Délégué du procureur d’Angoulême, il présente sa démission le 9 juillet dernier face à une actualité qui a mis à mal les valeurs de justice et d’impartialité qu’il servait depuis 14 ans. Mû par un engagement au service de l’intérêt général, François Méhaud, dénonce des instructions au parquet à visées politiques ou idéologiques dans les affaires dites de La Manif pour Tous.
Depuis plusieurs mois, les sympathisants de La Manif pour Tous font l’objet d’un nombre spectaculaire d’arrestation et de garde à vue alors qu’aucune atteinte aux biens ou aux personnes n’ont été recensées. Environ 1 000 arrestations pour plus de 500 gardes à vue et une seule condamnation – qui vient d’être annulée –, c’est le décompte actuel et qui continue encore avec les Veilleurs. L’emprisonnement immédiat de Nicolas Bernard-Buss 23 jours à Fleury-Merogis avait suscité une vive émotion par l’utilisation du mandat de dépôt à caractère pourtant exceptionnel. Son procès, qui s’est déroulé hier, a confirmé l’absurdité de la peine car aucune des charges qui l’ont mené en prison n’a été retenue.
« La cour d’appel de Paris a examiné les faits reprochés à Nicolas avec une sérénité qui avait sans doute fait défaut à l’occasion de son passage en comparution immédiate », a déclaré La Manif pour Tous dans un communiqué à l’issue du procès.
Dans ce contexte, François Méhaud expose dans une lettre au procureur pourquoi, en conscience, il ne peut continuer à assumer les missions qui lui sont confiées par un système qui semble cautionner le « délit d’opinion » :
Le 9 juillet 2013
Monsieur le Procureur,
J’ai le regret de vous présenter ma démission à compter de ce jour de mon poste de délégué du procureur.
Lors de l’instauration des délégués du procureur par la loi du 23 juin 1999, nous avons été, avec trois autres collègues, les premiers délégués du procureur du TGI d’Angoulême. Depuis lors, j’ai continué pendant quatorze années à exercer chaque fois que cela m’était demandé les missions que vous-même ou vos prédécesseurs avez bien voulu me confier, estimant que, même si mon action était des plus modestes dans le traitement de la chaine pénale, elle pouvait présenter une utilité pour la Justice et plus généralement dans l’intérêt de la société.
Aujourd’hui, il ne m’est plus possible, en conscience, de poursuivre cette activité, tant l’idée que je me faisais du rôle du parquet est mise à mal par les réquisitions récentes de certains de vos collègues parisiens dans les affaires dites de la Manif pour tous ; et plus précisément concernant l’incarcération sous mandat de dépôt du jeune Nicolas Buss suite à une réquisition que je trouve infondée et excessive. Je suis intimement persuadé que dans cette affaire, le parquet n’a pas fait preuve d’indépendance d’esprit, mais a suivi des instructions à visées politiques et idéologiques, données par la chancellerie.
À l’évidence, si le principe des instructions hiérarchiques est régulièrement dénoncé comme portant atteinte à ce que l’on voudrait que soit l’indépendance du parquet, je reconnais la nécessité de consignes générales pour une application efficace de la politique pénale. Ces consignes ne doivent toutefois pas interférer, et encore moins de manière partisane, sur les facultés d’appréciation des magistrats, fussent-ils du parquet.
Il apparaît malheureusement que dans les affaires de la Manif pour tous les visées politiques ont très largement pris le pas sur ces considérations légitimes et ont contribué non seulement à dévoyer l’intervention du ministère public, mais encore à remettre en cause les principes mêmes de la liberté et de la démocratie.
Allant jusqu’à interdire aux citoyens d’exercer librement leur devoir de conscience face à ce qu’ils considèrent comme étant une loi injuste et mensongère (elle l’est en ce qu’elle fait croire faussement que la filiation pourrait résulter de l’appariement de deux hommes ou de deux femmes, et conduit à des solutions indignes comme la PMA ou la GPA), la situation actuelle est particulièrement délétère et mène à considérer que l’on sanctionne un délit d’opinion. Cela n’est pas concevable dans une démocratie. Ne serait-ce que pour cette raison, j’estime qu’il est de mon devoir de m’y opposer activement, par tous les moyens dont je dispose du moment qu’ils ne mettent pas en cause la vie, la sécurité et la tranquillité de mes concitoyens.
Je ne vous cache pas que je me suis mis moi-même en situation considérée par les forces de l’ordre comme « irrégulière », en participant dans la nuit du 26 mai jusqu’au 27 mai au matin à la manifestation des Veilleurs, à Paris, et en m’opposant pacifiquement aux ordres à portée politique donnés aux forces de l’ordre, tant j’estimais de mon devoir de me tenir au milieu de ces jeunes qui avaient trouvé un moyen à la fois responsable et calme de s’opposer en conscience à cette loi injuste.
Ne souhaitant en aucune manière mettre fin à ce que je considère comme étant un devoir moral d’opposition jusqu’à ce que cette loi soit rapportée, vous comprendrez que la perte de considération que j’éprouve tant en raison des ordres et consignes émanant des ministères de la Justice et de l’Intérieur que des positions de certains magistrats, et le risque de me trouver à nouveau et à tout moment en situation de m’opposer aux forces de l’ordre ou aux décisions du pouvoir actuel ne me permettent plus de remplir mes fonctions.
Je vous demande en conséquence de bien vouloir accepter dès aujourd’hui ma démission.
Dans le cas où vous souhaiteriez que je vous explique plus en détail ma position, il va de soi que je suis à votre entière disposition. Dans l’intervalle, je vous prie de croire, Monsieur le Procureur, à l’expression de ma considération distinguée.
François Méhaud
Délégué du procureur d’Angoulême