Le premier documentaire d’Arte, en ligne jusqu’au 10 août 2023, raconte l’histoire récente d’une petite entreprise de pêche familiale de Boulogne-sur-Mer. Le second, en ligne jusqu’au 4 août 2023, décrit la vie d’un quartier misérable, un des plus pauvres de Marseille, et de France, celui de Saint-Mauront. Un coin abandonné des autorités, de l’État : tout tombe en ruines, les pierres comme les familles. D’un côté, un travail de plus en plus dur et précaire, de l’autre, plus de travail, d’horizon. Mis bout à bout, chacun à leur façon, ces sujets racontent la menace existentielle qui plane sur la France d’aujourd’hui.
Le réalisateur marseillais Philippe Pujol insiste sur le vivre-ensemble, l’harmonie entre les communautés (Français, Gitans, immigrés africains comoriens et capverdiens), c’est un documentaire de gauche. Il n’y a pas de documentaire de droite dans le genre, sauf quand TF1 ou TMC diffuse un reportage des frères Comiti sur la BAC, les stups, la délinquance.
Là, on aperçoit brièvement une voiture de police, qui tourne et disparaît. C’est la seule apparition symbolique de l’État, le maire – face à quelques administrés, blancs pour la plupart – mis à part.
Les habitants, eux, se débrouillent, entre petits trafics et, on l’imagine, le versement des aides sociales. Les mômes sont déchirés entre la rue et l’école : la rue, les copains, l’admiration des « grands », et l’école, dans laquelle ils ne brillent guère. On l’entend à leurs difficultés d’élocution, même quand ils chantent du rap : ça parle vite, ça trouve quelques rimes, mais l’ensemble n’est pas très clair. Dans leurs phrases se retrouvent leurs vies en morceaux. C’est le cas de Kader, qui joue les durs au début, puis reconnaît être dans une impasse. Les filles, elles, chantent aussi mais dansent, surtout. Tout le monde veut être une star, c’est le lot et le rêve des misérables.
L’impasse, pour la famille de Jérémy, elle est économique. Concrètement, entre la location du moteur, les traites, le carburant, les assurances (du bateau et du camion), les crédits, les salaires du personnel, il faut rentrer 40 000 euros par mois. Or, seuls 6 000 rentrent. C’est un appauvrissement inéluctable, programmé, mortel, d’autant qu’il y a de moins en moins de poisson, que la zone de pêche britannique est à ce moment-là (pendant les confinements de 2020) interdite aux Français, et qu’un seul navire-usine néerlandais rafle jusqu’à 250 tonnes de poisson par jour. Ce n’est plus une activité, c’est un étranglement.
Face à ce tableau, Jérémy et sa femme sont démunis : elle qui rit tout le temps perd son sourire devant l’amas de factures et de lettres d’huissiers. Lui, pêcheur sur plusieurs générations, passionné par son métier, se retrouve plongé dans une impasse à la fois économique et écologique. Il ne conseillera pas à son fils de devenir marin-pêcheur, un noble métier. Pourtant, la famille tient, et les grands-parents sont solidaires.
De l’autre côté de la France, à Marseille, dans le quartier de la butte Bellevue, on voit beaucoup de mères, et peu de pères. Là, la misère a éclaté les familles. Ou alors l’éclatement des familles a conduit à la misère...
On comprendra une chose entre ces deux docs : ce qui fait la différence entre la misère et la pauvreté, c’est la culture.