Silhouette longiligne, lunettes fines, barbiche : Ludovic-Mohamed Zahed passe inaperçu mais il a choisi de s’exposer aux yeux de tous en se "mariant religieusement" avec son compagnon musulman et en tentant de convaincre qu’ "être homo et musulman c’est possible".
A 35 ans, après avoir mis vingt ans à "s’assumer", il a décidé de lutter contre l’homophobie et l’islamophobie et a créé le collectif Homosexuel(le)s musulman(e)s de France (HM2F), un "espace d’expression pour les gays musulmans ou issus de familles musulmanes", qui rassemble 270 militants.
Des associations d’homosexuels croyants existaient déjà depuis de nombreuses années : David et Jonathan (1972), destinée aux chrétiens, et Beit Haverim, aux juifs (1977) mais aucune association particulière aux musulmans. "L’islamophobie existe aussi dans le milieu Lesbien, gay, bi et trans (LGBT)", souligne Ludovic-Mohamed Zahed, regrettant que "L’Inter-LGBT a refusé d’intégrer HM2F".
"L’adhésion a été reportée pour des raisons de statut mais nous travaillons avec HM2F et avons vocation à poursuivre ce travail", a commenté Nicolas Gougain, porte-parole de l’Inter-LGBT, à la veille de la marche des fiertés, samedi. "La route est encore longue"
"La visibilité est une question sensible", glisse M. Zahed, par ailleurs doctorant en anthropologie du fait religieux à l’EHESS. Et le chemin a été long avant que cet homme d’origine algérienne s’érige en porte-parole d’une communauté. Elevé dans un quartier populaire du 17ème arrondissement de Paris, il affiche très tôt un style efféminé qui lui vaut d’être régulièrement tabassé par son frère qui veut lui "apprendre à être un homme". Son père, qui pressent son homosexualité, lui répète qu’il préférerait lui "casser les reins et (l’) enterrer vivant plutôt que de le voir devenir comme ça".
Ludovic-Mohamed, dont le premier prénom figure sur son passeport français et le second, sur son passeport algérien, se tourne vers la religion et fréquente assidûment les salafistes lors de ses vacances en Algérie, son pays d’origine. Mais alors qu’il arrive à l’âge adulte, il prend conscience de son homosexualité, fortement condamnée par son milieu.
"C’était une grande souffrance. Je me suis dit :"il faut choisir" et j’ai violemment rejeté l’islam", lâche-t-il. Suit "un long désert spirituel" et des années de mal-être. Quand il annonce à sa famille son homosexualité, son père l’accepte, sa mère pleure tous les soirs pendant deux mois. Avec son frère, les liens seront rompus.
Arrivé à l’âge de 30 ans, las d’être vu comme un "Arabe" séropositif et homosexuel, il "ne cherche plus à haïr qui que ce soit pour quoi que ce soit, mais simplement à faire évoluer les réactions discriminatoires auxquelles il est confronté", explique-t-il dans Le Coran et la chair (éd. Max Milo).
"Selon moi l’homosexualité, quoi qu’on en dise n’est pas un choix ; et il faudrait être fou pour choisir d’être homosexuel lorsque l’on vient du milieu socioculturel d’où je viens", argue-t-il.
Sa rencontre en Afrique du Sud avec Qiyyam, avec qui il se marie en août 2011, dans ce pays où l’union entre couples homosexuels est possible est une première étape.
Son "mariage" religieux, en banlieue parisienne, célébré par un imam, en est une seconde, symbolique, qui lui vaut insultes et menaces. Mais M. Zahed est aujourd’hui "apaisé". "Etre homo et musulman, c’est possible", écrit-il dans son livre.
"Même si force est de constater que la route est encore longue et que tout reste à construire afin d’élaborer, de faire émerger ensemble une représentation possible de ce que peut être, de manière éclairée, apaisée, librement consentie, un homosexuel musulman".
Interrogé par l’AFP, un membre du Conseil français du culte musulman rappelle que l’homosexualité est "strictement prohibée" par l’islam.
"Aucun imam, à moins d’être autoproclamé, ne peut célébrer un mariage homosexuel", selon M. Abdallah Zekri.