Lorsque la justice britannique eut connaissance des commissions occultes versées en marge des mega-contrats d’armement Al-Yamamah, Tony Blair essaya d’étouffer l’affaire par tous les moyens. En définitive, des fuites empêchèrent de cacher plus longtemps que des centaines de millions de livres avaient été détournées pour financer le terrorisme international. Pour sauver la réputation de l’industrie de défense britannique, Tony Blair accepta de rédiger à sa manière un brouillon de Traité sur le commerce des armes, que l’ONU vient d’adopter après sept ans de négociations. Thierry Meyssan décrypte la version finale de ce lamentable document.
À l’issue de sept ans de négociations, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 2 avril 2013, un projet de Traité sur le Commerce des armes, par 154 voix "Pour", 23 abstentions [1], et 3 voix "Contre". Avec enthousiasme, les ambassadeurs occidentaux se sont congratulés les uns les autres pour ce « vote historique » d’un texte « ambitieux », qui « mettra définitivement fin au commerce illicite des armes », tant il est « équilibré », « efficace » et « robuste », etc.
Par ces fières déclarations, ils espéraient convaincre leurs opinions publiques que ce projet de traité prouve qu’ils n’agissent jamais contre la paix et que, a contrario, les États qui ne l’ont pas voté ou s’y sont opposés n’ont pas la conscience tranquille. Pour étayer leur raisonnement, ils n’ont pas manqué de souligner que les trois votes "Contre" ont été émis par leurs adversaires depuis longtemps diabolisés : la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie.
Qu’en est-il vraiment ? Le droit international reconnaît que, pour défendre son peuple, tout État peut légitimement produire, importer, exporter, transférer, détenir des armes ou effectuer des activités de courtage. Tandis que ces mêmes activités leur sont interdites lorsqu’elles servent à agresser ou occuper d’autres États ou peuples.
Bien que l’on ne puisse savoir à l’avance si une arme va être utilisée dans un but légitime ou non, la quantité astronomique d’armes légères produites dans le monde est sans proportion avec l’usage légitime qui peut en être fait. Et l’on ne peut pas s’étonner qu’une partie d’entre elles soit utilisée à des fins illégitimes, provoquant d’inutiles souffrances.
Ce traité ayant été négocié au sein de l’Assemblée générale dans le cadre de la Conférence du désarmement est souvent présenté comme une extension aux armes légères de l’effort entrepris en matière de non-prolifération nucléaire. C’est faux. Comme l’a souligné le représentant du Pakistan : « Ce n’est pas un traité de désarmement », mais un traité sur « le commerce responsable des armes ».
En d’autres termes, ainsi que l’admet implicitement son intitulé, la rédaction initiale de ce traité, tel que présenté par Tony Blair, n’avait pas pour finalité de favoriser la paix, mais de protéger les intérêts industriels et commerciaux du Royaume-Uni et d’étendre « la doctrine Blair ». De même qu’une guerre serait « morale » lorsqu’elle serait entreprise « à titre humanitaire » pour lutter contre « une violation des Droits de l’homme » (au sens anglo-saxon du terme), de même le commerce des armes serait « responsable » à la seule condition de ne pas vendre à des « acheteurs-voyous » accusés d’avoir par le passé « violé les Droits de l’homme » (toujours au sens anglo-saxon du terme).
Sachant que les 3/4 du commerce mondial des armes légères sont contrôlés par six États producteurs, un traité sur cette activité ne peut être appliqué qu’à la suite d’un accord entre eux (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie). Cela revient à créer un cartel de vendeur qui pourra éventuellement imposer ses prix pour augmenter ses marges de profit. Ce que le représentant de la Bolivie a résumé en disant « L’industrie des armes peut dormir sur ses deux oreilles car [la rédaction de] ce Traité défend ses intérêts ».
Par ailleurs, sachant que ce cartel industriel et commercial, qui inclut les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, aurait le pouvoir d’interdire à un État de se fournir en armes sur le marché international, il pourrait ainsi le priver de ses moyens légitimes de défense et en faire une proie facile. Selon la formule de Lénine : « L’impérialisme est le stade suprême du capitalisme ».
Malgré les apparences, les gouvernements britannique et français sont cohérents en cherchant en même temps d’un côté à réglementer « le commerce des armes » et, de l’autre, à lever un embargo (c’est-à-dire à déréglementer ce commerce) pour légaliser leur transfert illicite d’armes aux mercenaires que les dictatures wahhabites payent pour détruire la Syrie.
En définitive ce projet de traité est mort-né. Même rapidement ratifié par une cinquantaine des États qui ont voté "Pour" et entré en vigueur, il ne servira à rien. La Chine et la Russie ont refusé de s’associer au cartel militaro-industriel occidental. Malgré l’intérêt économique qu’elles auraient pu y trouver, elles ont une nouvelle fois protégé le monde du mercantilisme anglo-saxon (auquel la France, changeant de camp, s’est ralliée). Assumant leur stature impériale de grandes puissances, elles ont refusé de se transformer en entreprises impérialistes.