Initialement, l’opération devait s’appeler Anvil. Sa planification avait été confiée à la Force 163 (le nom de code de l’état-major de la 7e armée américaine) en janvier 1944. L’objectif était alors d’établir une tête de pont en Provence et de s’emparer impérativement des ports en eaux profondes de Toulon et de Marseille afin de permettre aux forces alliées de foncer ensuite dans la vallée du Rhône et de prendre en tenaille les troupes allemandes présentes en France avec les divisions de l’opération Overlord.
Si le plan était relativement simple, son élaboration prit tout de même 6 mois. Et cela en raison de nombreuses contraintes. Il fallait en effet trouver suffisamment de moyens de débarquement (ce qui n’était pas simple avec les opérations en Normandie) et surtout voir comment les choses allaient évoluer en Italie, où les offensives alliées dans les Abruzzes et le débarquement d’Anzio ne donnèrent pas les résultats immédiats attendus. Les choses se décantèrent finalement avec la prise de Rome, le 4 juin, qui suivit les attaques victorieuses sur le Garigliano.
Seulement, si ces développements donnaient la latitude espérée par les planificateurs de l’opération Anvil, l’opportunité de cette dernière fut contestée par Winston Churchill, le Premier ministre britannique, ainsi que par son état-major et même par le général Alphonse Juin, le commandant du corps expéditionnaire français en Italie. Pourquoi cette opposition ? Tout simplement parce qu’ils considéraient qu’il valait mieux préparer une vaste offensive en direction de l’Europe centrale par la trouée de Ljubljana.
Mais pour le général de Gaulle, il n’en était pas question. Pour lui, il fallait débarquer en Provence. Tout comme pour le général américain Eisenhower, qui reçut l’appui du président Roosevelt. Finalement, début juillet, la date de l’opération, rebaptisée Dragoon, fut fixée au 15 août 1944.
Les forces qui seront mobilisées sont fournies par la 7e Armée américaine du général Patch, avec le 6e corps d’armée (général Truscott, 3e, 36e, 45e DIUS) et une division aéroportée (général Frederick), ainsi que par l’Armée B française (future 1ere Armée), commandée par le général Jean de Lattre de Tassigny.
Sont également impliqués les navires de guerre de la Naval Western Task Force de l’amiral américain Hewitt, qui protégera les convoi et appuiera le débarquement, les 2 000 avions de la Mediterranean Allied Air Force, commandée par le général américain Eaker et la Task Force 88, une force aéronavale composée d’unités de l’US Navy, de la Royal Navy et d’autres marines alliées et dirigée par le contre-amiral TH Troubridge. Soit, en tout, 450 000 hommes. Et c’est sans compter sur les Forces françaises de l’intérieur…
En face, la XIXe armée allemande, placée sous les ordre du général Wiese, ne dispose que de 250 000 hommes et de 550 canons, dispersés sur la côte. En outre, ses moyens aériens sont faibles.
Dans la soirée du 14 août, Radio Londres envoie 12 messages codés annonçant l’imminence de l’opération Dragoon (« Le chef est affamé », « Nancy a le torticolis »). Peu après minuit, les hommes de la 1st Special Service Force du colonel Walker sont déjà à pied d’oeuvre et neutralisent les batteries des îles d’Hyères. Dans le même temps, les commandos d’Afrique du colonel Bouvet s’emparent du cap Nègre. Quelques heures plus tard, 5 000 parachutistes alliés de la « Rugby Force » sont largués au-dessus de la vallée de l’Argens (ils seront 10 000 à la fin de la journée). Leur mission est, avec le concours de la Résistance, de verrouiller les voies d’accès aux zones de débarquement.
Et, dès l’aube, les positions allemandes sont pilonées par les bombardiers et les canons de la Naval Western Task Force. Les événements s’enchaînent : à 8 heures, les 3e, 36e, 45e divisions américaines débarquent entre Cavalaire et Saint-Raphaël, sur les plages « Alpha », (Cavalaire et Ramatuelle), « Delta » (Saint-Maxime) et « Camel » (Saint-Raphaël). De même qu’un Combat Command de la 1ere Division blindée de l’Armée B (colonel Sudre), qui arrive à Cavalaire, La Nartelle et Dramont. Le reste des forces françaises seront engagées en 2e échelon.
Une fois les têtes de pont établies, les choses vont aller vite. Même plus vite par rapport à ce que les planificateurs avaient prévu. Les troupes américaines furent alors chargées d’avancer vers la vallée du Rhône tandis que la 1ère armée française devaient s’occuper de libérer Toulon et Marseille, où deux divisions allemandes avaient reçu l’ordre d’Hitler de tenir « impérativement ».
Mais elles ne purent rien face à l’audace du général de Lattre, qui décida d’attaquer sans attendre et simultanément les objectifs qui lui avaient été assignés et aussi au courage de ses hommes (dont la moitié vient des colonies – tirailleurs sénégalais et algériens, goumiers et tabors marocains, pieds-noirs, marsouins du Pacifique et des Antilles), appuyés par la Résistance : la région de Toulon tombe le 27 août au soir, avec la prise de Saint-Mandrier (soit à J+13 au lieu de J+20) et Marseille est libérée quelques heures plus tard (soit à J+14 au lieu de J+40).
Dès lors, la jonction avec les troupes débarquées en Normandie à partir du 6 juin 1944 était à portée de main. Et « l’extraordinaire poursuite », comme le dira le général de Gaulle, des forces allemandes vers le Rhin, pouvait commencer, notamment après le débarquement, entre le 5 et le 25 septembre, de la deuxième vague des unités françaises, commandée par le général Béthouart.