La Chine populaire, géant hyper-libéralo-marxiste-léniniste fort d’un milliard et demi d’âmes, met en œuvre depuis le 1er mai 2018, grâce à la révolution numérique, le carnet à point individuel pour classer, trier, écarter ou récompenser ses bons et ses mauvais sujets. Un système de contrôle panoptique [1] d’une redoutable efficacité, déjà imaginé en 1947, mais sous une forme plus rudimentaire, par George Orwell quand il rédigea sa formidable et sinistre dystopie 1984 … De quoi s’agit-il ? Chaque individu sera en Chine soumis dès janvier 2020 (d’abord dans les zones urbaines et dans l’espace public par le biais de systèmes de télésurveillance généralisée et des logiciels de reconnaissance faciale) à un contrôle comportemental extensif servant à alimenter un carnet de suivi personnel nanti d’un capital initial de mille points, autrement appelé « crédit social ». Dispositif adossé à la collecte systématique de « données personnelles et professionnelles », le but affiché étant de punir les mauvais comportements et d’encourager les bonnes attitudes. Une institution d’encadrement des populations initialisée en 2014 et désormais opérationnelle, qui n’est pas sans rappeler la série télévisée britannique à succès Black Mirror (2011/2016), dans laquelle ses auteurs explorent le passage de nos sociétés à un monde de virtualité addictive, envahissante, intrusive et dévorante, surtout lorsqu’elle se trouve entre de mauvaises mains.
En Chine, chaque manquement repéré sera minutieusement comptabilisé : griller un feu rouge, arriver en retard à son travail, tenir des propos désobligeants à l’égard du Parti ou de ses dirigeants (notamment sur les réseaux sociaux, où les recherches suspectes seront automatiquement repérées dans et par le Big Data et par voie de conséquence, pénalisées), négliger sa famille, avoir des relations suivies avec des personnes aux notes faiblardes… pire consulter des sites ou intervenir sur des forums peu ou prou dissidents (chez nous, le traitement du non-conformisme intellectuel – a priori – délictueux se traite de façon rustique directement dans les tribunaux) !
La liste est là-bas sans limites des actes réprouvés par la morale du nouvel empire du Milieu, entre stalinisme, néoconfucianisme et ultralibéralisme… Au risque de se voir gratifier à tout moment d’un malus avec pour conséquence une perte substantielle de points (selon un barème strictement établi : rétribution à l’acte comme en droit romain mais assortie d’un catalogue de prescriptions presque talmudique) et par suite, le défaillant ou l’inattentif (pensons à notre permis de conduire à points) peut rapidement entamer une descente aux enfers de la citoyenneté : interdiction d’exercice des fonctions de service public (administration, armée, police, enseignement…) jusqu’à dégringoler au bas de l’échelle… ce qui de facto transforme le malheureux en un individu de tiers ou de quart zone, un sans droit (comme chez nous, il y a des sans-dent), autrement dit un paria.
Pourtant, avant de nous indigner et de condamner, commençons par balayer devant notre propre porte car la France a aussi connu des années fort sombres du point de vue des libertés publiques, en particulier dans l’après-guerre, quand le statut d’indignité nationale (ordonnance du 25 août 1944) se distribuait à la pelle. Cette marque d’infamie aurait officiellement frappé quelque cent mille personnes ! Celles-ci devinrent – jusqu’à la loi d’amnistie du 5 janvier 1951 – des bannis intérieurs, sans passeports, privés de tous les droits civiques, des condamnations infligées (ne parlons pas des exécutions capitales et du bagne, ni des massacres extrajudiciaires) sur des critères autrement arbitraires et le plus souvent à la complète discrétion de cours de justice où l’on était à la fois juges et parties.
La Chine populaire grand précurseur de la surveillance panoptique globale
La Chine qui compte bien nous importer la 5G (nouvelle norme de la téléphonie mobile) mise au point par sa transnationale Huawei, un domaine où elle a pris une avance considérable… Or c’est en combinant les formidables capacités de plusieurs outils informatiques déjà existant (au rang desquels les algorithmes surpuissants développés par les géants de la Toile Alibaba, Tencent et Baidu), que la Chine entend étendre et rendre consistant son système de veille citoyenne panoptique. Ces trois firmes sont d’ores et déjà engagées dans la mise en place du « crédit social » généralisé par le truchement de leurs logiciels spécifiques permettant – après évaluation du client – de donner accès à certains services. Sachant qu’actuellement en Chine, ce sont 700 millions d’internautes qui utilisent ces réseaux, le SCS, le Social Credit System, fonctionnera précisément à partir de leurs données nominales, c’est-à-dire correspondant à des personnes physiques et à des profils singuliers… Celles des consommateurs utilisant par exemple Alipay, le système de facturation d’Alibaba, ou bien des applications de rencontres tel Baihe ainsi que les registres des administrations judiciaires, des tribunaux, celles aussi, bien sûr, des banques, du fisc et des employeurs. Prenons-en de la graine parce que tout ceci préfigure ce qui, petit à petit, silencieusement et insidieusement, se déploie chez nous, ici en Hexagonie orwelloïde.
En combinant les différents résultats, le pouvoir démocratique chinois pourra au final établir une note globale similaire à « l’indice de désirabilité » attribué par l’application de rencontres américaine Tinder. De cette notation, obtenue par le croisement des données, dépendra l’accès des Chinois aux transports publics (depuis mai 2018 les socialement mal notés se voient refuser l’achat de billets de train ou d’avion pour une durée d’un an), aux services tels les logements sociaux ou les prêts bancaires. D’après la spécialiste allemande Katika Kühnreich, l’accès des plus méritants à certains types d’emplois publics ou semi-publics, tout comme des limitations d’accès à la Toile sont également prévus. Cette évaluation de la performance sociale a bien entendu vocation à devenir permanente.
Aux États-Unis le credit score évalue, de façon assez semblable, la capacité des emprunteurs à honorer leurs engagements financiers… reste que le système chinois est sans comparaison possible au regard du prodigieux volume d’informations recueillies, concentrées, par leur intégration et leur synthèse finale sous forme de fiche de police sociale, idéologique et politique.
La Chine a en outre installé dans ses villes près de 170 millions de caméras augmentées d’intelligence artificielle (systèmes de reconnaissance faciale et comportementale). Ce chiffre devrait passer à 600 millions en 2020. Un secteur en pleine expansion qui dope la croissance intérieure, ce marché ayant dépassé le milliard de yuans (128 millions d’euros) en 2016 et qui devrait se trouver multiplié par cinq d’ici à 2021. Or, Human Rights Watch (spécialiste à bon et souvent à mauvais escient, de la défense des minorités) vient d’accuser Pékin d’un enregistrement massif – au prétexte de programme sanitaire – des données biométriques de l’ensemble des populations du Xinjiang, principalement les Ouïghours, aujourd’hui dans le collimateur du pouvoir central pour leur irrédentisme ethnique et leur islamisme récurrent.
Au demeurant le monde occidental n’est pas vraiment en retard d’un train car aux termes des Patriot Act I et II, adoptés par la libre Amérique dans la foulée des attentats du 9 septembre 2001, ce ne sont plus seulement les individus et les groupes réputés délinquants ou dangereux qui font l’objet d’une surveillance, mais la totalité de la population des États-Unis désormais fichée et placée sous l’étroite surveillance du Bureau fédéral d’enquête (FBI)… Et cela va assez loin : il ne s’agit plus uniquement de mauvaises fréquentations sur la Toile (encore que le « Darknet », cyberespace d’échanges cryptés demeure en grande partie terra incognita pour des autorités relativement complaisantes ; réseau sur lequel tout se vend et tout s’achète : armes, drogues, bétail humain, œuvres d’art pillées dans les pays en guerre ou dérobées dans nos églises, et cætera), mais de telle ou telle consultation d’ouvrages dans les bibliothèques publiques, ce qui peut vous conduire à voir un beau matin débarquer le FBI à votre domicile. On entraperçoit à cette occasion la convergence totalitaire entre Manhattan, La Cité et Pékin. Convergence des pratiques et des procédés de contention et de coercition à l’encontre des peuples que l’on retrouve presque à l’identique d’un système l’autre, de la démocratie populaire à la démocratie néolibérale. Après tout les Démocrates majoritaires à la Chambre des représentants, avec pour tête de file Mme Nancy Pelosi, ne sont-ils pas en train d’essayer de perpétrer un coup de force institutionnel digne des Bolcheviks de la belle époque, en lançant une procédure de destitution (impeachment) à l’encontre du président en titre, Donald Trump ?
Autre lieu, autres méthodes
Autre lieu, autres méthodes, mais le but poursuivi et le résultat restent les mêmes : brider, censurer, tenir en lisière la libre parole au nom – comme de bien entendu – des droits de l’homme qui en principe garantissent mordicus la libre expression de la libre pensée. Dans la France macronienne, il est encore d’usage de sauver les apparences et de faire avancer la dictature idéologique en marche à petits pas, sans heurts ni cahots. Cela a commencé avec les lois Pleven (1er juillet 1972) et Fabius-Gayssot (13 juillet 1990), cette dernière montrant bien la continuité – et partant, la collusion – existant entre le communisme ouvertement totalitaire et la social-démocratie plus discrète. Lois qui fondait la post-vérité… encore que la matérialité des faits ayant perdue toute valeur (inutile de s’interroger sur la réalité d’événements dont il est de notoriété publique qu’ils ont eu lieu !), elles nous ont fait aussi entrer de plain-pied dans la postmodernité : rapporter la preuve sur le fond ayant été définitivement proscrit dans les jugements de cours…
C’est ainsi que – dans la continuité de cette évolution du droit et des mœurs juridiques – depuis la nuit du 17 au 18 décembre 2019 les annonceurs – et l’on sait que la publicité est le carburant faisant tourner le moteur médiatique – deviennent pénalement responsables (à hauteur de 30 000 euros) pour chaque manquement à la loi quant au choix du support où leurs encarts sont diffusés. Les sénateurs de La République en marche et du Centre – dont les multiples affaires de concussion n’ont pas diminué le pouvoir de nuisance – ont en effet présenté un amendement disposant que « Les annonceurs publient en ligne et tiennent à jour au minimum mensuellement les informations relatives aux emplacements de diffusion de leurs annonces qui leur sont communiquées par les vendeurs d’espace publicitaire sur Internet en application de l’article 23 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Le fait de ne pas respecter l’obligation définie au premier alinéa du présent article est puni de la peine prévue au 1° de l’article 25 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 précitée et dans les conditions prévues au même article 25 ».
La prévention de la corruption et la transparence de la vie économique ont bon dos. Il faut voir ce qui se cache derrière le paravent des mots… toujours ronflants, pétris de grandes valeurs, de nobles et louables intentions. On voit ce qu’il en est depuis que les « omissions » de M. Delevoye – et surtout pas des « oublis » a-t-il précisé – ont été rendues publiques. Tout ces gens, à commencer par la garde des Sceaux, Mme Belloubet, se contrefichent bien de la transparence et omettent à tour de bras, qui un appartement, qui une résidence secondaire, qui un bénévolat grassement rémunéré… Ayons une pensée émue pour Nicole Balkany, premier adjoint au maire de Levallois-Perret, son mari, déclarant de manière cyniquement et faussement ingénue, qu’« elle n’avait jamais rempli une déclaration d’impôt » ! Oui da, c’est un comptable qui s’en chargeait ! Essayez d’en faire autant et d’omettre de déclarer ne serait-ce que deux cents misérables euros, aussitôt le lourd bras séculier du fisc s’abattra… et vous le sentirez passer !
En France hexagonique la censure s’installe et les libertés vraies se réduisent comme peau de chagrin : avant de dire ou d’écrire quoi que ce soit mieux vaut tourner sept fois sa langue dans sa bouche, sinon gare ! Pour mieux comprendre de quoi il retourne, considérons les propos de notre nouveau secrétaire d’État au Numérique (il a succédé à Mounir Mahjoubi – un demi-maroquin apparemment réservé aux minorités visibles), Cédric O., qui a déclaré après le vote de ce texte et dans un langue parfaitement limpide : « Ce que l’amendement 47 organise, c’est de dire : aujourd’hui il y a moyen via les régies, pour ces grands annonceurs, de savoir sur quels sites leurs publicités sont diffusées, et donc ils doivent diffuser la liste, ce qui les oblige en fait à s’intéresser à la chose. Ou si eux ne s’intéressent pas à la chose, je suis certain que certaines organisations se pencheront sur le sujet et les alerteront, ce qui en fait assèche une partie du financement des sites extrêmes ou que nous souhaitons ici voir disparaître » [sic].
Cela a le mérite d’être clair, la police de la pensée sur la Toile est imposée aux publicitaires. Un moyen indirect mais efficace ayant l’avantage de masquer l’acte de censure en le déléguant au diffuseur de réclames… et à des groupes de pression chargés de le ramener dans le droit chemin s’il prenait licence de s’égarer. Une action déjà rondement menée par le groupe militant dit des Sleeping Giants. Des gens agissant à l’abri d’un prudent anonymat pour exercer des sortes de chantages sur les annonceurs dont les publicités sont présentes dans les médias dont les écarts idéologiques leur déplaisent. On l’a vu pour la chaîne d’infos en continu CNews menacée de boycott pour avoir offert une tribune au national-sioniste Éric Zemmour.
De la même façon, les GAFAM (les Titans de l’industrie numérique), afin de préserver leurs prodigieux bénéfices, négocient directement avec le gouvernement des prélèvements fiscaux sur mesure en contrepartie de la prise en charge d’un contrôle social et informationnel prétendument relatif aux « fake news ». C’est encore dans ce contexte qu’il importe de regarder le projet de loi Avia rédigé au motif de « Lutte contre la haine sur l’Internet »… elle aurait pour objet d’interdire ou de retirer systématiquement les contenus haineux des réseaux sociaux, des plates-formes collaboratives et des moteurs de recherches »… Et comme la définition des dits contenus haineux est et restera flou par vocation et que ce qui devient inaccessible ou introuvable n’existera plus par définition, on voit bien quel extraordinaire instrument de désinformation, de manipulation et de viol des foules, ce texte mettra à disposition de la tyrannie du politiquement correct, de toutes les langues de bois et de la pensée absolument unique ! Orwell, les voilà avec leurs gros sabots ! Maintenant que l’on nous dise exactement de quel côté se trouve la haine, à commencer par la haine de la vérité ?