Le prof de droit pense le monde à travers des catégories.
De la pensée juridique il dira de lui même qu’il existe le droit naturaliste et le droit positiviste.
Le premier est comme Antigone*. Il cherche à savoir ce qui est juste et qui, parce que juste, devient juridique. Il peut chercher cette justice, qui est une vérité antérieure à l’homme, dans la volonté de Dieu, la nature de l’homme ou bien encore, dans la chose même sur laquelle s’applique le droit. Sa figure de proue est le juge qui tente depuis au moins Hammourabi de montrer quelle est la justice dans un cas donné. Il lie le devoir être à l’être préexistant.
Le positiviste est comme Créon* et pense que le droit est juste parce qu’il est juridique. Ce qui importe, c’est le processus d’adoption de la norme et que celui-ci soit conforme à une norme supérieure, dont le seul but est de déterminer le processus d’adoption.
Il se conforme à des raisonnements de conformité d’une norme à une norme supérieure, jusqu’à la constitution qui est une auto-légitimation du pouvoir. Hans Kelsen expliquait que la norme fondamentale, en bout de course, c’est le pouvoir, et non le bien. La figure de proue de cette démarche est le législateur, qui ne cherche pas une vérité, mais à mettre en pratique ses idées. Il sépare le devoir être de l’être pour ne faire du premier que l’expression de sa volonté.
Il est quelque part comme un artiste. Il est amusant de voir que le mot art, en français vient du latin ars, artis, qui signifie technique et que le mot technique vient du grec ancien ?????(technè) qui signifie art. Il y aurait comme un jeu de miroir sémantique qui montrerait que l’art, c’est avant toute chose une technique, un savoir faire, qui après peut être le support de n’importe quelle idée. Le positiviste réagit de la même façon, il crée du droit suivant une technique, quel que soit son contenu. Ce qui importe c’est la conformité du processus d’adoption et de la norme crée à la norme supérieure.
Un prof de droit qui serait naturaliste chercherait une vérité, valable en tout temps et tout lieu, comme un mathématicien ou un physicien, cherchant à travers le monde sensible l’explication la plus complète. C’est un scientifique qui cherche ce qui ne dépendrait pas de la seule volonté de l’homme, mais lui serait préexistant, comme la nature.
Un prof de droit qui serait positiviste observerait une pure création humaine, fruit d’une volonté particulière et examinerait sa conformité aux canons précédemment déterminés par celui qui vient de créer cette norme. En somme, le prof de droit est un peu comme un critique d’art qui évalue une œuvre suivant des critères purement culturels et relatifs. Le caractère moral ne compte pas.
L’immense majorité des profs de droit en France est positiviste. Ce sont des critiques d’art examinant les créations de l’État, leur employeur, puisqu’ils sont fonctionnaires, pour toujours finir par dire que l’œuvre est formidable, comme le ferait un critique d’art salarié de l’artiste qu’il critique.
Le positivisme est une démarche qui aboutit systématiquement à une acceptation totale de l’État et éloigne l’homme de l’idée de justice. D’un côté l’État présente au peuple un ministère de la justice, de manière à le rassurer quant à son souci de justice et à lui signifier que l’État s’en occupe. Mais de l’autre côté, l’État, à travers l’université, enseigne bien aux futurs juristes que seule la norme compte.
Il n’y a donc plus que des cadres qui ne se préoccupent plus de justice, de bons petits soldats toujours prêts à obéir à l’État. L’université leur enseigne de moins en moins l’histoire du droit et de plus en plus tard le droit comparé, qui sont les deux moyens de comprendre, à travers le temps et l’histoire, que le droit comme simple système de normes n’est que la manifestation d’une opinion et que celle contemporaine a oublié toute transcendance, puisque l’université en France enseigne de moins en moins la philosophie du droit.
*Il est ici fait référence à la version de Sophocle, pas à celle d’Anouilh.