Le 7 juin dernier, le philosophe publiait un article présentant le judaïsme comme un dogme génocidaire. Il est depuis la cible de critiques virulentes.
Michel Onfray a publié dans « le Point » du 7 juin dernier un article présenté comme un « plaidoyer » en faveur de l’historien Jean Soler, texte qui lui vaut depuis d’être la cible de critiques virulentes.
Jean Soler, ancien diplomate, plusieurs fois nommé à la tête d’institutions culturelles, est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés, sur un mode hostile, à l’histoire et à la philosophie du monothéisme. Il vient de publier « Qui est Dieu ? » (éditions De Fallois). Michel Onfray, en « athéologien » militant, a tenu à saluer la parution de l’ouvrage. Il présente Jean Soler comme un érudit solitaire et minutieux, méprisé par les institutions, bien qu’il excelle « dans la patience du concept ».
« Il a toutes les qualités de l’universitaire, au sens noble du terme ; voilà pourquoi l’université, qui manque de ces talents-là, ne le reconnaît pas », tranche Onfray, offrant une démonstration éclatante à l’adage qui veut qu’on utilise souvent les autres pour dire ce qu’on pense de soi.
« Les juifs inventent le génocide »
Premier problème : sur les plans théologique comme historique, l’article de Michel Onfray est truffé d’approximations, de contresens et de confusions : on renverra ceux que ça intéresse à cette critique très complète de Didier Long, qui reprend les erreurs d’Onfray une par une, ou à la réponse du rabbin Yeshaya Dalsace dans « le Point » de ce jeudi.
Mais ces errements ne sont pas la source de la polémique. L’idée centrale de ce « plaidoyer » est que le monothéisme juif, avec sa « violence intrinsèque exterminatrice » a inauguré les plaies de l’Histoire que sont les massacres ethniques et les génocides.
Pour Onfray commentant Soler, les prescriptions bibliques, loin d’avoir offert une première existence à l’idée d’une morale universelle (comme le croient les naïfs), « ne regardent pas l’universel et l’humanité, mais la tribu, le local (…). L’amour du prochain ne concerne que le semblable, l’Hébreu, pour les autres, la mise à mort est même conseillée. »
On apprend aussi que le dieu des juifs « a voulu la ségrégation » en interdisant les mariages mixtes et en instaurant des interdits alimentaires. En clair : « ce dieu est ethnique, national, identitaire ». Yahvé, un mec du Rassemblement Bleu Marine ? Peut-être pire encore…
Car Onfray poursuit, tout à son idylle intellectuelle avec Soler : il évoque « l’extermination des Cananéens par les juifs » et reprend, sans apporter la moindre contradiction, l’expression de « purification ethnique ». « Les juifs inventent le génocide », fait-il enfin dire à l’historien.
Hitler-Moïse : même combat ?
Tout ceci pose évidemment problème. D’abord en termes purement factuels. Il est prouvé que la conquête destructrice de Canaan, racontée dans le livre de Josué, est une épopée à peu près fictive, comme on en trouve dans les récits fondateurs de tous les peuples.
Par ailleurs, sa dénonciation de l’« ethnicisme » juif exige de taire certains faits : Adam, Abraham, Noé et consorts n’étaient évidemment pas juifs ; le code lévitique affirme : « Tu aimeras l’étranger comme toi-même » ; l’interdiction d’assassiner (et non de tuer) dans le deutéronome concerne l’humanité entière (contrairement à ce qu’Onfray affirme) ; l’élection du peuple d’Israël, concept fréquemment mal compris, ne lui procure à aucun bénéfice, hormis celui d’être soumis à des lois plus sévères. On trouve dans la Bible des versets comme : « Car Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples. » On a certainement fait plus humaniste que l’Ancien testament. Mais c’est un texte nébuleux, parfois contradictoire, dans lequel il vaut mieux pénétrer prudemment.
Au-delà de ces contresens, on ne peut qu’être frappé par l’anachronisme du raisonnement de Michel Onfray. Utiliser des concepts modernes pour juger une peuplade du XIIe siècle avant J.C. est une démarche pour le moins hasardeuse. C’est ainsi : la Charte des Nations unies de 1948 n’était pas souvent appliquée sous l’Antiquité. Les royaumes, juifs ou pas, du deuxième millénaire avant notre ère étaient rarement aux mains de monarques cosmopolites et post-identitaires. Les archéologues retrouvent très peu de pin’s « Touche pas à mon pote » lorsqu’ils fouillent le sol mésopotamien. Les divinités obtuses qui régnaient en ce temps rechignaient à se donner la main pour former une grande chaîne de la tolérance autour de la terre.
Cette amère vérité n’arrête pas Onfray et Soler. Le philosophe cite l’historien, dans ce qui constitue le passage le plus problématique de son article : « Le nazisme selon “Mein Kampf” (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu. » Puis Onfray acquiesce : « Hitler est le guide de son peuple, comme Moïse. » Le judaïsme, fondement de la pulsion génocidaire ? Modèle de l’hitlérisme ?
Onfray accrédite même une théorie selon laquelle les nazis auraient exterminé les juifs pour « détrui[re] la position concurrente la plus dangereuse » - rappelons à toutes fins utiles que les juifs n’ont jamais exterminé qui que ce soit. Mais Onfray tient à sa démonstration : il insinue que la formule « Dieu avec nous » utilisée par le Reich hitlérien était reprise du prophète Isaïe. C’est là une torsion de la vérité historique : cette devise avait été empruntée par l’Empire germanique dès 1871, non à Isaïe, mais aux byzantins.
« Goût exquis »
Cette volonté de « judéiser » le nazisme a valu au philosophe des critiques sévères. Haïm Korsia a fait part dans « l’Express » de sa « révulsion ». Michaël de Saint-Chéron, sur le site de « la Règle du jeu » (organe il est vrai traditionnellement hostile à Onfray) lui reproche de laisser libre cours à sa « détestation des juifs ». Dans « le Point » de ce jeudi, Yeshaya Dalsace, Aldo Naouri et Antoine Spire, en plus de montrer les errements de son argumentation, ironisent sur le « goût exquis » de sa comparaison entre nazisme et judaïsme.
Dans le même journal, Marek Halter émet l’hypothèse que « les juifs le gênent » et lui reproche ses accents communs avec Ernst Nolte, « historien allemand qui essaie de nous faire croire que les nazis ont tout appris chez les bolchéviques, et les bolchéviques chez les juifs. Ainsi la boucle est bouclée : les juifs sont responsables de leur propre mort. »
Michel Onfray a répondu, d’une manière qu’on qualifiera poliment d’étrange, toujours dans « le Point » : il s’est contenté de reproduire un texte datant de janvier dernier, dans lequel il se proclamait sioniste. Pas un mot sur les contrevérités qu’il a relayées, ni sur les thèses de Jean Soler, dont il semble pourtant apprécier la lecture. Pas même une phrase indiquant que son opposition, tout à fait honorable, au sectarisme monothéiste a pu le pousser à contresigner des choses qu’il ne pensait pas. Ca arrive, parfois, d’écrire trop vite.
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