en 1905, au 1er Régiment de tirailleurs malgaches avec les galons de sous-lieutenant. Cinq ans plus tard, il est muté à Djibouti. Comme il l’avait fait ào Madgascar, le jeune officier s’imprègne de la culture locale : il apprend l’arabe et se converti même à l’islam en prenant le nom d’Ibrahim Debaoui.
Dans le même temps, il enseigne le français aux Somaliens et trouve le temps d’écrire un dictionnaire commun aux deux langues, d’établir une carte au 1/50.000e de la “Côte française de Somalie” et de concevoir un plan de défense pou protéger le port de Djibouti.
En 1916, et après d’autres missions qui le menèrent au Yémen et au Somaliland, il est envoyé sur le front français avec ses tirailleurs somaliens, avec lesquels il monte victorieusement à l’assaut du fort de Douaumont, le 24 septembre. Mais il sera blessé à la tête par des éclats d’obus.
Ce n’est qu’en juin 1917 que l’officier, promu capitaine, est affecté à la MMFE du général Brémont. Il prend le commandement du groupe de compagnies de mitrailleuses et effectue ses premières missions de liaison auprès de l’émir Ali, le fils aîné du Chérif Hussein et chef de l’armée chérifienne du sud.
Sa conversion à l’islam – le Hedjaz est une région où sont situés les lieux saints musulmans – et sa parfaite connaissance de la langue arabe lui permettront d’établir une relation de confiance avec l’émir Ali, au point qu’il deviendra son chef d’état-major opérationnel jusqu’en janvier 1919 et la capitulation de la garnison turque de Médine.
Entre-temps, le capitaine Depui, épaulé par d’autres officiers français, va former les hommes de l’émir Ali et conduire avec eux des actions de guérilla contre les troupes turques. C’est ainsi qu’il prendra part aux attaques contre le chemin de fer du Hedjaz (CFH), inauguré par la Turquie dix ans plus tôt et les ouvrages d’art, dont un pont situé à 70 km au nord de Médine. Il sera cependant une nouvelle fois blessé lors d’une opération contre un fortin à Hafira.
S’étant conduit d’une manière irréprochable auprès de l’émir Ali, ce dernier, pour lui témoigner son respect et sa reconnaissance, voudra que le capitaine Depui se tienne à sa droite lors de la cérémonie marquant la reddition de la garnison turque de Médine.
Après la guerre et la dissolution de la MMFE, le capitaine Depui est nommé “gérant du consulat” français du Hedjaz, qui, nouvellement indépendant, est aux prises avec les rivalités entre les Hachémites et les Seoud. Jusqu’en 1930, année où il sera promu lieutenant colonel, il occupera des fonctions diplomatiques et jouera les bons offices au profit du ministère des Affaires étrangères au Moyen Orient.
Par la suite, il alternera les missions pour le compte de la diplomatie française et les affectations militaires en France, notamment au 21ème RIC et les postes en état-major. Mais cette vie ne lui convient pas et il obtient sa mise en retraite en 1934. Il décédera le 18 septembre 1947, à l’âge de 69 ans, en Tunisie.