La fonction de la présentatrice Caroline Roux dans son émission C dans l’air de France 5 consiste à faire la propagande du Système. Le 21 février 2017, elle consacre un numéro entier à Marine Le Pen, au Front national et à ses électeurs, mais sans Marine Le Pen, sans le moindre responsable ni aucun électeur du FN en plateau. Le message est clair : le FN n’appartient pas à l’arc républicain, et les médias sont contre le FN. On se défend comme on peut. Car Caroline Roux a bien senti que si le FN gagnait les présidentielles, elle perdrait vraisemblablement sa place dans l’organigramme du Système. C’est donc à boulets rouges que Roux et ses invités tirent sur le FN, chacun avec ses armes.

Il y a le sobre Jérôme Fourquet, représentant l’institut de sondages IFOP, un homme de chiffres et de calculs électoraux ; il y a Nonna Mayer, spécialiste de l’extrême droite – encore une ! – et auteur du livre Les Faux-semblants du Front national avec Sylvain Crépon, un autre spécialiste de l’extrême ; il y a Éric Fottorino, ex-patron du Monde devenu directeur du 1, le quinzomadaire thématique, une vraie création de presse, originale et intéressante ; et enfin, l’inénarrable Ghislaine Ottenheimer, spécialiste des réseaux et rédactrice en chef de Challenges (l’hebdo de Claude Perdriel), et qui est passée du côté obscur de la sérénité. Ce petit monde, d’autres diraient ce petit entre-soi, s’interroge sur la phrase de Juppé qui a déclaré qu’une victoire de Marine Le Pen n’était « plus impossible ».

Caroline contre Marine

Tout le long de l’émission, l’angoisse de Caroline est palpable. Elle va donc tout faire pour se rassurer. Ses invités vont de leur côté faire leur possible (à part ce coquin de Fottorino, qui n’a pas envie de refaire une Brexit ou une Trump journalistique) pour calmer la présentatrice, qui en oublie toute déontologie. On rappelle qu’on est sur une chaîne de service public, payée par les téléspectateurs, dont un bon quart vote FN. Mais ça, ça passe au-dessus de la tête de notre flippée de service. On dit souvent que la peur coupe les jambes ; là, on dirait que la peur du FN a coupé un nerf dans le cerveau de Caroline.

Roux  : « La victoire de Marine Le Pen n’était plus impossible. Pourquoi on en est arrivés là, Jérôme Fourquet ? »
Insatisfaite, elle relance : « Pourquoi est-ce qu’on en est arrivés aujourd’hui à ce que la victoire de Marine Le Pen ne soit plus impossible ? »

Ottenheimer commence son festival : « Mais je trouve ça quand même dangereux de répéter de répéter Marine Le Pen elle pourrait… […] Y a que 19% des Français qui pensent qu’elle a la stature d’un chef d’État et de gouvernement. […] Je pense que cette élection présidentielle est un poison parce que en plus avec les Twitter avec les chaînes d’information en continu c’est vraiment la loterie. […] Donc tout cela est très dangereux. […] Cette façon de simplement dire “attention il va y avoir Marine Le Pen” mais je pense que c’est l’argument le pire ! Mais du coup ça crédibilise le fait qu’elle peut venir ! »

Assez rapidement, après les échanges classiques déjà entendu mille fois sur la « nocivité » du FN, et après un sujet sur le voyage de Marine Le Pen au Liban et son refus de mettre le voile, les invités se mettent à parler… des juifs. Alors que l’avenir de la France est en jeu. Comprenne qui pourra.

Mayer : « Sur les juifs elle a toujours été très claire, elle n’est pas sur la ligne de son père, elle a toujours condamné les dérapages. »

Ottenheimer : « Enfin ce geste est surtout au cœur de ce qui fait le noyau dur du FN c’est-à-dire la stigmatisation des cultures musulmanes, et la défense de ce qu’on dirait aux États-Unis de la race caucasienne hein, des Blancs, parce qu’on voit quand même son alliance avec les Russes de Poutine et c’est ça Poutine, c’est de créer une grande alliance, une défense des intérêts des Caucasiens face à des musulmans qui entourent, qui encerclent la Russie… Après y a la dénonciation de la finance internationale, alors elle ne prononce plus jamais de mots antijuifs mais enfin y a toute la logorrhée habituelle sur le cosmopolite, sur la finance internationale, les banquiers, qui reste quand même très présente dans son discours, et pis il y a la stigmatisation de la mondialisation… »

L’ogre va dévorer les gentils journalistes

Tous contre le FN

Caroline Roux ne pose plus de questions, ce qui est le propre du travail journalistique, elle émet une opinion, afin de se rassurer : « On explique ici en France que y a une banalisation de l’image du Front national, des idées du Front national, on avait parlé à l’époque de lepénisation des esprits, à l’étranger pas du tout. À l’étranger Marine Le Pen n’est pas la bienvenue, les chefs d’État ne veulent pas la recevoir. »

Mayer  : « Marine Le Pen reste à l’étranger perçue comme associée à Jean-Marie Le Pen et Jean-Marie Le Pen associé à ses dérapages antisémites, aux chambres à gaz “point de détail de la Seconde Guerre mondiale”. »

Ottenheimer  : « Elle est devenue encore plus démagogue que son père ! »

Fourquet  : « Quand elle avait essayé de rencontrer Donald Trump ou quand elle a essayé plusieurs fois de s’inviter en Israël parce que là ce serait la consécration suprême, elle insiste au moment de sa rencontre fugace avec l’ambassadeur israélien, eh bien il lui manque toujours quelque chose et pour les Français qui ne votent pas pour elle, tout ça accrédite l’idée que décidément le Front national reste un parti à part et qu’on ne peut pas vraiment lui faire confiance, il n’a pas la reconnaissance des pairs. »

Israël, « la consécration suprême »... Après avoir réglé son compte à Marine Le Pen sur sa stature internationale, les invités s’attaquent au programme économique du FN, plutôt, ils attaquent le programme économique du FN. On arrive alors au point crucial de l’émission, l’analyse du « plafond de verre » dont Marine Le Pen ou le FN serait la victime.
On écrit « serait », car hormis Fourquet, qui démontre avec l’exemple de l’élection d’Estrosi en PACA face à Marion Maréchal-Le Pen, qu’il y a bien un plafond de verre médiatico-politique, ce qui fait sourire d’aise Caroline Roux – ouf, le fascisme est passé tout prêt mais la mobilisation citoyenne a repoussé le danger –, les autres refusent de victimiser le parti qu’ils considèrent eux-mêmes… comme un paria dans la République. Alors pourquoi ne peuvent-ils ou ne veulent-ils pas voir ce plafond de verre ? Parce qu’ils en constituent la partie médiatique.

Ottenheimer : « Un président de la République il peut appuyer sur le bouton nucléaire aussi hein, tout est possible ! »

Fourquet : « Ce plafond de verre… c’est encore très efficace. »

Fottorino : « Je conteste absolument cette expression de plafond de verre parce que c’est son vocabulaire à elle que nous employons et ça je trouve qu’on a tort… Elle dit “j’ai un plafond de verre” comme si elle étant victime d’une inégalité ! Et moi je n’emploie jamais cette expression, il n’y a pas de plafond de verre sur Marine Le Pen, pour moi c’est simplement elle n’arrive pas à gagner parce qu’elle n’a pas assez d’électeurs mais en aucun cas il y a un plafond de verre. »

Roux se rassure en bégayant : « Et parce qu’elle a un programme qui n’est pas en capacité de réunir 50% pour une voix, euh plus une voix pour l’instant. »

Ottenheimer : « Ça nous coûtera très cher, c’est pas impossible, rien n’est impossible, la souveraineté nationale ça permet on peut faire ce qu’on veut ! Un président de la République il peut appuyer sur le bouton nucléaire aussi hein, tout est possible, elle a tout à fait le droit de sortir de l’Euro, simplement y a un conceeeeeeeert d’économiques évidemment totalement marioles aux yeux de Marine Le Pen mais quand même qui sont reconnus sur la place internationale qui disent voilà, ça coûtera très cher. »

Roux : « On a fait une émission sur le Brexit où on avait des économistes qui nous disaient attention avant le Brexit, si le Brexit se produit il va y avoir vraiment des perturbations extrêmement fortes sur les marchés financiers, ça va être extrêmement brutal et ça se produira peut-être mais pour l’instant on attend la déflagration. Je remets juste un tout petit peu en perspective parfois ces pronostics qu’on fait sur des situations avant une élection et puis après, ce qui se passe en réalité après. »

C’est le seul moment où Caroline fera son devoir de journaliste. La piqûre de rappel que les peuples peuvent désobéir à l’oligarchie, surtout si on leur en laisse la possibilité. Et les votes des 23 avril et 7 mai en sont une.

Le retour de la peur

Alors qu’Ottenheimer, fière comme un paon, explique qu’il manquera de toute façon « 10 millions de voix » au second tour à Marine Le Pen pour gagner (passer de 7 à 17 millions de voix du 1er au 2e tour), Fottorino envoie une boule dans les quilles bien alignées en racontant une anecdote sur ces Français dont « on » ne parle pas – on ne leur tend jamais le micro, sauf pour dire ce que le Système veut entendre –, mais qui disent vouloir voter FN. Ils font parti(e) des abstentionnistes, cette tribu opaque pour les sondeurs, et peuvent faire pencher la balance au second tour.

Fottorino : « Moi je ne dis pas peut-elle gagner, je dis peut-elle perdre »

Il appelle ça « une très mauvaise surprise ». Et là, notre pauvre Caroline, qui avait mis une heure à se rassurer, retombe dans les affres.