Cela fait maintenant 30 ans que l’affaire Matzneff, véritable serpent de mer médiatique (et pas médiatico-politique) surgit bon an mal an dans l’actualité. Il suffit qu’on parle pédophilie, pédocriminalité pour que son nom revienne, même si ce n’est pas le seul. Or, l’écrivain n’a jamais été condamné et n’est donc pas un pédocriminel. Mais, comme le rappelle L’Obs, il joue – habilement – avec les lignes :
La meilleure défense, c’est l’attaque. Gabriel Matzneff, lui, a choisi une autre stratégie : la victimisation. Interrogé au sujet du livre Le Consentement, de Vanessa Springora, qui le présente comme un prédateur uniquement préoccupé de sa jouissance, l’écrivain de 83 ans nous a répondu par mail : « Apprendre que le livre que Vanessa a décidé d’écrire de mon vivant n’est nullement le récit de nos lumineuses et brûlantes amours, mais un ouvrage hostile, méchant, dénigrant, destiné à me nuire, un triste mixte de réquisitoire de procureur et de diagnostic concocté dans le cabinet d’un psychanalyste, provoque en moi une tristesse qui me suffoque. »
Vanessa Springora : « J’ai été la proie de Gabriel Matzneff. J’avais 14 ans »
Est-il vraiment surpris, lui qui, dans La Prunelle de mes yeux, racontait déjà comment sa jeune maîtresse s’était retournée contre lui ? Face aux critiques, il a toujours adopté la posture de l’hédoniste poursuivi par « les ligues puritaines », allant jusqu’à se comparer aux juifs persécutés pendant la Seconde Guerre mondiale, condamné à porter « l’étoile jaune de l’immoraliste », ainsi qu’il l’écrit dans « Mamma, li Turchi ! ».
Vous n’en saurez pas plus, la suite de l’article est payante. La défense de Matzneff, jamais condamné on le répète, rappelle celle de Polanski, qui lui a été poursuivi et condamné pour viol aux États-Unis. Matzneff, pour son malheur, et n’allez pas croire qu’on prend de la sorte son parti, est l’un des seuls noms citables par les médias quand on parle de pédophilie et d’impunité.
Mot d’ordre de l’hyperclasse : « Fay ce que vouldras »
Tout le monde ou presque en France connaît les pédophiles d’État, les pédophiles stars, ces pédophiles intouchables parce qu’au-dessus des lois, ou bénéficiant d’une loi non écrite qui absout en quelque sorte les gens de culture. On l’a vu avec l’affaire Epstein, qui est celle des milliers de crimes impunis de l’hyperclasse. Non pas que tous les membres de l’hyperclasse soient des pédocriminels endurcis, mais ça aide bougrement de se sentir au-dessus des lois.
En France, on a même eu des ministres de la Justice très attirés par les jeunes, ou les enfants. Dans les années 50, nous révèle Roland Dumas, la République se gardait même un petit château de prostitués mineurs pour le plaisir des élus de la Chambre. La chose était connue et ne soulevait pas de scandale. Il est vrai que la presse de l’époque était aux ordres. Aujourd’hui elle l’est toujours, mais d’une autre façon, de manière plus hypocrite : on ne balance pas les pédocriminels en exercice, on pense avant tout à sa carrière quand on est un journaliste mainstream. Heureusement il y a le Net pour pallier ces déficiences informationnelles, avec le risque d’accusations non fondées, de débordements paranoïaques ou de règlements de comptes.
Matzneff et son amour des jeunes filles ou très jeunes filles (mais il tapait aussi dans le garçonnet, voir ses voyages en Asie) revient donc dans la boucle, et se fait serrer par l’incontournable Aphatie, à l’affût de jugements faciles ou rapides.
Cet extrait suscite le dégoût. Gabriel #Matzneff y apparaît comme une ordure, @bernardpivot1 irresponsable de complaisance, @AlexandreJardin muet devant l’ignominie. Seule Denise Bombardier fait preuve d’humanité. Elle seule pense aux victimes du pedophile. Quelle honte ! https://t.co/yGCZRofjRC
— jean-michel aphatie (@jmaphatie) December 26, 2019
Des mœurs schizophréniques
Il y 30 ans, rappelons-le, les mœurs n’avaient pas « évolué » comme aujourd’hui vers à la fois plus de morale (Me Too et compagnie) et plus de licence (pornocratisation de la société). On vit en effet une période double, où l’on dénonce les turpitudes des uns, toujours dans les limites bien comprises de la soumission aux vrais dominants, et où l’on se déclare tolérants vis-à-vis du porno pour tous, des enfants devant les écrans sans filtre, et de la putarisation commerciale de toute une jeunesse.
Le Système encourage la surconsommation de sexe, virtuel ou réel, et abat toutes les barrières morales pour agrandir ce marché fantastique du désir... et de la frustration. Car le néolibéralisme produit, pour ceux qui n’en sont pas les maîtres ou les profiteurs, uniquement de la frustration et de la colère, c’est-à-dire de la violence. De l’autre côté, ce même Système a besoin de se refaire – sous la pression d’une opinion inquiète des « avancées » du progressisme – une santé morale en dénonçant quelques cibles qui ne mangent pas de pain oligarchique.
Au fait, pourquoi cette résurgence du dossier Matzneff aujourd’hui ?
Parce qu’une de ses victimes ou jeune fille séduite, l’éditrice Vanessa Springora, sort début 2020 un livre où elle raconte comment Matzneff l’a possédée à 14 ans. Il avait à l’époque presque 50 ans. L’action se passe au milieu des années 80 et Matzneff n’est pas nommé.
- Matzneff dans les années 80
« Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime. »
- Vanessa aujourd’hui
On n’oublie pas, dans cette affaire qui commence à enfler, et qui va peut-être toucher d’autres personnalités – prions pour que des ordures tombent par effet domino – que le gouvernement et Marlène Schiappa ont tenté d’abaisser l’âge de la majorité sexuelle à 13 ans, au lieu de 15, et que des jeunes filles mineures ont été déclarées consentantes par la justice alors qu’elles avaient été violées par des adultes, mais par le moyen de la séduction. Voilà pourquoi Vanessa déclare :
« J’espère apporter une petite pierre à l’édifice qu’on est en train de construire autour des questions de domination et de consentement, toujours liées à la notion de pouvoir. »