Dans la foulée des soulèvements arabes, le Qatar exploite sa grande richesse et son empire médiatique pour se transformer en superpuissance régionale. Ce sont ses liens historiques avec les Frères musulmans qui détermineront le succès ou non de la stratégie de Doha.
Nous sommes accoutumés à ce qu’un pays comme l’Arabie saoudite tente de jouer un rôle de premier plan dans la vie politique de la région, mais dans le cas d’un pays petit comme le Qatar - avec une population autochtone d’à peine 200 000 personnes - cela est remarquable.
Principalement en raison de sa grande richesse en pétrole et en gaz, la petite péninsule du Golfe est capable de faire jeu égal avec les principales puissances de la région. Le Qatar a réussi à tirer parti de sa fortune économique, et son empire médiatique construit autour de la chaîne al-Jazeera, renforce sa réputation de superpuissance régionale.
Dans les années qui ont précédé le soulèvement arabe, le Qatar a suivi une diplomatie qualifiée de pragmatique, établissant des relations solides avec des ennemis jurés comme les États-Unis et l’Iran ou le Hamas et Israël. Dans un sens, Doha a précédé la Turquie en mettant en œuvre avec succès une politique étrangère de « zéro des problème ».
Aujourd’hui, cependant, le Qatar se comporte avec plus d’audace, prenant parti dans les bouleversements qui secouent le monde arabe et lâchant les rênes à al-Jazeera pour que celle-ci s’attaque à ses ennemis. Le Qatar s’est en effet lui-même placé dans l’œil du cyclone.
Après son soutien médiatique aux révolutionnaires, Doha s’est senti à l’aise avec les nouveaux dirigeants islamistes de l’Égypte et de la Tunisie. En Libye, le Qatar était à la pointe du soutien militaire et financier arabe aux forces rebelles soutenues par l’OTAN jusqu’à la chute de Mouammar Kadhafi. En Syrie, l’émir est prêt à tout risquer pour faire tomber le régime de Bachar al-Assad.
Au centre de la stratégie du Qatar se trouvent ses liens historiques avec les Frères musulmans, qui sont devenus les principaux bénéficiaires des soulèvements arabes. Parier sur la Fraternité, cependant, comporte des risques - en particulier vis-à-vis des autres États du Golfe qui considèrent les Frères musulmans comme une plus grande menace que l’Iran.
La Fraternité au Qatar
La présence au Qatar de Frères musulmans originaires d’un certain nombre de pays arabes, remonte aux années 1950, lorsque plusieurs des membres du mouvement ont été contraints à l’exil, en particulier par l’Égypte de Gamal Abdel-Nasser. En 1999, la branche du Qatar des Frères musulmans s’est dissoute d’elle-même, et son chef Jassem Sultan déclara en 2003 que l’État qatari s’acquittait correctement de ses obligations religieuses.
Des tentatives similaires visant à concilier la Fraternité avec la famille régnante dans les Émirats arabes unis n’ont pas été aussi fructueux. La branche de la Fraternité des Émirats Arabes Unis, appelée al-Islah, a été autorisée à agir comme un organisme de bienfaisance, mais a dû cesser ses activités politiques.
Au fil du temps, les liens entre le Qatar et les membres de premier plan de la Confrérie se sont renforcés, notamment avec le sheikh Yusuf al-Qaradawi et une longue liste de journalistes islamistes et de militants qui ont inondé les rangs d’Al-Jazeera, avec parmi eux l’ancien directeur général Wadah Khanfar (des Frères Musulmans jordaniens) et l’actuel ministre tunisien des Affaires étrangères Rafik Abdul-Salam, lequel dirigeait le centre de recherche de la chaîne.
Le Qatar n’a pas perdu de temps pour appuyer les nouveaux régimes des Frères musulmans en remplissant leurs coffres. Contrairement à d’autres pays du Golfe, qui ont réduit leurs investissements en Égypte après la chute de Moubarak, Doha a promis d’augmenter sa part jusqu’à 18 milliards de dollars dans les prochaines années.
Les dépenses somptuaires du Qatar en faveur des islamistes ont également réussi à attirer le Hamas palestinien et à éloigner celui-ci de l’Iran et de la Syrie. Dans un récent voyage dans la bande de Gaza, l’émir qatari Cheikh Hamad Bin Khalifa al-Thani a annoncé des investissements et lancé des projets qui équivalent à un quart de milliard de dollars.
Le mécontentement des pays du Golfe
La romance entre les Frères musulmans et le Qatar est une source de mécontentement chez ses voisins du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ce n’est pas la première fois que Doha mécontente les autres régimes dans la région, car il était autrefois dans les meilleurs termes - principalement pour des raisons économiques - avec l’Iran.
Mais les autres monarchies du Golfe sont de plus en plus méfiantes face à la montée en puissance des Frères dans la région. Certains considèrent la Confrérie comme une plus grande menace que l’Iran. La récente arrestation de dizaines de membres d’al-Islah pour avoir prétendument comploté pour renverser le régime des Émirats Arabes Unis, en est un exemple.
Les médias saoudiens sont de plus en plus ouverts dans leur critique de la relation privilégiée du Qatar avec les Frères, et les Émirats Arabes Unis sont en train de lancer une station de télévision dirigée contre eux. De son côté, le Koweït n’a toujours pas envoyé un montant même symbolique d’aide à l’économie chancelante de l’Égypte.
Cette situation a rendu le Qatar attentif à ne pas déranger ses voisins du Golfe, évitant d’allumer tout incendie pouvant s’étendre. Quand Sheikh Yusuf al-Qaradaw, par exemple, a publiquement critiqué les Émirats arabes unis pour avoir expulsé des Syriens vers l’Égypte en mai 2012, al-Thani s’est lui-même rendu à Abu Dhabi le lendemain pour limiter les dégâts.
La politique du Qatar dans le golfe semble être un prolongement de son approche pragmatique antérieure, consistant à s’allier avec des ennemis acharnés, à vouloir concilier ses rapports avec ses partenaires du Golfe et son patronage des Frères musulmans. Cependant, dans d’autres parties du monde arabe comme en Syrie, le Qatar joue un jeu nouveau et potentiellement dangereux en plaçant toute la mise sur un seul camp.