Après l’affaire Weinstein, nous avons eu envie de faire un tour à Berlin. Pour comprendre.
Dans le brouhaha et la pénombre du bar, un grand blond me regarde. Un t-shirt noir met en valeur ses yeux bleus et ses muscles travaillés. Il est beau et il me regarde fixement.
Je soutiens son regard fixement aussi, c’est pour le travail. Wow wow wow. Chaud chaud chaud. Et donc après ça ? Rien. Rien-du-tout.
En France, dans une situation comme celle-ci, tout aurait été très vite. Le type aurait fermé les yeux, approché sa bouche, posé ses mains quelque part. Là non. Peter (appelons-le comme ça) se contente de ce regard. Confirmant par son inaction la raison de mon reportage à Berlin : la passivité allemande dans la drague.
« On ne sait pas »
Emmanuelle, journaliste française qui vit ici depuis cinq ans, parle comme une vielle dame qui a vécu la guerre de 14-18.
« Je me suis fait draguer une fois par un Allemand ! »
Nous sommes dans un bar du Kreuzberg, quartier hipster-turc de Berlin. Ici, on peut jouer à un jeu vidéo vintage ou au baby-foot. Il y a un DJ et un dance floor. L’entrée est gratuite, idéal pour les étudiants fauchés. À propos de cet endroit, on m’a dit :
« Normalement, ici c’est LE bar où les gens chopent ! »
Mais un verre à la main, Katarina, une Allemande de 22 ans, me dit de ne pas me faire trop d’illusions. Je ne vais rien voir, « parce qu’il ne se passe jamais rien avec les Allemands », s’amuse-t-elle. La dernière fois qu’elle a été avec un « compatriote », c’était il y a cinq ans.
« Ce soir, il y a un mec qui est venu me parler. Je crois qu’il me draguait mais c’était tellement subtil que je n’en suis pas sûre. On ne sait pas. Les Allemands draguent tellement mal que tu ne sais pas trop ce qu’il se passe. »
Cette absence de drague n’est pas anecdotique, elle plongerait (entre autres raisons) l’Allemagne dans un péril démographique.
Le nombre de célibataires ne cesse d’augmenter. Ils étaient 12 millions en 1991. Ils seront 19 millions en 2035. Pour un pays dont la population va au contraire sévèrement chuter, c’est chaud.
En 2015, l’institut allemand des statistiques (Destatis) annonçait ainsi que nos voisins teutons ne seraient plus que 70 millions en 2060 contre 82 millions aujourd’hui.
On comprend mieux la une du "Spiegel" en 2010. L’hebdomadaire regrettait que tout repose sur les femmes, y compris la séduction.
[...]
La galère des Françaises
Il se raconte aussi à Berlin que les Françaises nouvellement arrivées expérimentent trois phases.
D’abord, elles se disent « hey hey, mais c’est trop bien, y a pas de relous ici ! »
Puis, six mois plus tard, elles se plaignent dégoûtées : « Personne ne me drague... »
Enfin, elles se retournent vers ce qui ne manque pas dans cette ville : les expats.
Dans un restaurant vietnamien douillet du quartier de Mitte, je retrouve Éléonore (un prénom d’emprunt), Parisienne installée à Berlin depuis un an, pour qu’elle me raconte ses galères. Elle a rencontré des Allemands sur Tinder surtout.
« En date, c’est toujours toi qui vas emballer le mec. Parfois, c’est dur. J’aime bien faire un pas, mais pas tous les pas... »
C’est dur, mais ça fait réfléchir.
« Ici, en tant que Française, tu te rends compte à quel point tu as construit ta féminité en étant au centre d’une attention que tu n’as pas désirée. »