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Mon frère est fils unique d’Antonio Pennacchi

Curieuse destinée que celle de certains livres, obligés de changer de titre comme d’autres durent changer de nom. En effet, les mots tuent et il vaut mieux parfois avancer masqué. C’est pourquoi si jamais il vous vient l’idée saugrenue d’adapter au cinéma un roman sulfureux, si excellent soit-il par ailleurs, votre premier devoir est de sacrifier le titre original Il fasciocomunista. Vita scriteriata di Accio Benassi pour le remplacer par une belle antiphrase aux relents de chanson populaire, afin d’éviter de choquer le public potentiel. L’histoire du drame familial d’un fils mal-aimé est mieux acceptée par les spectateurs, car elle est moins atypique, que celle d’un militant politique passant du néo-fascisme au maoïsme. Ces considérations ne doivent pas apparaître comme arbitraires. Elles sont fondées. Le titre révèle l’orientation de l’œuvre et ce sur quoi l’auteur a voulu insister. Ainsi le roman est le récit autobiographique d’une adolescence orageuse baignant dans l’histoire politique de l’Italie des années soixante. L’adaptation cinématographique, quant à elle, préfère s’intéresser à la psychologie du personnage et à ses rapports conflictuels, en particulier avec sa mère qui lui préfère son frère, cela sur fond d’engagement et de rivalité politique dans le genre « je n’aime pas mon frère qui est communiste, donc je deviens fasciste ». Inutile de dire que le roman est bien plus intéressant que le film, dont le mérite aura été de faire connaître un auteur et son œuvre jusqu’alors ignorés en France.

L’année dernière avait déjà vu paraître un autre roman italien non pas similaire, mais imprégné du même esprit : Le pays des merveilles (éd. Albin Michel) de Giuseppe Culicchia. Il s’agissait aussi d’une autofiction racontant les périples de deux adolescents au cours de l’année 77. On y retrouvait la même révolte juvénile, une certaine truculence et la séduction des jeunes Italiens de cette époque bouillonnante pour la politique et en particulier pour ce qu’il est pudiquement convenu d’appeler les extrêmes. Indéniablement ces ouvrages révèlent une liberté de ton et un recul qui manquent cruellement de ce côté-ci des Alpes.

La vie secrète d’Accio, c’est un peu celle qu’il n’a jamais vraiment avouée, du moins dans son ensemble, à sa famille. Du petit séminaire de Zagarolo jusqu’aux missions pour un groupuscule révolutionnaire d’extrême-gauche, en passant par la lutte irrédentiste pour Trieste, le narrateur présente un apprentissage de la vie pour le moins original et tumultueux, agrémenté d’anecdotes comiques et de témoignages historiques non dénués d’intérêt. A la fois confessions publiques sans regret apparent et confidences militantes, l’auteur allie habilement le récit intimiste et une forme de documentaire. Le tout est savoureux et se lit d’une traite, au rythme de l’impulsivité du héros. Le lecteur militant, quelque soit sa cause, y retrouvera l’ambiance et la fièvre de la ferveur politique aussi bien dans l’action que dans le débat idéologique. Le parcours de Benassi, singulier et en même temps si commun, s’identifie parfaitement au mot de Drieu selon lequel « on est plus fidèle à une attitude qu’à des idées ». D’ailleurs, si son cheminement surprend, il n’est pas pour autant sans cohérence. Lorsqu’il exprime sa vision du fascisme, cela devient même lumineux, c’est : « le peuple, les travailleurs, l’Etat national du travail, l’anticapitalisme, la socialisation, la révolution ». Il faudrait y rajouter pour être complet l’antiaméricanisme, car c’est même cela qui marque sa rupture d’avec le MSI.

En 1968, au moment des premiers soubresauts des contestations étudiantes, Accio se prend même à rêver d’une grande réconciliation des communistes et des fascistes contre un système décati et oppresseur, espérant selon les paroles d’une chanson que « Ceux qui partagent le pain et la mort / ne se laissent pas séparer sur la terre ». Dans les premiers temps, il y eut en effet des occupations communes, mais cette grande réconciliation fut malheureusement de courte durée. Les intérêts des partis ne se conjuguent pas toujours avec l’application de leurs discours. Le problème avec Accio Benassi est qu’il a cru et combattu pour ce qu’on lui disait être bon, et qu’il a préféré conserver ses principes au risque de sembler trahir ses camarades. Il s’est mis au service de l’Idée plutôt que des personnes, ce qui est rarement compris par les gens. Toutefois, et c’est logique, il rencontrera les mêmes problèmes dans les organisations révolutionnaires d’extrême-gauche. Cela est raconté par le narrateur avec un brin de désillusion et de cynisme, mais surtout beaucoup d’humour et d’esprit caustique. Ainsi se moque-t-il de leur chef de cette époque, révolutionnaire engagé, stalinien affirmé, travaillant aujourd’hui pour Berlusconi. En cela la France est bien proche de l’Italie.

Pour finir, il s’agit d’un livre magnifique, drôle, et plein de jeunesse. Il n’est pas à mettre entre toutes les mains car, pour paraphraser l’auteur, ce serait le mettre à la portée de tous et donc lui enlever tout intérêt. Comme l’a si bien écrit le critique de La Repubblica, il est « combatif sans savoir pourquoi. Désenchanté mais idéaliste. Voilà un narrateur à l’image de l’Italie. Il raisonne avec le cœur et se passionne avec la raison ».

Joseph DACRE, pour E&R.

Mon frère est fils unique De Antonio Pennacchi (Editions Le Dilettante) ; 442 p.