Il aura été immortel près de quarante ans. Vieil homme toujours vert, Michel Déon réjouissait par sa faculté de vivre intense et discrète. La mort semblait l’avoir oublié. Avec lui finit de disparaître une certaine France, qu’on donnait en modèle aux écoliers de jadis, celle de l’honnête homme.
Enfant des beaux quartiers et des beaux voyages, Édouard Michel aurait pu être tranquille ; il a choisi de ne pas l’être tout à fait puisqu’il s’est lancé sous le nom de Michel Déon dans la croisière impossible de la littérature, qui ressemble aux errances d’un Colomb ou d’un Vasco : on sait quand on part, on ne sait si on arrivera, ni où. Il y fit preuve d’une vertu qui a un nom de chalutier breton, la persévérance, et rama vingt-six ans pour atteindre la vraie notoriété avec Les Poneys sauvages, prix Interallié en 1970, dix mille jours après son premier roman publié en 1949.
Michel Déon contre l’imposture des hussards
Puis vinrent les succès commerciaux (Le Jeune Homme vert, Un taxi mauve), et les honneurs, l’Académie française où Félicien Marceau l’accueillit en 1978. Il n’en oublia pas pour cela ses origines ni ses amis. Ils s’appelaient notamment Antoine Blondin, Roger Nimier. Bernard Frank, et Paris après lui, leur colla l’étiquette de hussards. Michel Déon rappelait que c’était une rêverie : il y avait bien sur les deux rives de la Seine quelques écrivains qui se rencontraient, dînaient, conversaient ensemble, mais cela ne fait pas une école littéraire. À moins que refuser les pesanteurs du temps, les godillots marxistes, la pèlerine sartrienne, ne soit un manifeste. Michel Déon, comme ses amis, recherchait une certaine grâce, prétendait vivre, écrire et penser à sa manière, comme il l’entendait, souvent pour son plaisir.