Ainsi, Israël et Turquie se sont à nouveau rapprochés. Le contentieux date de mai 2010, avec l’assaut meurtrier des forces israéliennes contre la flottille turque destinée à Gaza, avec des vivres, et non des armes. Prétextant un tir et des armes blanches, les Israéliens avaient abattu des hommes sans défense. La communauté internationale avait condamné, mais comme toujours, la condamnation était restée lettre morte, les Américains couvrant les exactions israéliennes.
Alain Grinblat de jssnews.com rappelle les conditions de cet « incident » diplomatique, vu du côté israélien : « Après l’abordage de la flottille du Mavi Marmara le 31 mai 2010, où 10 militants à bord se faisant passer pour des pacifistes ont trouvé la mort après avoir sauvagement attaqué les militaires israéliens, les relations entre Israël et la Turquie se sont brutalement dégradées. »
- Manifestation anti-israélienne à Istanbul après la tuerie du Mavi Marmara en 2010
Une vision des choses – « sauvagement attaqué » – qui ne laisse pas d’interroger. On ne s’étonnera pas du commentaire de ce site extrémiste sur la dernière revendication turque : « Le “Hurriyet Daily News” turc lâche sa petite bombinette du samedi matin : la Turquie ne renouera pas ses liens avec Israël sauf si elle a un accès illimité à Gaza, donc par la mer… Le ministre des douanes et des échanges Bülent Tüfenkçi a déclaré [hier] le 25 décembre que si un accord peut être signé avec Israël, c’est à la condition que les produits turcs puissent entrer à Gaza plus facilement. »
Il y a cinq ans, on parlait encore d’un rapprochement entre la Turquie et l’Iran, avec un partenariat économique régional prometteur. Cinq ans plus tard, la situation géostratégique a complètement changé, avec l’irruption de la terrible guerre civile mondiale syrienne – comment l’appeler autrement – et le parti pris turc résolument anti-Assad. Ceci dit, ce qui n’a pas changé, c’est l’inimitié mortelle que vouent les Israéliens aux Syriens. Les Turcs, tournant le dos à une union orientale, ont donc choisi le camp de l’Empire (américano-sioniste), dont l’existence fait sourire Gilles Kepel, qui fait de la géopolitique sur le Proche-Orient sans toucher aux États-Unis et à Israël. Un exploit.
L’autre chose qui n’a pas non plus changé, et qui reste plus ou moins secrète, c’est la présence non officielle de conseillers militaires israéliens au Kurdistan, ce pays qui n’existe pas, mais dont la fabrication arrange l’Empire, car il se situe à la croisée de tous les chemins stratégiques : pensez donc, Turquie, Irak, Iran, et surtout, aux pieds de la Russie, avec sa ceinture sud constituée des anciennes républiques de la Mer Caspienne.
Une zone qui intéresse au plus haut point les faucons de Washington, et dont la Turquie est le pivot. C’est pourquoi l’OTAN y concentre un maximum de ses moyens, en hommes, matériels, et technologies d’écoute et de surveillance. La Turquie étant la deuxième armée de l’OTAN derrière les États-Unis en termes d’effectifs. Ce qui ne l’empêche pas de se faire régulièrement harceler et étriller en Anatolie du sud-est, partie contrôlée par le PKK et sa branche militaire. Soulignant le double jeu des Américains, qui se sont inspirés pour cela de la stratégie britannique en Orient depuis le XXe siècle : contrôler l’ensemble en affaiblissant ou en renforçant tel ou tel « allié », au gré des nationalismes ou des puissances locales.
C’est ainsi que l’on peut comprendre pourquoi la Turquie a le droit de se lâcher sur la Syrie ou l’Irak (chez qui elle effectue des intrusions militaires directes ou indirectes), et pourquoi elle est bloquée sur le Kurdistan.
Mais il n’y a pas que la géostratégie : l’économique compte aussi. Mardi 22 décembre, Erdogan estimait que « les discussions avec Israël évoluaient dans un sens positif ». Pour preuve, la fête juive Hanoukka a été fêtée pour la première fois à Istanbul le 13 décembre 2015. D’après L’Obs, le (futur) nouveau chef du Mossad, Yossi Cohen, a signé un accord avec l’ex-ambassadeur turc à Tel-Aviv. Depuis la découverte de gisements de gaz naturel au large des côtes israéliennes, un projet de gazoduc sous-marin vers la Turquie est à l’étude. L’objectif de ce rapprochement contre-nature pour la Turquie ? Faire contrepoids diplomatique et économique à la Russie, pays avec lequel les relations se sont elles considérablement dégradées.
On parle d’un règlement de l’affaire de la flottille, et ses neuf morts, par un chèque de 20 millions de dollars. Mais une ONG turque rappelle que ce gaz appartient à la Palestine, et le rapprochement israélo-turc ne plaît pas à une société en voie d’islamisation, qui conserve un lien fort avec la Palestine. Tout doit donc se faire dans la discrétion, pour Erdogan. Un accord définitif se réalisant sur le dos des Palestiniens. Comme toujours.