Lundi s’est ouvert à Paris le procès de l’ancien président français (1995-2007) Jacques Chirac. Et ce procès n’est que le premier de la liste des dossiers qui planent au-dessus de certains hommes politiques les plus en vue du pays. Comme si quelqu’un avait concocté un horoscope défavorable à la France pour le début de la seconde décennie du XXIe siècle, contentant un grand nombre de problèmes politiques et un coup dur pour la notoriété et la réputation du gouvernement.
Inédit depuis Pétain
Le procès de Jacques Chirac sera très probablement remis ou reporté pour une durée indéterminée pour des raisons de santé de l’accusé. Mais cela ne change rien au fait que depuis l’époque du maréchal Pétain, condamné à la peine de mort en 1945 (commuée en emprisonnement à vie), aucun homme politique de ce rang n’a été jugé. Jacques Chirac est soupçonné de détournement de fonds publics et d’abus de confiance lorsqu’il était maire de Paris entre 1977 et 1995.
La veille, Dominique Strauss-Kahn est rentré en France en laissant aux Etats-Unis un dossier classé mais toujours pas clarifié concernant un viol. De plus, l’écrivaine Tristane Banon a porté plainte en France contre Strauss-Kahn. Par ailleurs, la Cour de justice de la République (tribunal chargé de juger les délits commis par les ministres pendant l’exercice de leurs fonctions) poursuit l’enquête sur l’affaire Christine Lagarde, ancienne ministre des Finances de Sarkozy qui a succédé à Strauss-Kahn à la tête du Fonds monétaire international (FMI).
Le livre intitulé Sarko m’a tuer écrit par deux journalistes du quotidien libéral Le Monde est sorti en France il y a une semaine. Le livre cite les cas de plusieurs dizaines d’anciens hommes politiques de rangs différents et de personnages que Sarkozy a éliminés politiquement (pas physiquement, bien sûr).
Et comme si cela ne suffisait pas pour le gouvernement actuel, avant le début du procès les journaux ont remis sur le tapis le dossier similaire d’Alain Juppé, ministre en exercice des Affaires étrangères. Il était premier ministre de Chirac et son conseiller le plus proche lorsque ce dernier était maire de Paris. Juppé a été condamné en 2004 à un an et demi de prison avec sursis avec interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant un an.
Le plus intéressant est qu’actuellement Alain Juppé n’est pas seulement ministre des Affaires étrangères. Auparavant il était ministre de la Défense, toujours sous Sarkozy, ainsi que l’un des principaux fondateurs de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), parti conservateur que Sarkozy a dirigé à partir de 2004, qu’il a représenté pendant sa campagne présidentielle et dont il a quitté le poste de leader après son élection.
Chirac est devant la justice, mais les problèmes guettent Sarkozy L’élection présidentielle se tiendra en France en avril-mai 2012. Et c’est maintenant que l’électorat assiste aux procès judiciaires et aux accusations. On a l’impression que quelqu’un a décidé de rappeler haut et fort à la France ce qui se passait et se passe à son sommet politique. Et ce qu’elle a obstinément refusé de voir pendant longtemps.
Toute l’agitation judiciaire actuelle fait du tort aussi bien aux socialistes qu’à Nicolas Sarkozy, qui a l’intention de briguer un second mandat. Mais les socialistes ont pour seul problème Dominique Strauss-Kahn, à qui on prédisait la victoire à la présidentielle avant son arrestation aux Etats-Unis en mai dernier. Actuellement, le parti a pris ses distances vis-à-vis de Strauss-Kahn. Les socialistes ont de nouveaux prétendants à l’Elysée : l’ancien leader du parti François Hollande et la présidente actuelle du parti Martine Aubry.
Les désagréments politiques et juridiques autour de Sarkozy sont bien plus denses, car la justice s’attaque à son ancien chef et à ses protégés. Et actuellement il est très impopulaire en France.
La cote de popularité de Sarkozy oscille entre 28 et 30% depuis les 6 derniers mois. Selon le sondage réalisé par Le Journal du Dimanche, publié le 4 septembre, si l’élection présidentielle se tenait aujourd’hui, le candidat socialiste, ancien chef du PS, serait en tête dès le premier tour. Et au second tour il devancerait Sarkozy avec 59% des voix contre 41%.
Ainsi, Sarkozy a besoin d’un miracle pour remporter la victoire à la présidentielle de 2012. Etant donné que comme le reste de l’Europe il est contraint de mettre en place un régime de restriction budgétaire, ce qui ne plaît jamais à l’électorat, ce miracle ne se produira probablement pas. Même la victoire définitive et totale en Lybie ne touchera pas l’âme, le cœur et qui plus est, les portefeuilles des Français. Ils savent compter l’argent dans leurs propres poches aussi bien que les Allemands.
En ce qui concerne Jacques Chirac, étant donné son état de santé, il ne risque rien de particulier ou de tragique. S’il était reconnu coupable, il pourrait être condamné au maximum à 10 ans avec sursis et à une amende de 150.000 euros.
Son état de santé y joue un rôle crucial. Les avocats de Chirac ont déjà annoncé que leur client souffrait de l’une des variétés de la maladie d’Alzheimer, l’anosognosie : un trouble neuropsychologique qui désigne la méconnaissance de ses actes et de sa maladie par l’individu. En 2005 Chirac a effectivement été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC), ce qui contribue souvent au développement d’une telle affection.
Or, selon la législation française, le procès ne peut pas avoir lieu si l’accusée est dans l’incapacité d’être conscient des événements et de donner à ses avocats des directives claires. Chirac est accusé d’avoir créé 28 emplois fictifs lorsqu’il était maire de Paris en 1977-1995. Personne n’occupait ces postes mais les salaires étaient versés sur le compte de ces "fantômes" au profit des affaires politiques de Chirac. Selon les estimations, de cette manière il aurait dérobé à la municipalité près de 2 millions d’euros.
Le plus curieux est que Jacques Chirac, dont la popularité est tombée au plus bas pendant la dernière année de son mandat en 2007, même plus bas que la cote de popularité actuelle de Sarkozy, est reconnu depuis les deux dernières années en France comme l’homme politique le plus populaire et le meilleur ex-président des dernières années. Ainsi, si le président du tribunal décidait que Chirac, âgé de 78 ans (en novembre il fêtera ses 79 ans), ne peut pas être jugé en raison de son état de santé, cela ne provoquerait aucun scandale ni agitation en France. Dans le contexte de l’aversion pratiquement universelle pour Sarkozy, en tant qu’homme et président, Chirac paraît très respectable.