La semaine dernière, une info plus que surprenante est apparue dans le mainstream médiatique russe, affirmant que la Russie avait retiré son personnel militaire de la base Syrienne de Tartous, et que les bateaux de la flotte russe de Méditerranée se ravitaillaient désormais au Liban. De plus, d’après une rumeur, la Russie aurait pris la décision de fermer son ambassade en Syrie.
Ces mesures d’urgence auraient été prises, selon les sources citées par notamment le journal russe Vedomosti (créé en 1999 suite à une initiative conjointe du Financial Times et du Wall Street Journal) afin de ne pas mettre en danger le personnel russe de la base navale de Tartous alors que la Syrie ferait face à une intensification de la guerre civile. L’information aurait été confirmée par l’hebdomadaire russe VPK, spécialisé dans la défense, dont la source aurait affirmé que cette décision était due à la « la brusque escalade du conflit en Syrie et à la recherche de ports plus sûrs ».
Ces nouvelles ont beaucoup surpris les commentateurs qui suivent la situation Syrienne, alors que sur le terrain l’évolution de la situation militaire semble depuis quelques semaines être en faveur du pouvoir en place. Sur le front diplomatique, la coalition des « Amis de la Syrie » reste unie politiquement et déterminée au départ de Bachar el-Assad, mais l’opposition syrienne semble morcelée, fragilisée et de plus en plus dépassée par ses éléments les plus radicaux, notamment proches de la mouvance salafiste. Cette dernière trouve aujourd’hui ses soutiens dans les monarchies du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, et bien sur auprès des États-Unis. Peu à peu une image a émergé de cette situation très complexe : l’Amérique poursuit son soutien historique actif (Afghanistan, Bosnie, Kosovo...) à l’islam sunnite en contribuant à la guerre menée par Doha, Riyad et Istanbul contre le croissant chiite, un croissant chiite qui au passage paraît plus que favorable aux intérêts russes et à une présence russe au Moyen-Orient.
Trois jours après ces « nouvelles » du retrait russe de Syrie, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a en personne qualifié de « rumeurs » ces informations, en ironisant au passage sur le fait de savoir si elles émanaient du Guardian ou d’Al-Jazzera mais en les qualifiant comme « s’inscrivant dans une série de provocations et de spéculations dont le but serait la préparation de l’opinion publique à admettre les efforts en faveur du changement du régime en Syrie ». À propos de Tartous en Syrie, Sergueï Lavrov a rappelé que « l’évacuation de ce point logistique était exclue, aussi bien que l’évacuation de son personnel, (…) actuellement composé uniquement de civils, les militaires n’y étant plus basés depuis longtemps ».
Alors que la guerre médiatique sur la Syrie semble s’accentuer à quelques semaines de la conférence internationale « Genève 2 », la Russie ne semble pas sur le point d’opérer un retrait de la région, ni de Méditerranée, bien au contraire. Les lecteurs de RIA Novosti se souviennent qu’il y a quelques mois j’avais esquissé la probabilité (bien incertaine à l’époque) que Chypre devienne tôt ou tard une base militaire russe au cœur de la méditerranée orientale et à l’intérieur de l’Europe.
La semaine dernière la presse Chypriote a laissé filtrer des bruits d’un possible accord militaire russo-chypriote donnant le droit à la flotte russe d’utiliser le port de Limassol (la ville russe de l’île) et aux avions russes d’utiliser la base militaire aérienne Andreas Papandreou à Paphos. Cet accord, s’il se confirmait (et ce alors que le président chypriote devrait se rendre prochainement en Russie), accentuerait considérablement non seulement la présence russe dans la zone mais aussi et surtout sa capacité de projection au Moyen-Orient, et dans ce cas à proximité de la Syrie.
Dans le même temps la Russie a annoncé le déploiement en 2015 d’une base militaire russe en Biélorussie, dans la ville de Lida, proche de la frontière polonaise, c’est-à-dire à la frontière de l’espace contrôlé par l’Alliance atlantique. La base, qui jouera un rôle essentiel dans le dispositif militaire sécuritaire de l’union russo-biélorusse, aura pour objectif la protection de l’espace aérien biélorusse.
Au même moment, un drôle de chassé croisé s’est opéré entre Russes et Américains au Kirghizstan. Les autorités du pays ont voté à une écrasante majorité la loi prévoyant la fermeture de la base américaine de Manas, ouverte en 2001, étant donné la décision de Washington d’achever vers 2014 le retrait d’Afghanistan de l’essentiel de la Force internationale d’assistance à la sécurité. Les États-Unis auront jusqu’au 11 juillet 2014 pour évacuer les avions ravitailleurs et les quelque hommes encore présents sur cet aéroport international, qui fait office de base militaire.
Presque simultanément, le vice-ministre russe de la Défense, Anatoli Antonov, a annoncé que la Russie avait, elle, par contre, décidé de renforcer sa base aérienne au Kirghizstan, une décision également liée au prochain retrait des forces de la coalition internationale de l’Afghanistan fin 2014. Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou s’est également rendu sur place pour rencontrer le président kirghiz Almazbek Atambaev, et lui annoncer qu’à la fin de l’année 2013 Moscou commencerait à livrer des armes et du matériel militaire au Kirghizstan.
Alors que la militarisation de l’espace eurasiatique semble s’accélérer sous contrôle de la Russie, ce retrait des troupes américaines d’Asie centrale marque une nouvelle étape de la lutte d’influence entre les États-Unis et la Russie en Asie centrale pour le contrôle du heartland. Comme prévu en décembre dernier, la Bataille pour l’Eurasie semble s’accélérer.
Pour Vadim Koziouline, du Centre PIR :
« La rupture de l’accord avec Washington (sous pression russe) est probablement la plus grande victoire de Moscou en termes d’influence dans cette région d’importance stratégique depuis le début de l’opération antiterroriste des USA en Afghanistan. »
Pourtant, d’autres analystes sont beaucoup plus négatifs quand à cette supposée victoire russe que semble être le retrait américain d’Asie centrale. Pour le quotidien Nezavissimaïa Gazeta, les experts militaires russes sont unanimes : l’islamisation de l’Asie centrale est en cours et « les mouvements terroristes afghans sont en grande partie rejoints par des jeunes tadjiks, ouzbeks et kirghizes, plus tard identifiés par les services secrets comme leaders d’organisations islamistes à Saint-Pétersbourg et dans d’autres grandes villes russes (…). Bref, les Russes doivent réellement se préparer à une guerre sur leur territoire. »