Des marchés au plus haut depuis longtemps, l’Italie qui parvient à former un gouvernement après une élection très serrée, des taux longs italiens au plus bas depuis 30 mois : la petite bulle de l’UE semble bien se porter. Mais, dans la réalité, l’édifice se craquelle de plus de plus…
Le divorce d’avec les peuples
On sous-estime le fossé qui existe aujourd’hui entre les peuples de bon nombre de nations européennes et l’Union Européenne. Alors que la confiance dans l’UE naviguait entre 45 et 50% jusqu’en 2009, elle est tombée à 33% à l’automne dernier et seulement 30% des citoyens des pays membres en ont une opinion positive. Mieux, quand on creuse les données européennes, on constate que seulement 18% des Grecs, 20% des Espagnols et des Britanniques, 30% des Allemands, 31% des Italiens et 34% des Français lui font confiance (et de 53 à 81% ne lui font pas confiance).
Ce divorce est particulièrement sensible pour les pays du Sud de l’Europe, où l’Europe avait, il y a encore quelques années, une image très positive. Le fait que 72% des Espagnols ou 59% des Allemands n’aient pas confiance dans l’UE est un fait politique majeur qui aura de grandes conséquences lors des prochaines élections, comme le montre le grand succès de UKIP, ou les élections italiennes. Les peuples en ont assez de cette Europe bureaucratique qui mine la démocratie, à la solde des lobbys, des multinationales et des banques et prête à les torturer pour essayer de sauver l’euro.
La crise économique majeure dont nous ne parvenons pas à sortir depuis 2008 démontre l’échec total des politiques économiques impulsées par Bruxelles, et acceptées par tous nos gouvernements. Déjà, avant la crise, seul le Japon avait une croissance plus faible que la zone euro (1,9% contre 2,1% de 2003 à 2007). Mais depuis 2008, la zone euro est la lanterne rouge du monde (-0,3% de 2008 à 2012 contre –0,1% pour le Japon et 0,6% pour les États-Unis*). Pire, la situation ne cesse de se détériorer sur le front du chômage, qui bat record sur record et provoque une vague de misère inédite.
Des nations de plus en plus hostiles
Et le désamour des peuples fait écho à un certain désamour des politiques et des gouvernements. En Italie, la critique de l’UE a permis à Silvio Berlusconi de rebondir et c’était également un message fort de Beppe Grillo. En Grande-Bretagne, le débat a changé de dimension avec un parti conservateur plus eurosceptique que jamais, qui a promis un référendum sur la sortie de l’UE en 2017, pour imposer une vraie révision des traités européens conforme à sa vision de la souveraineté nationale, pour essayer de ne pas être débordé par UKIP, ce qui ne fonctionne pas vraiment pour l’instant.
En Italie, le nouveau premier ministre, Enrico Letta, a appelé à ce que l’UE ne soit pas « seulement coûts, impôts et austérité ». Il s’est engagé à ne pas augmenter la TVA et à ne pas procéder à de nouvelles coupes budgétaires. Mais c’est surtout en Allemagne que le débat se tend. De nombreux parlementaires ont exprimé leur colère à l’égard du délai de deux ans supplémentaires donné à la France pour revenir à un déficit budgétaire de 3%. Le secrétaire général de la CSU évoque un « bonus spécial pour la politique d’échec » et le FDP a des mots encores plus durs.
La classe politique allemande s’en prend aussi de plus en plus à l’UE. Le ministre allemand de l’économie, Philipp Rösler, du FDP a ainsi affirmé que « c’est irresponsable quand un président de la Commission européenne remet en cause la politique de consolidation budgétaire dans les pays de l’UE ». La Bundebank a communiqué à la cour constitutionnelle de Karlsruhe un document très critique sur la politique menée par la BCE. Enfin, comme l’a rapporté Jacques Sapir, Oskar Lafontaine, ancien président du SPD, a qualifié la monnaie unique d’erreur et appelé à l’abandonner.
L’accalmie des marchés est trompeuse. Non seulement les peuples se révoltent contre l’UE, mais poussés par eux, les gouvernements sont de plus en plus durs. Et parce qu’il suffit d’un seul pays pour commencer à déconstruire cet édifice, la question n’est plus de savoir si, mais quand et comment cela commercera…
* Nota bene : le Royaume-Uni affiche un score comparable, à –0,4% qui s’explique notamment par l’impact de la crise financière. Il faut noter que l’UE en général affiche -0,1%, et s’en sort donc un peu moins mal.