Ce samedi matin, dernier jour de l’université d’été du NPA, Galia Trépère, dirigeante du NPA, prévient les plus de 200 militants, qui débordent du chapiteau sur la plage : « Il n’ y a dans cette salle ni racistes, ni islamistes. » C’est que sous l’intitulé relativement neutre du débat « Religion, laïcité, féminisme, émancipation » se cache le sujet explosif de la présence sur les listes NPA du Vaucluse, aux régionales 2010, d’une jeune femme portant le voile, Ilham Moussaïd.
Une candidature vécue comme un « coup de force » par certains militants qui n’ont pas apprécié d’apprendre la nouvelle par la presse (qui plus est « par Le Figaro ! ») et qu’une décision prise par un comité local s’impose sans concertation à l’ensemble du NPA.
Pierre-François Grond, numéro deux du NPA, évoque « une petite équipe autoproclamée qui nous est tombée dessus ». Certains, comme Ingrid Hayes, dirigeante du NPA, ont même vu, dans la médiatisation d’Ilham Moussaïd et de son entourage du quartier populaire de la Rocade, « une mise en avant du foulard comme un porte-drapeau ». D’autres lui imputent une baisse du vote féminin après deux sondages, « pas très clairs » selon le militant nîmois Philippe Corcuff. « Toutes mes copines féministes à Pau, sympathisantes NPA, se sont abstenues parce qu’il y avait Ilham », témoigne Mariève Bodou, une militante, également bénévole au planning familial. « On aborde le problème à bras le corps avec une partie discussions idéologiques sur les relations avec les religions et une discussion sur la représentation électorale », se félicite François Sabado, un intellectuel de l’ancienne LCR.
Après les régionales, le comité du quartier populaire de la Rocade, à Avignon, s’était séparé entre les militants réunis autour d’Ilham Moussaïd et de l’association de quartier AJ-CREV d’Abdel Zahiri, et ceux, qui comme Jacques Fortin, historique de la Ligue, ont dénoncé « une instrumentalisation ». « C’est une paix séparée après un épisode très dur, très rock and roll, explique Jacques Fortin. On se donne du temps afin que les questions personnelles s’apaisent et qu’on puisse refaire de la politique. » Parti prendre l’air à l’extérieur du chapiteau, Abdel Zahiri, cheville ouvrière de la candidature d’Ilham, accuse le coup des accusations à peine voilées de prosélytisme. « On a une militante qui se casse la tête, et ils nient tout ce qu’elle est, regrette-t-il. Ilham, on l’a choisie parce que c’était notre meilleure vitrine sur tous les combats à Avignon ; elle est très connue sur le mouvement Palestine et une des leaders à la fac. Si elle n’est pas venue à Port-Leucate, c’est qu’elle a morflé. »
Lors d’un premier atelier, Michael Lowy, directeur de recherche au CNRS, avait tenté un parallèle avec la théologie de la libération, ces prêtres et évêques d’Amérique latine, qui, dans les années 1960 et 1970, se sont emparés des idées de Marx, allant jusqu’à soutenir des luttes armées. Mais le « contexte d’islamophobie et de chasse aux Roms » décrié par presque tous les intervenants ne facilite pas le débat d’idées. Surtout quand la laïcité est perçue, avance Emmanuelle Mallet, membre de la commission Palestine à Paris, comme « un bâton répressif ». « La gauche française est tombée dans le piège du racisme au nom de la laïcité, estime la jeune femme. Dans le XVIIIe, ce sont quand même des fachos et des laïcards républicains qui ont organisé des apéros saucisson-pinard. »
Porter le voile et être émancipée ?
Plus que le signe religieux, c’est la signification sociale du voile, « qui renvoie à une vision patriarcale de la société », contraire au projet d’émancipation du NPA, rappelle Ingrid Hayes, qui hérisse. « On a constaté la réalité de ce que le foulard signifiait chez beaucoup de gens », ironise Abdel Zahiri. « Le foulard, quelle que soit la motivation de celle qui le porte a une signification », assène ainsi Galia Trépère. Ingrid Hayes a elle aussi « un problème avec la théorie du libre choix » : « Depuis quand les oppressions, les subordinations ne pèsent-elles plus sur les choix des individus ? », s’étonne-t-elle.
Philippe Corcuff, militant à Nîmes, en tomberait presque de sa chaise. « Si on disait la même chose à un prolétaire (“Tu te crois émancipé mais tu es aliéné et tu ne peux parler en ton nom”), ça paraîtrait hallucinant ! », s’exclame-t-il. « Dans l’idéal, bien sûr, tout le monde serait laïque et révolutionnaire mais la société française est telle qu’elle est, pétrie de contradictions, et l’émancipation passe par une prise en charge des opprimés par eux-mêmes », estime également Christelle, militante dans le XVIIIe arrondissement parisien. Alain Pojolat, membre du comité exécutif, ne dit pas autre chose : « Il faut prendre les gens comme ils sont : c’est la réalité de nos combats qui bien souvent nous fait avancer. »
La direction du NPA semble, elle, faire pression pour un compromis, acceptant le voile pour les militantes mais pas pour les candidates. « Une chose est de militer, une autre est de représenter un parti laïque comme le NPA, explique Pierre-François Grond. Il faut poser la question d’une façon plus large, qui ne stigmatise pas les musulmans : y-a-t-il des critères pour représenter le NPA ? » Un compromis qui ne règle rien pour les militants des quartiers populaires, selon Mohammed Ben Saada, de l’association marseillaise « Quartiers Nord, Quartiers forts » : « Il va falloir qu’on se ramasse les gens en leur disant de rentrer au NPA, mais qu’ils n’auront pas le droit de le représenter à l’extérieur ? » « Et avec nos camarades qui luttent pour la Palestine et sont souvent musulmanes et voilées, on fait quoi ? », demande Emmanuelle Mallet, de la commission Palestine à Paris.
Implantation dans les quartiers populaires
Pour Olivier Besancenot, cette crise « n’est qu’une illustration d’un des difficultés consubstantielles au NPA, puisqu’on souhaite brasser des militants sur des horizons les plus divers ». « Mais je ne pense pas qu’on puisse trancher par une résolution au congrès de novembre des questions de fond qui puisent dans une vieille histoire du mouvement ouvrier », ajoute-t-il. Les problèmes soulevés par l’implantation dans les quartiers, revendiquée par le NPA, dépassent en effet largement la question du voile. « C’est long de passer du “nous et vous” au “nous” : bien plus que le voile, ce sont des façons de militer, de s’engueuler, de discuter traditionnelles de l’extrême gauche qui font la différence », estime Jacques Fortin qui établit un parallèle avec l’arrivée des homosexuels dans les partis d’extrême gauche dans les années 1975 et 1980.
En matière de quartiers, le NPA a préféré mettre en avant à Port-Leucate les militants marseillais et leur Collectif de réflexion et d’action populaire (Crap), destiné à établir un rapport de force des associations de quartiers face au « clientélisme du PS et de l’UMP ». Rappelant la marche pour l’égalité de 1983 et sa « récupération » par SOS Racisme et les socialistes, Nicolas Joshua, historique marseillais de la Ligue, veut « redonner la mémoire des luttes aux habitants des quartiers pour rompre avec ce cliché d’une génération spontanée et de quelques jeunes qui décident de casser des voitures, juste comme ça ».
« C’est l’expérience pilote, la plus aboutie, peut-être grâce à ce relais qu’a été la marche des Beurs », salue Pierre-François Grond. Olivier Besancenot évoque lui aussi des « militants plus aguerris » et « l’histoire des quartiers qui est différente ». « Nous, on est des gens du quartier qui ont repris le NPA, pas l’inverse, répond Abdel Zahiri. Le soir, on va rentrer chez nous, dans le bloc 7 qui sent la pisse. » Le jeune DJ, qui, l’été dernier, discutait avec le philosophe Daniel Bensaïd (mort en janvier), met en garde : « L’analyse et la réponse du NPA (une répartition des richesses, le non-cumul des mandats, etc.), il n’y a pas mieux ailleurs, mais on ne pourra pas le faire sans la population, et la population, ce ne sont pas que des blonds aux yeux bleus. »