En préambule, les lecteurs intéressés par ce sujet pourront lire le texte collectif consacré à l’utilisation politique des objets connectés.
Un projet de loi du gouvernement Borne propose d’autoriser l’activation à distance des micros et des caméras des smartphones et appareils électroniques. Ce que font déjà les GAFAM depuis des années. Pour s’opposer efficacement à la mise à disposition des moyens de surveillance commerciale au profit de l’appareil répressif de l’État, il faut mettre fin à l’impunité des multinationales du numérique.
Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 doit être présenté à l’Assemblée Nationale dans les mois qui viennent. Il est discuté en séance publique au Sénat ces jours-ci.
L’article 3 en particulier, qui prévoit de modifier le code de procédure pénale, a de quoi faire réagir : il prévoit de permettre aux juges de décréter l’activation à distance des appareils électroniques – les téléphones portables en particulier – pour enregistrer de l’audio et de la vidéo.
Le Monde décrit :
« "Lorsque les nécessités de l’enquête l’exigent, le juge des libertés et de la détention (à la requête du procureur) ou le juge d’instruction pourront décider, si le texte est adopté, « l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel". Cela permet donc d’allumer à distance, sans le consentement du mis en cause, tout appareil pouvant le localiser.
Il sera possible de procéder de la même manière pour capter des sons et des images par le biais d’un appareil connecté pour des crimes relevant du grand banditisme et du terrorisme. Ces mesures ne peuvent pas concerner les parlementaires, les journalistes, les avocats, les magistrats et les médecins, ni les mis en cause quand ils sont dans le bureau du juge ou chez leur avocat. »
BFM TV de son côté, publie un article intitulé « Non, le gouvernement ne va pas mettre en place un espionnage généralisé de nos smartphones ». Pourtant, cette dénégation ne fait qu’inquiéter davantage, car quelques paragraphes plus loin, on nous explique exactement le contraire :
« "On ne fait que légaliser l’alégal", conclut ainsi Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique, faisant référence à un vide juridique. […]
Cette évolution législative permettra aussi, avec les mêmes garde-fous, l’espionnage du micro et de la caméra d’un smartphone. En effet, l’article 706-96 du code de procédure pénale permet déjà d’espionner un suspect, mais en plaçant "manuellement" un micro ou une caméra pour cela. […]
Le nouveau texte permet d’utiliser un smartphone piraté à cet effet, en tirant profit du micro et de l’appareil photo intégrés au mobile. Par ailleurs, le terme "appareil électronique" inscrit dans le projet de loi laisse la possibilité d’utiliser les données émanant d’un ordinateur, ou de l’ordinateur de bord d’un véhicule, par exemple. »
Il ne s’agit donc pas de déployer de nouveaux moyens techniques, mais d’instaurer le dispositif légal nécessaire pour que « les enquêteurs puissent accéder au micro et à la caméra d’un smartphone piraté ». Si l’on a la naïveté de s’en tenir aux annonces du ministère de la Justice, cela ne vaudra que dans les affaires de « grand banditisme ou terrorisme ».
C’est le début de l’effet cliquet : une fois rendues acceptables pour le « terrorisme », ces pratiques de surveillance seront étendues progressivement à tout et n’importe quoi. Le journaliste Olivier Tesquet réagit sur Twitter : « " Légaliser l’a-légal ", c’est à dire écrire la loi à partir de sa transgression, voilà qui n’est pas sans rappeler la loi renseignement de 2015. Combien de temps avant que des militants écologistes, déjà surveillés avec les moyens de la lutte antiterroriste, soient infectés par des logiciels espions autorisés par l’article 3 du projet de loi d’orientation de la justice ? »
Il est pertinent de rappeler par exemple qu’au moment des luttes écologistes à Bure les effectifs « anti-terroristes » de la gendarmerie nationale avaient été mobilisés contre les militants opposés à l’enfouissement de déchets nucléaires. « Des dizaines de personnes placées sur écoute, un millier de discussions retranscrites, plus de 85 000 conversations et messages interceptés, plus de 16 ans de temps cumulé de surveillance téléphonique » racontait le magazine Reporterre en 2020.
La politique numérique du macronisme : libérale et autoritaire
Le gouvernement libéral d’Emmanuel Macron n’est pas inactif en matière de protection des droits numériques : il se montre activement nuisible. Il mobilise à cet effet les deux composantes de son idéologie, à savoir le libéralisme autoritaire.
[...]
Concernant maintenant la composante autoritaire du libéralisme macroniste.
Inutile de revenir ici en détail sur la répression du mouvement social de ces derniers mois. On s’intéresse ici au numérique, domaine propice aux dérives autoritaires actuelles des ministres de la police et la justice.
En septembre 2022, au moment de l’audition de Gérald Darmanin au Sénat au sujet du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR, lui avait tendu la perche : « [...] C’est aussi la réglementation européenne qui pose problème. Directive après directive, les autorités européennes limitent les possibilités d’investigation en mettant en avant la protection des données personnelles. La Conférence des procureurs nous alerte régulièrement sur ce point. Que pouvez-vous faire à cet égard ? »
Et le ministre de l’intérieur de lui répondre :
« Si je pouvais utiliser ces moyens pour combattre la grande criminalité ou les trafics de stupéfiants, je pense qu’il y aurait beaucoup moins d’homicides à Marseille. Et si l’on ne peut plus utiliser les données de localisation ou d’appel, les choses vont encore se compliquer... Il appartiendra à M. le Garde des sceaux de trouver les voies et moyens pour permettre aux services enquêteurs et aux procureurs de continuer à travailler sans alourdir la procédure malgré la décision européenne qui s’impose à nous. »
On n’est jamais très loin, en France et en Europe, de la tentation d’imiter la NSA américaine dénoncée par Edward Snowden, quitte à expérimenter d’abord, légaliser ensuite – ou même à se passer de tout cadre légal, tant qu’à faire.
Voilà où mène l’impunité dont bénéficient les multinationales du numérique.
Ce projet de loi traduit parfaitement la complémentarité des politiques numériques du macronisme : accompagner les multinationales du numérique, y compris dans l’illégalité, et se ménager un accès à leurs dispositifs techniques permettant la mise en place d’une surveillance généralisée.
L’impunité dont jouissent les multinationales depuis des années est le tremplin sur lequel rebondissent aujourd’hui les ministres de l’Intérieur et de la Justice.
[...]
Il faut absolument, impérativement, faire vivre les droits garantis par le RGPD. Sans quoi, comme le dit Shoshanna Zuboff : « Nous pouvons avoir la démocratie, ou nous pouvons avoir une société de surveillance, mais pas les deux. Une société démocratique de surveillance est une impossibilité existentielle et politique. »
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