La semaine dernière, la France a accueilli la troisième conférence du Groupe des Amis du peuple syrien, un ramassis de 107 pays et organisations sur le modèle des Amis de la Libye qui avaient applaudi à la guerre aérienne menée par l’OTAN dans ce pays.
En France, les représentants des Etats Unis, de la Turquie, de la Grande Bretagne, de la France, du Qatar, de la Corée du Sud et d’ailleurs ont témoigné leur amitié dans un communiqué aussi vaque que tendancieux.
Le groupe a appelé à de nouvelles sanctions économiques, à une assistance humanitaire aux victimes de la violence et à « une action plus forte du Conseil de Sécurité des nations Unies. » Il a promis la punition des « criminels de guerre » du gouvernement [syrien], tout en omettant de suggérer que les rebelles qui violent les Conventions de Genève devraient recevoir ne serait-ce qu’une amende pour stationnement abusif.
Les Syriens sont désormais entourés d’encore plus de nouveaux amis qu’un gagnant du loto. Jamais depuis l’époque où l’ex Union Soviétique signait ses « traités d’amitié » avec tout le monde, de la Finlande à l’Afghanistan, un pays n’a eu autant de nouveaux amis.
Comment la Syrie a-t-elle pu devenir populaire au point que la moitié des membres de l’ONU se ruent à son secours ? Quel autre pays peut prétendre posséder l’amitié de plus de 100 Etats souverains ? Qu’est-ce qui a inspiré cette subite affection pour la Syrie ?
Où se cachaient ces amis pendant ces cinquante dernières années ? Que faisaient-ils en 1967 quand Israël s’est emparé du Golan syrien ? Quelle aide ont-ils envoyée aux plus de 100 000 citoyens Syriens quand Israël a démoli leurs villages et les a expulsés de chez eux ? Quelle avait été leur réaction devant l’annexion illégale du Golan par Israël en 1981 ? Ont-ils pris position contre les 30 colonies implantées par Israël sur des terrains volés à des Syriens ? Appellent-ils à des sanctions contre Israël jusqu’à ce qu’il se retire du territoire syrien, démantèle ses colonies et permette aux habitants du Golan de rentrer chez eux ?
Vous connaissez la réponse. Les Syriens aussi.
Serait-il malséant d’insinuer que les amis de la Syrie veulent retirer quelque chose de la Syrie pour eux-mêmes ? George Bush avait la Syrie dans le collimateur au moment où il a quitté la maison Blanche et, sous bien d’autres aspects, l’administration Obama prolonge cette politique.
Le 5 mars 2007, Seymour Hersh, dont les sources auprès des services de renseignements US sont incomparables, écrivait dans le New Yorker :
« Pour affaiblir l’Iran, qui est majoritairement chiite, l’administration Bush a décidé, en effet, de redéfinir ses priorités au Moyen Orient. Au Liban, l’administration Bush a coopéré avec le gouvernement d’Arabie Saoudite, qui est sunnite, dans des opérations clandestines qui visent à affaiblir le Hezbollah, l’organisation chiite qui est soutenue par l’Iran. Les Etats Unis ont aussi pris part à des opérations clandestines contre l’Iran et son allié syrien. Un sous-produit de ces activités a été le renforcement d’organisations extrémistes sunnites qui adhèrent à une vision militante de l’Islam et sont hostiles à l’Amérique et ont de la sympathie pour al Qaïda. »
La Syrie est une maison en feu, et les Etats Unis et la Russie sont arrivés avec des lance-flammes.
Ainsi, les armes ont afflué en quantité pour les deux camps – du moins jusqu’à la semaine dernière quand la Russie a cessé ses livraisons.
Un conflit qui exige un règlement diplomatique se perpétue avec une aide extérieure, pour des intérêts extérieurs.
Si les amis de la Syrie ont entrepris la destruction de la Syrie, ils s’y prennent bien. Le voisin s’est tourné contre son voisin. Des gens qui se considéraient comme Syriens il y a deux ans, sont maintenant devenus des Sunnites, des Druzes, des Chrétiens ou des Alaouites.
La CIA arme et guide les combattants à proximité de la frontière avec la Turquie, comme elle l’avait fait autrefois avec les Contras anti-sandinistes le long de la frontière entre le Honduras et le Nicaragua.
Pour éviter le contrôle parlementaire comme dans le cas du Nicaragua, les Etats Unis se sont tournés à nouveau vers l’Arabie Saoudite. Les Britanniques dirigent des opérations contre le gouvernement syrien depuis le Liban. La France, indiquent mes sources, joue un rôle similaire depuis la Turquie et le Liban. La Russie et la Turquie se disputent l’influence dans un pays dont les citoyens détestent l’une et l’autre.
Il n’y a pas qu’une escalade meurtrière mais, à l’instar d’affrontements fratricides de l’Espagne de 1936 à la Yougoslavie de 1992, elle devient de plus en plus personnelle et sournoise. Personne ne gagne, à part le croque-mort. Et pourtant, ça continue avec chaque camp certain de la justesse de sa cause.
Il y a beaucoup de versions de ce conflit. Elles sont toutes vraies et elles sont toutes fausses. Personne ne croit aux affirmations insistantes du gouvernement selon lesquelles ses opposants sont tous des mercenaires étrangers. Trop de Syriens à Homs et à Idlib ont péri pour qu’on puisse nier la dimension interne du conflit.
Mais les affirmations de l’opposition selon lesquelles elle a respecté le plan de cessez-le-feu d’Annan ne résistent pas à l’examen. Les forces de l’opposition ont attaqué des locaux des services de sécurité, des barrages routiers, des autobus et des casernes pour faire porter les torts au gouvernement quand il a réagi.
Ils affirment en outre que leur soulèvement est entièrement d’origine nationale, alors qu’ils reçoivent des armes, de la formation, des conseils, des moyens de transport et de l’argent de gouvernements et de services secrets étrangers.
Le rôle des acteurs externes est aussi clair qu’il l’était à l’époque où la Grande Bretagne prétextait le soi-disant « réveil arabe » pour expulser les Ottomans de Syrie en 1918. Tout comme ces rebelles ont découvert deux ans après que la liberté et l’indépendance ne feraient pas forcément l’affaire de leurs puissants soutiens.
Si les sanctions imposées par les amis [de la Syrie], l’armement de l’opposition et l’envoi d’espions et de fournitures ne réussissent pas à obtenir le résultat voulu en Syrie, les amis [de la Syrie] invoqueront les récits des oppositions armées pour exiger une intervention militaire des Etats Unis.
"Chaque fois que nous nous lançons dans une guerre où que nous allons dans un pays, " écrivait Edmund Wilson dans Patriotic Gore, faisant allusion à la conquête de nombreux territoires par l’Amérique depuis le Mexique jusqu’aux Philippines, « c’est toujours pour libérer quelqu’un. »